« Ça se b… un prénom pareil, enfin quoi, merde !
Vaincu par sa fougue, je cède à ses exhortations.
Et comme bien m’en prend, vous l’allez voir un peu plus tôt qu’incessamment !
Fräulein Gretta, je ne puis la voir, mais je dois convenir qu’elle semble correspondre à la sirène décrite à l’extérieur par l’éminent Bérurier. Sa voix est rauque, son rire distingué. Elle fume un tabac opiacé et son logement feutré sent la plante de serre.
— Französisch ! roucoule-t-elle en pâmant de la gorge.
Elle approche de mes lèvres sensuelles une bouche parfumée dont l’haleine tiède est déjà de l’amour. Je caresse ses cheveux soyeux, longs et souples… On s’embrasse presque voluptueusement.
— O. K., je vous laisse, déclare Béru, satisfait comme une tante marieuse venant de réussir un doublé avec deux couples de jumeaux. J’sus tout à côté, Mec, chez une gravosse façon baobab qui me paraît mériter ses trois étoiles au Michelin de la tapinerie. Bouge surtout pas, le temps de m’éponger le trognon et je reviens te chercher. Attends que je casque ton orgie ! Tenez, ma petite Gretta, un beau bifton de la Deutsche Bank, tout neuf, pour vous acheter des dessous troublants. Surtout épargnez pas la vertu de mon copain. C’t un téméraire de pucier, un vrai petit salingue, bien déluré, qu’a pas peur des papouilles en chaîne. Sortez-y le grand jeu, ma gosse. Le grand léchelème, comme on dit au bridge. Allez-y de vos dernières nouveautés, petite fille. S’il serait content à mon retour, je vous aboule une prime de bonne volonté. Mais faut que vous lui assurez un travail soigné, hein ? Il aime pas le bâclage, Antonio. C’est pas son genre. Il a trop l’habitude des apothéoses pour se contenter d’un petit coup vite fait sur le gaz. Votre devise, c’est la Bochie au-dessus de tout s’ pas ? Prouvez-le !
Sur ces fortes paroles, il se retire.
Gretta me fait allonger sur un divan moelleux. Elle me défringue savamment, en émettant des soupirs extrêmement bien venus. Moi, que voulez-vous, je laisse flotter les rubans. Elle m’a l’air de connaître son turf, la Fräulein. L’amour à l’handicapé physique, parfois, ça a du bon. L’homme d’action contracte une fâcheuse habitude : il prend toujours l’initiative. Or, la passivité a du bon de temps en temps. Le repos du guerrier, le vrai, c’est ça : un abandon. Pourquoi il va chez Mme Claude, l’homme moderne, guerrier cardiaque des tracasseries contemporaines ? Pour se laisser déboutonner, uniquement ! Figue-figue pan-pan, bien sûr ! Mais avant toute chose, ce qu’il veut, c’est qu’on lui dégrafe le futal. Il en a tellement mare de tant d’ennuis que, pour lui, l’emblême du bonheur c’est une déculottée par des mains vigilantes. En lui ouvrant la braguette, on lui donne de l’oxygène. On lui ensoleille la fatigue.
Elle a des gestes d’une infinie délicatesse, Gretta. Des mains pieuses pour te manœuvres la défroque, t’en écosser en souplesse. Une magicienne ! Elle, c’est la mâtine des magiciennes ! Tiens, çui-là je l’offre à notre bienheureux Louis Pauwels.
On se sent en confiance entre ses griffes probablement laquées rouge. C’est de la personne consacrée au bitougne corps et âme. On traverse une époque de positivisme propice au bon renom de la prostitution, les gars. Jadis, les putasses étaient des aigrefines pas consciencieuses, vilainement cupides, qui te vidaient davantage le portefeuille que les bourses. Des vraies roulures malhonnêtes. Épongeuses voraces. Basses ogresses sans scrupules. Détrousseuses de morlingue. Feignantes en plein. Mesquines ! Et mal embouchées si je puis me permettre. Quand elles glissaient une main dans ton grimpant, c’était pour y cueillir les biftons que t’essayais de leur soustraire. Ah ! les abominables gueuses. Entôleuses. Avec un grand méchant toujours à portée de voix, prêt à venir te virer à coups de lattes dans les noix. Sans compter qu’elles te poivraient pire que les mignons gigots de Baumanière, pour couronner. Il n’est que de lire les souvenirs des grands messieurs : la chetouille à tout bout de champ, ils chopaient. Très pernicieuses, à t’en liquéfier le cerveloche !
Heureusement, de nos jours tout a changé. Les tapins sont devenus honnêtes. Ils ont découvert la probité professionnelle. Y’avait trop de concurrence de la part des civils. Si elles n’avaient pas changé de tactique, sorti la grande technique, saupoudré le boulot de scrupules, elles allaient à la déroute intégrale, les horizontales. Alors, par nécessité, elles se sont fait une morale. Une esthétique ! C’est devenu une espèce d’apostolat, le turbin. Du costaud. Tiens, je te prends les Japonais : pour devenir réellement concurrentiels, y’a fallu qu’ils moulent la pacotille. Bye-bye, le réveille-morninge à deux balles qui perdait ses légumes à sa première sonnerie. Dorénavant ils font la pige aux Teutons, ce qu’est pharamineux comme prouesse industrielle. Pour les radasses, c’est du kif-kif au même. The quality, mes frères ! Des inventions nouvelles ! Un acharnement d’abeille !
Gretta, elle est à la pointe de la nouvelle vague, côté boulot. Elle a le respect du Deutsche Mark, la chérie. Elle paie argent-contente. Se prodigue en connaissance des causes.
La v’là donc qui me décarpille entièrement, en entrecoupant de gentillesses. Moi, je chique au paresseux intégral. J’inertise, je béate pour me relaxer en profondeur.
Pourtant, au bout d’à force d’être passif, je me dis qu’il faut me manifester un peu. Y foutre du mien ; faire un geste ! Mettre la main à la pâte, quoi !
Alors je la mets !
Vacheteté d’Adèle, cette commotion !
Vous savez ce que je découvre ?
Un homme !
Pas un champion du manche, mais enfin, il est caractéristiquement de sexe masculin, Gretta !
Tel que, il ferait pas chialer de désespoir un roi noir, mais enfin, quoi, c’est un bonhomme.
Moi, des abus de confiance pareils je ne tolère pas.
Voilà que la plus terrible des rognes me saute dessus. M’envahit, me dévaste. Je déborde comme du lait bouillant. Une colère pareille, franchement, je me souviens pas en avoir jamais ressenti d’aussi forte. Elle me part des pieds. Elle me grimpe le long des cannes. Me fait trembler. J’ai des chaleurs. Des frissons glacés. Des sortes de bestioles multi-patteuses m’arpentent. Je pousse des grondements, des geignements.