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Rhodis était toujours assise devant la tête du cadavre. Quand elle vit arriver Timon, elle supplia:

«Ne le dis pas! Nous l’avons volée pour sauver son ombre. Garde notre secret, nous t’aimerons bien, Timon.

—Soyez rassurées», dit le jeune homme. Il prit le corps sous les épaules et Myrto le prit sous les genoux, et ils marchèrent en silence, et Rhodis suivait, d’un petit pas chancelant.

Timon ne parlait point. Pour la seconde fois en deux jours, la passion humaine venait de lui enlever une des passagères de son lit, et il se demandait quelle extravagance emportait ainsi les esprits hors de la route enchantée qui mène au bonheur sans ombre.

«Ataraxie! pensait-il, indifférence, quiétude, ô sérénité voluptueuse! qui des hommes vous appréciera? On s’agite, on lutte, on espère, quand une seule chose est précieuse: savoir tirer de l’instant qui passe toutes les joies qu’il peut donner, et ne quitter son lit que le moins possible.»

Ils arrivèrent à la porte de la nécropole ruinée.

«Où la mettrons-nous? dit Myrto.

—Près du dieu.

—Où est la statue? Je ne suis jamais entrée ici. J’avais peur des tombes et des stèles. Je ne connais pas l’Hermanubis.

—Il doit être au centre du petit jardin. Cherchons-le. J’y suis venu autrefois quand j’étais enfant, en poursuivant une gazelle perdue. Prenons par l’allée des sycomores blancs. Nous ne pouvons manquer de le découvrir.»

Ils y parvinrent en effet.

Le petit jour mêlait à la lune ses violettes légères sur les marbres. Une vague et lointaine harmonie flottait dans les branches des cyprès. Le bruissement régulier des palmes, si semblable aux gouttes de la pluie tombante, versait une illusion de fraîcheur.

Timon ouvrit avec effort une pierre rose enfoncée dans la terre. La sépulture était creusée sous les mains du dieu funéraire, qui faisaient le geste de l’embaumeur. Elle avait dû contenir un cadavre, jadis, mais on ne trouva dans la fosse qu’une poussière brunâtre en monceau.

Le jeune homme y descendit jusqu’à la ceinture et tendit les bras en avant:

«Donne-la moi, dit-il à Myrto. Je vais la coucher tout au fond et nous refermerons la tombe...»

Mais Rhodis se jeta sur le corps:

«Non! ne l’enterrez pas si vite! je veux la revoir! Une dernière fois! Une dernière fois! Chrysis! ma pauvre Chrysis! Ah! l’horreur... Qu’est-elle devenue!...»

Myrtocleia venait d’écarter la couverture roulée autour de la morte, et le visage était apparu si rapidement altéré que les deux jeunes filles reculèrent. Les joues s’étaient faites carrées, les paupières et les lèvres se gonflaient comme six bourrelets blancs. Déjà il ne restait rien de cette beauté plus qu’humaine. Elles refermèrent le suaire épais; mais Myrto glissa la main sous l’étoffe pour placer dans les doigts de Chrysis l’obole destinée à Charon.

Alors, toutes les deux, secouées par des sanglots interminables, elles remirent aux bras de Timon le corps inerte qui pliait.

Et quand Chrysis fut couchée au fond de la tombe sablonneuse, Timon rouvrit le linceul. Il assura l’obole d’argent dans les phalanges relâchées, il soutint la tête avec une pierre plate; sur le corps il répandit depuis le front jusqu’aux genoux la longue chevelure d’ombre et d’or.

Puis il sortit de la fosse, et les musiciennes à genoux devant l’ouverture béante se coupèrent l’une l’autre leurs jeunes cheveux pour les nouer en une seule gerbe qu’elles ensevelirent avec la morte.

ΤΟΙΟΝΔΕ ΠΕΡΑΣ ΕΣΧΕ ΤΟ ΣΥΝΤΑΓΜΑ

ΤΩΝ ΠΕΡΙ ΧΡΥΣΙΔΑ ΚΑΙ ΔΗΜΗΤΡΙΟΝ