—Ah! tu n’as pas tout vu. Suis-moi. Suis-moi vite!»
Ils ouvrent une autre porte.
La seconde chambre est carrée. Une seule fenêtre l’éclaire, où s’encadre toute la nature. Au milieu, un chevalet de bois porte une motte d’argile rouge, et dans un coin, sur une chaise courbe, une jeune fille nue se tait.
«C’est ici que tu modèleras Andromède, Zagreus, et les Chevaux du Soleil. Comme tu les créeras pour toi seul, tu les briseras avant ta mort.
—C’est la Maison du Bonheur,» dit tout bas Démétrios.
Et il laissa tomber son front dans sa main.
Mais Chrysis ouvre une autre porte.
La troisième chambre est vaste et ronde. Une seule fenêtre l’éclaire où s’encadre tout le ciel bleu. Ses murs sont des grilles de bronze, croisées en losanges réguliers à travers lesquels se glisse une musique de flûtes et de cithares jouée sur un mode mélancolique par des musiciennes invisibles. Et contre la muraille du fond, sur un thrône de marbre vert, une jeune fille nue se tait.
«Viens! viens! répète Chrysis.
Ils ouvrent une autre porte.
La quatrième chambre est basse, sombre, hermétiquement close et de forme triangulaire. Les tapis sourds et des fourrures l’habillent si mollement, du sol au plafond, que la nudité n’y étonne point, tant les amants peuvent s’imaginer avoir jeté dans tous les sens leurs vêtements sur les parois. Quand la porte s’est refermée, on ne sait plus où elle était. Il n’y a pas de fenêtre. C’est un monde étroit, hors du monde. Quelques mèches de poils noirs qui pendent laissent glisser des larmes de parfums dans l’air. Et cette chambre est éclairée par sept vitraux myrrhins qui colorent diversement la lumière incompréhensible de sept lampes souterraines.
«Vois-tu, explique la jeune fille d’une voix affectueuse et tranquille, il y a trois lits différents dans les trois coins de notre chambre...»
Démétrios ne répond pas. Et il se demande en lui-même:
«Est-ce bien là un dernier terme? Est-ce vraiment un but de l’existence humaine? N’ai-je donc parcouru les trois autres chambres que pour m’arrêter dans celle-ci? Et pourrai-je, pourrai-je en sortir si je m’y couche toute une nuit dans l’attitude de l’amour qui est l’allongement du tombeau?»
Mais Chrysis parle...
«Bien-Aimé, tu m’as demandée, je suis venue, regarde-moi bien...»
Elle lève les deux bras ensemble, repose ses mains sur ses cheveux, et les coudes en avant, sourit.
«Bien-Aimé, je suis à toi... Oh! pas encore tout de suite. Je t’ai promis de chanter, je chanterai d’abord.»
Et il ne pense plus qu’à elle et il se couche à ses pieds. Elle a de petites sandales noires. Quatre fils de perles bleuâtres passent entre les orteils menus dont chaque ongle a été peint d’un croissant de lune de carmin.
La tête inclinée sur l’épaule, elle bat du bout des doigts la paume de sa main gauche avec l’autre main en ondulant les hanches à peine.
»Ah! c’est le chant des chants, Démétrios! C’est le cantique nuptial des filles de mon pays.
Elle jette son voile loin d’elle et reste debout dans une étoffe étroite qui serre les jambes et les hanches.
Elle renverse la tête en fermant à demi les paupières.
Elle arrondit les bras, et tend la bouche.
Sans remuer les pieds, sans fléchir les genoux serrés, elle fait tourner lentement son torse sur ses hanches immobiles. Son visage et ses deux seins, au-dessus du fourreau de ses jambes, semblent trois grandes fleurs presque roses dans un porte-bouquet d’étoffe.
Elle danse gravement, des épaules et de la tête et de ses beaux bras mélangés. Elle semble souffrir dans sa gaîne et révéler toujours davantage la blancheur de son corps à demi délivré. Sa respiration gonfle sa poitrine. Sa bouche ne peut plus se fermer. Ses paupières ne peuvent plus s’ouvrir. Un feu grandissant fait rougir ses joues.
Parfois ses dix doigts croisés s’unissent devant son visage. Parfois, elle lève les bras. Elle s’étire délicieusement. Un long sillon fugitif sépare ses épaules haussées. Enfin, d’un seul tour de chevelure enveloppant sa face haletante comme on enroule le voile des noces, elle détache en tremblant l’agrafe sculptée qui retenait l’étoffe à ses reins et fait glisser jusqu’au tapis tout le mystère de sa grâce.
Démétrios et Chrysis...
Leur première étreinte avant l’amour est immédiatement si parfaite, si harmonieuse, qu’ils la gardent immobile, pour en connaître pleinement la multiple volupté. Un des seins de Chrysis se moule sous le bras qui l’accole avec force. Une de ses cuisses est brûlante entre deux jambes resserrées, et l’autre, ramenée par-dessus, se fait pesante et s’élargit. Ils restent ainsi sans mouvement, liés ensemble mais non pénétrés, dans l’exaltation croissante d’un inflexible désir qu’ils ne veulent pas satisfaire. Leurs bouches seules, d’abord, se sont prises. Ils s’enivrent l’un de l’autre en affrontant sans les guérir leurs virginités douloureuses.
On ne regarde rien d’aussi près que le visage de la femme aimée. Vus dans le rapprochement excessif du baiser, les yeux de Chrysis semblent énormes. Quand elle les ferme, deux plis parallèles subsistent sur chaque paupière et une teinte uniformément terne s’étend depuis les sourcils brillants jusqu’à la naissance des joues. Quand elle les ouvre, un anneau vert, mince comme un fil de soie, éclaire d’une couronne l’insondable prunelle noire qui s’agrandit outre mesure sous les longs cils recourbés. La petite chair rouge d’où coulent les larmes a des palpitations soudaines.