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— Qu’est-ce que c’est ? je demande aigrement.

Oh ! que je me sens méchant.

Je m’attends à quoi comme réponse ? À une voix de bonniche d’hôtel de passe (polonaise en pantoufles, généralement) demandant si « C’est libre bientôt ? » ou « si c’est nous qu’on a sonné ».

Mais le timbre qui s’élève est masculin. Rocailleux. Il s’est formé à Lavelanet ou à Quillan. Il est péremptoire aussi. Cuivré.

— Ici le brrrrrigadier Poilalat, monsieur le commissairrrrre !

Les bras m’en tombent.

Et le voltigeur à breloques, aussi.

Non, écoutez, je rêve ou quoi ?

J’ai soulevé cette nana en douceur. L’ai rabattue sur le meublé douillet. L’ai grimpée sans crier gare… Et voilà que…

Je réintègre mon slip et j’entrouvre.

Le brigadier Poilalat me salue impeccablement, sans rigoler. Il est d’aspect sédimentaire. Son visage se compose de larges traits horizontaux superposés. Y’ a la tranche de sa moustache, celle de son regard charbonneux, puis celle de ses épais sourcils et enfin la visière de son képi. Il est attaché à la grande Cabane en permanence, Poilalat. Con et précieux comme un chien de garde. Pas moyen d’approcher le Dabe si celui-ci ne vous souhaite pas. Poilalat est à l’affût. Il déboule sur l’importun, le râtelier à demi sorti pour des questions grondantes.

— Mande pardon de vous dérrranger, m’sieur le commissairrrre, mais môssieur le directeurrrr demande aprrrrrrès vous de toute urrrrrgence. Faut que vous le rejoindrrrrez à la Banque de Frrrrance, on vous z’y attend.

Il resalue et fait demi-tourrrr sans même essayer une œillade dans la piaule où Francesca cesse de jouer au cadre noir de Saumur, un chiftir entre parenthèses.

— Hé, Poilalat ! bêlé-je.

Il se retourne.

— M’sieur le commissairrrre ?

— Comment se fait-il que… je veux dire que… que vous m’ayez trouvé ici ?

Il hausse les épaules.

— C’est pas moi, assure cette bête d’assomme, c’est môssieur le dirrrrecteurrrr[2].

Une fureur m’empare.

Ainsi le Vieux me fait suivre, à c’t’ heure ! Le bouquet ! Dorénavant je vais ouvrir l’œil et défoncer la hure du premier ange gardien voletant à mes trousses.

Rageur, je rentre dans la chambre dont je referme la porte d’un coup de talon.

Francesca me contemple autrement.

— Sans blague, t’es commissaire ? murmure-t-elle.

— Un peu sur les bords, bougonné-je en me refringuant.

— De police ?

— Non : du peuple !

Elle sourit triste.

— D’après ce que je comprends, il va falloir qu’on se quitte ?

— Les amours, les délices et les orgues ont une fin, ma beauté. Certes, je ne t’avais pas encore placé ma péroraison, mais tu as tout de même eu droit à une vue d’ensemble du personnage. J’espère que tu n’es pas trop déçue et que tu me feras part à tes relations…

Ayant dit, je noue ma cravate.

— Hé, m’interpelle cette douce obstinée, je voudrais te demander encore une chose…

— De la monnaie pour ton taxi ?

— Pour qui tu me prends ! J’aimerais seulement savoir…

Elle passe la main dans sa crinière inférieure, de ce geste d’auto-tendresse, si gracieux, qu’ont les femmes quand elles se promènent nues.

— Comment trouves-tu mon frisottin ?

Je considère la poignée de paille d’emballage de couleur indéfinissable qu’elle essaie de peigner de sa main en râteau.

La rogne qui me taraude me rend mauvais.

— Superflu, lui dis-je. Si tu trouvais dix-sept autres copines et qu’après vous être rasées vous alliez vous étendre dans une prairie, on pourrait jouer au golf. Et je plante sur son coquelicot le baiser de l’adieu.

CHAPITRE (COMME QUI DIRAIT) SECOND

La pluie a cessé lorsque je quitte le nid d’ivresses de la rue Chialegraine.

Muflement, j’en ressors seul.

Après l’amour l’animal est triste, dit-on ? Moi, je crois surtout qu’il est pressé.

Pressé de larguer sa partenaire.

Il aime à retrouver ses pensées, ses cigarettes et son autonomie. Faut dire aussi que la nana, après brossage, est beaucoup plus longuette que le julot à se remettre en circulation. Une femme est un puzzle, long à construire, rapide à défaire. L’homme, lui, il a le futal à coulisse. Ça va aussi vite dans la phase ascendante que dans la phase descendante. Il s’habille comme une main se gante.

Je me dis tout ça, et en termes beaucoup plus élaborés en dévalant le bref perron de l’hôtel garni où Francesca m’a fait le prêt de sa personne. Hôtel garni de quoi, je vous le demande ? C’est comme les hôtels meublés… En existe-t-il qui ne le soient pas ?

Je file un œil dans cette voie discrète et j’avise un gus sur le trottoir d’en face, occupé à faire semblant de lire un journal. Je dis qu’il fait semblant, vu que le baveux en question c’est La Nation.

Nonobstant ce personnage, la rue est vide, si l’on passe outre les deux canaris d’une concierge dont on a attaché la cage au montant d’une fenêtre (pas la cage d’escalier de la concierge : celle des canaris).

Je traverse pour aborder le quidam. C’est un gars d’environ quarante-sept ans et trois mois, à la face plus grise que son journal, avec des yeux éblouis de spéléologue hépatique refaisant surface après avoir barboté dans la grotte pendant six mois.

— Alors, collègue, je l’interpelle, on filoche les petits camarades, à présent ?

Il feint les innocents.

— Monsieur, il bredouille, je ne comprends pas…

— T’excuse pas, mon pote, lui riposté-je, tout le monde ne peut pas être Einstein.

Et joignant le zest à la parabole, comme disait un garçon de café féru de géométrie, je lui place un triplé enveloppant. En décomposant, ça donne : droite à la pommette, gauche au menton, genou dans le compte-gouttes à aumônières. Un classique du genre. Du genre masculin. Le « nationaliste » se met à faire dodo dans la street, avec une bordure de trottoir en guise (en duc de Guise) d’oreiller.

— Qu’est-ce y lui arrive ? me demande un mec en combinaison bleue qui déboule d’un garage proche.

— Pff, un zig blindé, réponds-je dédaigneusement. Il chantait Les montagnards sont là quand il a pris une syncope. Si vous avez un seau d’eau sous la main, vous pouvez lui faire le coup des clébards polissons.

Là-dessus, je grimpe dans ma voiture et je fouette le cocher.

Direction Banque de France. C’est bien la première fois que le Big Dabe me fixe le ranque dans un endroit pareil !

* * *
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2

Je m’aperçois que j’ai fait prononcer plus haut le mot directeur à Poilalat sans qu’il quadruple le premier « r ». Je vous prie de m’excuser et de trouver ci-joint les trois « r » que je vous dois. « R R R. »