Un huissier en uniforme d’huissier de la Banque de France m’accueille et me drive majestueusement par de larges couloirs clairs et grassement moquettés jusqu’à une porte capitonnée comme un écrin de chez Cartier[3].
L’huissier presse un timbre discret. Une loupiote orangée, non moins discrète, s’allume alors, au-dessus de la porte et je suis introduit comme un Grec dans le cabinet de travail (à partir d’une certaine hiérarchie, un bureau devient un cabinet de travail) du gouverneur honoraire adjoint de la Banque de France.
Quatre personnes se trouvent réunies autour d’une large table d’acajou qui serait probablement rectangulaire si on ne lui avait rogné les angles pour la rendre ovale. Y’ a là un petit monsieur grisonnant bas, avec des favoris frisés qui lui tombent sur les épaules, un grand monsieur auquel il reste quatorze cheveux soigneusement collés en travers de son crâne, un Noir albinos qui fait penser au négatif d’un Noir non albinos et enfin mon vénéré directeur. Ces gens sont graves, amidonnés, et vêtus de la Légion d’honneur, à l’exception du Noir qui ne sera décoré que demain, car c’est la première fois qu’il vient en France.
Ces solennels personnages arborent des mines à la fois ravies et soucieuses. Seul, le Vieux se lève à mon entrée.
— Messieurs, annonce-t-il, je vous présente mon meilleur collaborateur : le commissaire San-Antonio.
Je m’incline, rougissant comme une rosière qui vient de saisir la zézette d’un monsieur dans le métro, croyant qu’il s’agissait de la poignée de la porte.
Cette annonce pompeuse devrait se ponctuer d’un roulement de tambour. Faute de batteur, je dois me contenter d’un sextuple roulement d’yeux. Le Vioque me prend alors familièrement par le bras pour me présenter les assistants.
— Monsieur Delfosse-Mornifle, Gouverneur Honoraire adjoint de la Banque de France, me dit-il en me désignant l’homme aux quatorze cheveux en long.
— Monsieur Perlouze, Président Temporaire des joailliers de France, ajoute mon estimé patron en montrant le petit gus aux favoris traînants.
Il désigne enfin le Nègre-blanc et déclare :
— Son Excellence, monsieur Césarin Tavékapalimé, ministre des Affaires Étrangères de la République de Tathmaziz, laquelle, vous ne l’ignorez pas, se trouve en Afrique, croit-il bon de préciser afin de m’éviter postérieurement un impair.
Je serre des mains.
Des mains sèches de gens qui n’ont rien à branler et qui le font consciencieusement.
Un siège m’est désigné, sur lequel je dépose ce qui me sert à faire de l’équitation à mes moments perdus.
— Mon cher ami, attaque le Vioque, nous allons vous narrer une bien surprenante histoire…
Delfosse-Mornifle fait claquer ses doigts.
— Auparavant, dit-il, j’insiste pour que le commissaire San-Antonio prête serment.
Le Boss sourcille.
— Monsieur le Gouverneur-adjoint, dit-il, mes collaborateurs ne sont pas des concierges et leur discrétion est totale.
— Je préférerais cependant, insiste l’autre, plein de morgue. L’affaire est trop importante pour que nous ne prenions pas toutes les précautions. Monsieur, m’affronte-t-il, jurez-vous de garder le secret sur ce qui va vous être révélé dans un instant, et de n’en parler à personne, sauf à vos collaborateurs éventuels, desquels vous exigerez le même serment ?
Je souris, lève la main droite et proclame un : « Je le jure » comme vous n’en avez jamais entendu dans « En votre âme et conscience ».
Delfosse-Mornifle opine.
— Très bien, allez-y, monsieur le directeur.
Le Vieux toussote dans le creux de sa main. Mettant cette légère diversion à profit, le ministre noir-albinos place un démarrage fulgurant.
— Moi, je t’y raconte ! dit-il. Ti connais mon pays ? C’est kif-kif Sahara… Des cailloux ! Une noasis par-ci par-là… Li seule industrie c’est le soleil. J’y dis mon gouvernement : faut vendre li soleil. Et j’y créié tourisme. J’y fais li Clube Atlantique. Mieux que même chose Clube Miditerranée. Bono, ti comprendre ? Bravo !
— Son Excellence a créé un village de toile dans le massif du Zobmastar, annonce le Vieux, désireux de réemparer la converse.
Mais l’albinoir ne se laisse pas feinter.
— Toi, t’as pas d’ chiveux, alors la ferme, coupe-t-il sévèrement. Et il repart.
— Ji fais le nauguration de la station tourismique avec notre primier client, missié Edgar Sentrin, un francé n’employé de la Cénecéef. Grand vin de palme d’honneur. Beaucoup mouton. Li chanté Marseillaise en breton, très rigolo. Bono, ti comprendre ? Bravo ! Missié Sentrin li venu avec son bonne femme. Très gentille, joulie, gros nichons, plus gros que fille tribu Lolo-Mahous. Li femme di missié Edgar Sentrin perdu son slip pendant li vacances…
— Son clip, rectifie le Président Temporaire des joailliers de France.
— Oui : son éclipse, comme y dit ci petit con, admet volontiers l’albistrot. Beau éclipse doré, qu’elle avoir trouvé dans un paquet de Bonux. Tri pricieux. S’est mise à le chercher partout, midame Sentrin… Tout fouille li région du Zobmastar. Mais ne l’a pas revu, jamais plus. Moi ji pritends condor lui voler. Dans le Zobmastar beaucoup de condors-pies. Tout ça qui brille, li condor : hop dans la poche ! Chi nou, le condor-pie, on n’y appelle un pie-pocket.
— Elle a trouvé beaucoup mieux, par contre ! affirme le Big Boss en caressant sa boîte crânienne, entièrement sculptée dans de l’os.
— Ça, ti l’as dit, bouffi ! exclame Son Excellence. À la place de l’éclipse, li trouvir diamant, figure-toi.
— Des diamants ! m’écrié-je, stupéfait.
— Un seul, précise le Gouverneur Honoraire adjoint de la Banque de France.
— Mais de taille, ajoute M. Perlouze.
Le Vieux ne permettrait à personne d’autre de m’assener LA révélation.
Il étend ses deux bras, comme le Christ du Corcovado dont on dirait toujours qu’il s’apprête à plonger dans l’abbé de Rio.
— Attendez, attendez, messieurs ; implore-t-il.
Et, à moi, d’une voix doucereuse de Raminagrobide contemplant une souris dont la queue est coincée dans les mâchoires d’un piège avant que de l’être dans les siennes.
— Devinez combien pèse ce diamant, mon bon San-Antonio.
J’évasive.
— Ma foi, monsieur le directeur…
— Si, si : dites un poids.
Le Président Temporaire des joailliers, entrant dans le jeu de la devinette, m’apporte un élément de comparaison. Le Cullinan, le plus gros diamant connu, pèse 3 025 carats, soit un peu plus de 600 grammes.
— Eh bien, je dis 500 grammes ! lancé-je hardiment.
L’albatros se claque les jambons.
— Li encore plus con que toi ! affirme-t-il à Perlouze.
Le Vieux me prend aux épaules.
— Deux tonnes ! lance-t-il à brûle-machin.
— Comment ça, deux tonnes ? bredouille le cher San-Antonio[4].
Les trois Français mugissent pire que ces féroces soldats qui, il n’y a pas si longtemps encore, venaient jusque dans nos bras égorger nos fils et embroquer nos compagnes.
— Parfaitement : deux tonnes ! clament-ils à l’unisson.
Le favorisé Perlouze tire à pleines mains sur ses rouflaquettes.
— Record absolu et inégalable, fait le petit bonhomme (il est si petit qu’il a l’air d’être vu de loin). Le Koh-i-noor, le Florentin, le Grand Mogol ne sont que des pois chiches en comparaison. L’Orlow, la Croix du Sud, l’Excelsior ? Des grains de millet, monsieur le commissaire ! Notre Régent ? Une babiole. Un pet de carbone ! Cette découverte bouleverse toutes les données, toutes les valeurs. C’est l’Événement du XXe siècle La bombe atomique ? Tenez : fumez ! Les hommes sur la lune ? Mon c… ! En cherchant son clip, la dame Sentrin a révolutionné l’univers ! Quand je pense que ce cher nouveau pays, la Tathmaziz, s’est tourné vers la France pour négocier la chose !
3
Depuis le temps que je leur fais de la pube, à ceux-là, ils pourraient m’envoyer une babiole. Mais y’a que chez Opinel et chez Banania qu’on sait vivre. Quand je pense que des boîtes me proposent une fortune pour que je les mentionne et que je les envoie chez Plumeau ! Je suis dingue, je vous jure.
4
Pas si cher que ça d’ailleurs. Visez un peu les prix des bouquins chiants, comparés aux miens. Je suis donné !