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— L’homme est un robot pensant, soupiré-je.

J’entends rire Félicie.

— Was ? demande Von Hewien.

J’élude et prends congé au bras de ma maman.

* * *

J’ai beau rassembler tout ce que je possède d’allemand, entremêler les suppliques et les menaces voilées, à l’autre bout du téléphone, mon interlocuteur reste intransigeant.

Pas question d’obtenir un rendez-vous du maréchal Von Dechich. Si j’ai quelque chose d’important à lui communiquer, je n’ai qu’à lui écrire. Il ne reçoit personne.

Et là-dessus, le secrétaire raccroche.

— Ça ne va pas ? s’inquiète Félicie.

— Pas fort, non.

Nous sommes dans ma chambre à l’hôtel Tannenbaum. M’man boit son thé dont l’odeur délicate me trifouille la narine. Il y a un silence cruel. Je me sens plus désemparé que jamais. Il me semble que je me berlure dangereusement en espérant continuer mon job en étant aveugle. Un flic miro, accroché au bras de sa vieille mère, vous trouvez que ça fait sérieux, vous ? Policier d’élite présenté par parents ! De quoi se l’accrocher dans un arbre de Noël avec des cheveux d’ange autour et de la poudre scintillante ! Dans la vie, y’a deux sortes de mecs, voyez-vous : ceux qui n’acceptent pas de vieillir, et ceux qui se préparent à mourir.

Faut choisir.

Remarquez que la possibilité de choisir implique que vous appartenez automatiquement à la première catégorie. L’homme qui est capable d’opter est un homme d’action. Mort aux passifs !

Elle flaire mon désarroi comme je hume son thé, la chérie. La v’là qui pose sa tasse et qui vient m’embrasser. Elle me dit d’une voix qui s’efforce :

— Je devine ce que tu éprouves, mon grand. Tu as l’impression que tout t’abandonne et que tout est fini. Je te conjure de ne pas te laisser aller au désespoir. Je sais, tu m’entends ? Je SAIS que ça va aller. Ton salut est proche… Moi, ta mère, je te le dis, parce que je ne peux pas me tromper à propos de tout ce qui te concerne. J’ai des antennes, Antoine…

On se berce mutuellement. Dans ces cas-là, allez donc savoir lequel désendolore l’autre. Je balbutie des « oui-bien-sûr » peu convaincus. Faut tenir, San-A. T’accrocher, mon mec ! Coûte que coûte. Te dire que lorsque ça ne peut pas aller plus mal, ça ne peut qu’aller mieux…

Alors, à cet instant, mes amis. Oui, à ce moment précis. À cette seconde même. Au creux de notre émotion, retentit un chant.

Il est tout proche.

Il est vibrant. Épais. Français.

Les paroles m’en sont familières…

Si les bonnes d’enfant N’aimaient pas tant les militaires, À la Charité Y aurait pas tant de nouveau-nés !

Félicie s’écarte de moi.

— Mais, Antoine, s’exclame-t-elle, ne dirait-on pas ?…

— Bien sûr, M’man ! C’est LUI !

Et, oubliant ma détresse, je me mets à beugler comme trente-six bœufs assoiffés, la suite de ce pot-pourri de notre folklore national :

Oui, j’ le veux ! Le petit affaire, si joli, si mignon De la petite Suzette !

À côté la voix s’est tue. Elle reprend pour lancer un « Ben merde, ça alors » qui me chauffe l’âme.

Et dix secondes plus tard, Béru tambourine à notre lourde !

— Faut le voir pour y croire ! déclare-t-il. Si je m’aurais attendu… Mais qu’est-ce vous faites z’ici, les deux ?

— Et toi, Gros ? contre-attaqué-je, comme chaque fois qu’il me pose une question.

— Moi, dit-il, je sus venu rapport à l’enquête, toujours. J’ai rendez-vous av’c un maréchal en retraite que ce con-là a la marotte de collectionner des dirigeables.

* * *

C’est démentiel, nein ?

Ramoliteux.

Faraminesque.

T’en as le cerveloche qui poisse.

Les cellules qui s’égrènent comme du corinthe secoué.

Tu sais plus par quel bout te choper.

— Rendez-vous avec le maréchal Von Dechich ! écrié-je.

— Tiens, tu sais son blaze !

— Explique, Béru ! Explique vite !

L’homme au mystère entre les dents fait claper sa menteuse contre des chicots bourrés de reliquat savant de répondre. Enfin, il se décide.

— Vois-tu, déclare le Proéminent, dans c’t’ affure, ce dont j’étais tracassé, ce fut par le dirigeable. L’emploi d’un tel fourbi à notre époque me paraissait chronique-anarchiste[23]. J’ai tubophoné à S. V. P. pour savoir si qu’on fabriquait encore des zinzins de ce genre. Il me fut répondu que non. C’t alors que l’hazard se catapulta dans mon horizon. M’étant rendu chez le toubib, hier, pour lui causer de ma délicate infirmité dont tu sais, je trouvai un numéro de Sciences et Vie dans son salon-à-poireauter. Y’avait, sur la revue que je te cause, un grand t’article sur ce maréchal Von Dechich qu’est le dernier collectionneur de dirigeables en Europe. Moi, tu me connais ? J’ai un pif gros comme…

— Un groin ? proposé-je.

— Exaguetely, remercie le Mastar. Quèque chose m’a fait tilt sous la coiffe et je radinai fissa, tout médecin cessant, à la maison poulardin pour me faire prendre un rembour avec le maréchal.

— Il ne reçoit personne, soupiré-je.

— C’est ce dont il fut répondu à mon interprêtre. Seulement, comme j’ai du chou et la manière de m’en servir, un moment plus tard, je repiquais au truc en prétextant que j’avais une montgolfière à brader, vu qu’elle m’encombrait le grenier, et recta le maréchal Von Chose m’a filé la ranque pour la fin de c’t aprême…

— De première bourre, apprécié-je. Je rends hommage à ton ingéniosité, Gros.

Il reclape de la langue en déclarant que ces foutues saucisses germaniques ont du corps, un goût de fumé pas désagréable, mais qu’elles filandrent par trop. Puis, d’un ton de prélat en requête chez la marquise, il murmure :

— Si t’aurais une heure à me concrétiser et que ça n’ennuille pas ta maman, je voudrais que tu vinsses faire une course avec moi, San-A.

— Où cela ?

— Tu le verras bien.

Vivement, il s’excuse :

— Enfin, c’est manière de causer.

* * *

— Où m’emmènes-tu ? bougonné-je.

Il marche vite en me cramponnant par le bras. Je dois avoir l’air d’un malfrat alpagué.

— C’est rapport à mon infirmité, assure le Béant.

— Tu veux parler de ta tricotine ?

— Soi-même.

— Elle ne se calme pas ?

— Que tchi ! Et pourtant les trois jours que ça devait prétendument me durer sont révolutionnés. Maintenant, je m’installe dans la godanche inguérissable, Gars. Je fonce à la pointe comme primitivement je fonçais au bistrot. Me faut une demi-douzaine de gerces par jour pour me garder les idées nettes. Quand j’sus en déplacement, à court de cheptel bénévole, faut que je rabatte sur la radasse professionnelle, ce qu’allonge ma note de frais.

— Et c’est dans le quartier réservé que tu m’embarques ?

— Pas si réservé que ça, gouaille le Monumental. On y trouve des gretchenes qui planturent du balcon, espère ! Mon avis est qu’un petit viron dans l’extase te changerait les idées, fils. À t’emberlificoter dans tes sombres idées tu tournes au rat de cave.

— Je n’en suis encore pas réduit aux tapins, clamé-je.

Béru ahane de colère.

— Dénigre pas le plus vieux et le plus beau métier du monde, camarade ! Y sont tous à faire la fine braguette quand on cause de prostiputes, mais ça les empêche pas de s’en régaler en douce. Quelle honte y’a-t-il à employer la main-d’œuvre qualifiée, j’aimerais savoir ! Quand t’as une chaille qui branle au manche, tu demandes pas à ton voisin de palier de te l’arracher, si ? Tu files droit chez un dentiste bardé de brevets ! Dans l’eau-cul-rance, pour te défricher l’intime, rien ne vaut une personne expertisée. Allez, rouspète pas, c’est ma tournanche ! J’ai retapissé tout à l’heure une momasse qu’est pas mon genre, mais qui me paraît sembler être le tien à dix sur dix ! Blonde, grande, mince, pas chouchouille de loloches, mais des yeux pervenche. Des cils de biche en vapeur. Et qui fume avec un fume-cigarette façon Marlène Diète-Riche, long d’au moins cinquante centimètres. Tiens, on arrive justement. Je l’entrave derrière sa vitrine. Elle porte un eskimono noir, à fleurs rouges, qui lui met la blondeur en valeur. Elle nous sourit. Souris-y, par politesse ! Entrons, je te dis. Tu peux toujours lui causer si t’as pas envie de te foutre à l’établi pisque t’as la veine de jacter chleuh. Mince, tu verrais cette langourance qui lui dévale des lampions ! Mazette, elle doit pratiquer des trucs rarissimes. Elle aurait seulement dix kilogrammes de tétasse, je me la payerais, textuel ! On sent la personne cultivée, instruite et tout. Je la situe fille d’ancien ministre nazi obligée de gagner l’entrecôte de son vieux père en prenant du baigneur. Le genre de madone qui te récite les poèmes du Victor Hugo boche entre deux langues fourrées princesse. Elle nous fait signe. Déjà elle tire son rideau pour montrer qu’elle vient de baisser le drapeau du compteur. Y’a plus à hésiter, San-A. Fais-moi plaisir, grimpe Mlle Gretta. Elle s’appelle Gretta, c’est écrit dessus, comme le port salut.

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23

Transcription faite, Béru aurait voulu dire « anachronique ».