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La demeure se compose de deux vastes pièces climatisées. L’une, très grande, où l’on cuisine et où dorment ces dames, l’autre, plus petite et jonchée de tapis réservée à l’usage des deux frangins. Tout cela, naturellement, je l’apprends par Béru, lequel est un driveur d’aveugle de première classe. Il commente tout, au fur et même à mesure, avec la faconde d’un Roger Couderc.

— Gaffe où que tu nougates, Mec ! Y’ a quatorze marches, toutes plus branleuses les unes que les autres. On déboule dans une grande carrée. J’asperge une sorte d’espèce de fourneau. Dans le fond des lits-cigognes. Y’ a cinq z’autres gonzesses. Une vieille mochetée qu’a plus de chailles, une qu’on croirait mulâtresse, une mahousse, une grande habillée de maigre et une toute gamine. On dirait qu’on impressionne le cheptel, la manière que ces friponnes se pressent dans le fond de la taule. Elles nous matent comme si qu’on serait deux pères Noël en caleçon de bain. Sans me flatter, c’est surtout mézigue qu’a le ticket. Elles me perdent pas des lanternes, ces petites mères ! Mais qu’est-ce à z’ont à me dévisager le pantalon ? Oh, merde ! Et moi que je m’en étais seulement pointe aperçu !

— De quoi s’agit-il ?

— Bon gu de bois, ce tricotin, ma révérente mère ! s’écrie le Mastar. Tu verrais ce goumi que je me trimbale, San-A., t’en aurais des vapeurs ! Jamais j’eusse un chibroque pareillement semblable ! Qu’est-ce elle racontait Titine, avec son sorcier qui te fane le kangourou ! Le contraire, oui ! De quoi appeler sa mère en anglais, mon pote ! Le plus formide c’est que je ressens rien ! J’ai la tour Eiffel dans mon calbute et je m’en rendais pas compte. Je vois de quoi ça vient, fils : les fruits paradisiaques que m’a refilés le julot dans la grand-rue de Kelbochibre ! Oh ! ce gouvernail de profondeur, mon neveu ! Les boutons de ma soutane ont sauté ! Je proémine de l’Éminence ! J’ai une mâture, façon goélette ! Putain, c’est pas Dieu possible ! Je reconnais pas Popaul ! Dis, c’est pas à moi un missile pareil ! La fusée à poilau ! On me l’a gonflée au butane ! Je vas éclater ! Et ça disproportionne encore, Mec ! J’ai les jetons ! Les nanas claquent des dents ! Et en plus v’là que la frénésie m’empare ! La digue du derche ! Si je m’en téléphone pas une en priorité, je vais déjanter ! Tiens, la gravosse, là : elle me rappelle Berthy ! Cause-leur, à ces connes. Dis-y que j’ sus pas méchant. Supplie-moi la grosse d’être patiente. Je l’opérerai en douceur. À l’huile d’olive ! Où qu’est la boutanche d’huile d’olive, bordel de Zeus ! Faut que je me plante le baobab d’urgence ! J’ai le feu dans le moyeu ! Allez, la grosse, à la casserole ! Ergote pas ou je t’assomme, sale vache ! Tu vas la fermer, ta grande gueule, hé, morue ! T’auras beau faire, beau dire, t’y passeras, ma vieille ! Pas le moment de faire la fine bouche ! V’là l’homme dans toute sa pothéose ! T’en as déjà reçu pour ta fête, des comme ça, Poupette ? Apprécie, tu reverras jamais plus la même, ou alors au musée de l’homme ! Mince, qu’est-ce c’est c’t’ poufiasse qui astringe du baigneur ! Non, mais ton bonhomme est monté comme une breloque ! Y te fait l’amour avec un porte-clé ! Va te faire aimer par un serin, pétasse ! Tiens, je me vas grimper la vioque, tant pis si elle me cloque la chetouille ! C’ serait bien le diable que je pusse pas usiner avec ce vieux ringard, quoi, merde ! L’est pas tombée de la dernière pluie, cette guenon ! T’as dû drôlement braquemarder du ramoneur, durant le cours de ces cent dernières années, hein, la mère ? Bon, elle dit rien, cette peau ! L’est toute joyce de se faire installer le chauffage central ! Tu parles d’un lot à réclamer ! Vas-y ma cocotte, c’est l’Empire Français qui refait surface !

Quelle scène de folie, mes amis !

Je déplore de ne pas la voir. Mais à l’oreille je peux me faire une idée. D’autant que mon ami, vous l’avez lu, raconte véhémentement ses glorieuses misères.

On vit la scène !

Elle parle, par la bouche du Gros.

Les donzelles lancent des cris, des plaintes, des lamentations, des implorations, des imprécations. Elles sont terrorisées par la brutale vigueur du Dodu.

Il est en transes, Béru.

En tranches !

Sorti de ses gonds.

De son pantalon !

L’a perdu tout contrôle sous l’empire de l’aphrodisiaque. La troisième femme, celle qui nous a introduit (si je puis dire) raconte à travers le tumulte que le voisin-sorcier vient de jeter le sort du brakpaf à Alexandre-Benoît. Elles en sont sidérées ces chéries ! Le prestige du vieux gnome fond à une vitesse grand V. Il perd la face. Son crédit s’évapore. Ses sorts, désormais, on s’en torchonnera le fignedé dans la région. Ça ou les bulles du pape ce sera du kif !

Selon toute apparence, l’Hénorme a trouvé en la vieille chaussure à son pied.

Un pied de toute beauté !

Le pied du siècle !

Elle gazouille comme en son printemps. Elle râle comme en sa future agonie.

Les autres dames en sont bouleversées. Elles finissent par se calmer. On les entend déglutir péniblement. Elles expriment par monosyllabes.

— Il est terrible ! chuchote une d’elles.

— Ça n’a pas l’air de faire tellement mal ? observe une autre.

— Au contraire ! apprécie une troisième (la toute jeune, si je m’en réfère à la voix fluette).

Béru bûcheronne en force.

Cependant qu’il ahane, à son blé qu’il vanne, à la chaleur du jour ! J’ignore où il opère, mais ça fait un boucan du tonnerre. Des objets sont victimes de sa fureur de tringler.

Après beaucoup de bruit et beaucoup de bris, il abandonne sa vieille proie pour l’ombre.

— Ouf ! et d’une ! il annonce. Mais charogne c’était qu’un n’hordœuvre. Doit avoir des rhumatisses, cette carne, pour si peu remuer. J’enfilerais mon pardessus, ça serait plus mouvementé. Dedieu, à qui le tour de ces vierges ? Tiens, la petite friponne, là, qui nous a montré la maison ! Viens voir un peu le sort à ton sorcier, ce que j’en fiche, ma gosse ! Dis, c’est pas du Montélimar pur miel, ça ? Totche-mi, darling ! Véri vigourous, no ? Une mesure pour rien, je viens de battre avec la mère Tatezy. J’en ressors intac. Allez, zou ! Virgule-moi ce gentil bénard, gamine ! Mince, ces loloches que tu coltines ! Et cette paire de meules ! T’es comme saint François : t’as de l’assise ! Vingt Jésus, où que tu vas me chercher un pétard pareil ! À côté de la douairière dont j’ savais pas à quoi me cramponner des mains, tu fais aubaine, chérie ! Avec toi, c’est de la croisière d’agrément ! Un vrai pullmant ! Accoudoirs renforcés, siège anatomique, canaux d’aération à la surface du capitonnage ! T’es conçue pour les longs trajets, ma Toute-belle ! Laisse-toi manœuvrer, j’ai du tact ! Si t’appréhendes tu vas te crisper, et si tu te crispes j’aurai plus de mal à emménager. Dis-toi qu’on arrive à scier des blocs de marbre ! Allons, môme : du cran ! Tu verras comment que tu batifoleras bien des miches, une fois que je m’aurai frayé le passage. Ce sera la fiesta totale, la fête à nœud-nœud ! Une féerie, ma Très-belle. Des délices délicieux. Plus tard, tu raconteras la chose à tes petits enfants, le soir, à la chandelle qui te servira de mecton. Viens qu’on pâme en cœur, Trésor. Mets-y du tien, je ferai le reste ! La vie est courte, mais le mien est long ! Pas de panique, mon Une-belle. Fais-moi c… de velours ! Ah, je devine que tu vas m’aboutir ! T’es belle, tu sais ! C’est chic à toi d’être négresse !

Et Béru s’assouvit pour la seconde fois.

Mais que non ! Assouvir est improprement employé ici. Car, un peu plus tard, il résurge sans avoir réduit ses volumes ni assoupli sa vigueur. Il en gémit de détresse, le pauvre biquet. Il me fait appel.