Je connais, j’ai été client ! Pigeonné de première ! À présent je sais. Dès que me déboule un mec, je recroqueville et j’attends. Oh, pas longtemps. Ça vient vite ! Une piqûre de moustique ! La bestiole t’inocule sa saloperie au milieu d’un sourire. Mais je déblate, je proteste pour la peau. À quoi bon ? C’est pure perte ! Excusez-m’en. Je vais revenir à l’action, ne m’en écarterai plus avant le mot fin, juré ! Mais si vous saviez, ces tristesses, parfois…
Je voulais vous narrer Béru en train d’embourber l’ogresse. La manière futée qu’il s’y prend pour lui remonter le sentier de la vertu à cette avalancheuse mégère. Car elle a des proéminences inouïes à contourner, Poupette ! Devant, derrière, en haut, en bas… Drôlement caparaçonnée, la fillette ! Des loloches comme deux bonbonnes ! Un bide de vache pleine ! Des meules en édredon de grand-mère ! Des cuisses où cascadent les bourrelets ! Ah, croyez : elle est duraille d’accès, Frau Machin ! Pour la visiter, y a du travail de défrichage à accomplir.
Lorsque je les rejoins, attiré par la qualité rarissime du spectacle, Béru achève tout juste de placer sa partenaire. L’on dirait qu’il procède à la mise en position d’une pièce d’artillerie. Y’a également un côté Barnum dans tout ça. Une ingéniosité bien française ! Un sens réaliste de la situation qui confine au gaullisme de l’époque tricolore.
La baleine est allongée sur un lit de repos, le buste en légère surélévation, grâce à l’utilisation d’une pile d’oreillers. Ses jambes sont placées, de part et d’autre du lit, sur les accoudoirs rembourrés de deux prie-Gott bas. Afin que la passive personne ne soit pas tentée, l’ankylose jouant, de les ramener en cours d’action sur la coloquinte de son compagnon, l’astucieux compère a suspendu une chaise à chaque pied de Frau Chose. Dès lors, il ne lui reste plus qu’à perpétrer son forfait, en s’aidant des genoux et surtout des mains pour écarter les derniers obstacles. Pour ceux qui n’auraient pas compris, je peux organiser une séance explicative, avec projections en couleurs, graphiques détaillés et bruitage personnalisant. Tout pour votre agrément, les gars. Je suis le seul auteur qui se mette à la portée du lecteur, moi. J’en ai rien à branler de m’asseoir par terre pour qu’on puisse causer en tête à tête, craignez pas ! À plat ventre dans la gadoue, pour me mettre à votre unisson.
Une fois installé dans sa forteresse, Béru prend un panard somptueux. C’est le beau labeur paysan. Le chant du terroir. Du Victor Hugo… Il marche dans la plaine immense, va, vient, jette la graine au loin. Rouvre sa main et recommence. Et je médite, obscur témoin…
On ne comprendra jamais les réactions de certaines femmes, pendant l’acte.
Celle-là, par exemple, est certainement ravie de la séance, pourtant sa satisfaction reste purement cérébrale. Elle garde un self-contrôle de toute beauté.
— Vous n’avez pas laissé sortir le chien, quand vous êtes rentrés ? demande-t-elle en allemand-vagissant.
Question assez saugrenue, compte tenu de sa position et des soins attentifs qui lui sont prodigués.
Je m’autorise de mon droit imprescriptible à la conversation pour m’avancer et lui donner la réplique.
— N’ayez aucune inquiétude, chère madame. Vous êtes l’épouse de Karl ?
— Oh, nein ! Sa sœur. Nous ne sommes pas mariés, ni lui ni moi. Notre vénérée mère m’a fait jurer à son lit de mort de ne jamais abandonner Karolus, mais j’ai bien du mérite à m’occuper d’un vaurien pareil, allez…
— Qu’est-ce é déconne ? s’inquiète le Gros (qui pour sa part fait exactement le contraire). Elle va au fade où si é demande l’heure des trains pour Sainte-Hélène ?
— Ça marche, Gros, t’es en train de gagner la Croix de Fer avec mention spéciale, le rassuré-je charitablement. Dans mon château fort intérieur, je me dis que, sitôt terminée cette foutue enquête, va falloir le soigner, Béru. Le guérir de ces élans répétés qui lui feront commettre des attentats à la pudeur dans un avenir proche si son goumi périclite pas.
— Vous étiez au courant de ses affaires ? demandé-je à la dondon.
Elle gronde sauvagement :
— Pensez-vous ! Et je n’y tiens pas. Elles ne doivent pas être reluisantes !
— Vous êtes au courant d’une transaction récente qu’il aurait opérée à propos d’un dirigeable.
— Lui, un dirigeable ? bée-t-elle.
Tiens, j’y pense, mes lambines, c’est à ça, qu’elle ressemble, Fräulein Steiger : à un dirigeable. Gonflé à éclater et râpoteux de la baudruche. Ouais, parole : un dirigeable à poils !
Bon, elle ignore. Décidément, devait pas y avoir beaucoup de liant dans les relations des frangins.
— Le maréchal Von Dechich, ça vous dit quelque chose ?
— Heil Hitler ! barrit l’éléphantasque.
— Metz encore, chère mademoiselle ?
— Un après-midi, Karolus m’a chargée d’un message. Quelqu’un devait lui téléphoner. « Tu diras à cette personne de me rappeler chez le maréchal », m’a-t-il ordonné. Je lui ai fait remarquer qu’il recevait beaucoup d’appels téléphoniques et qu’une confusion risquait de se produire s’il ne me donnait pas le nom du client en question. « Demande simplement s’il est bien le monsieur de Brême. » Voilà tout. Ainsi, Karolus connaît le glorieux maréchal von Dechich ?
Elle n’en casse pas plus. Brusquement son regard chavire. Sa respiration se précipite. Des spasmes la parcourent et l’on voit frissonner sa peau comme la surface d’un étang à la brise du soir…
— Ach ! Mais il me fait quelque chose, râloche-t-elle. Mais qu’est-ce qu’il me fait ?
Son sensoriel qui finit par lui transmettre les ondes de choc propagées par Béru, z’enfants ! Dans une masse pareille, faut du temps pour établir le circuit. Moi, pudique, je la laisse à ses félicités. Béru sort sur mes talons. Avant de passer le seuil il la regarde vrombir et trémousser de la masse. Ça ressemble à quelque éruption volcanique. Elle strombole drôlement du cor des Alpes, mam’zelle Steiger.
— Tu vois, soupire le Dodu, avec un vaisseau de c’tonnage, faudrait z’être deux : un qui la place sur son orbite, comme je viens d’assurer, et un qui touche les dividendes. C’est un peu dommage que cette chérie s’extasiât à blanc ! Je l’ai branchée sur le pilotage automatique, seulement y’ a personne à bord pour sa traversée du cosmétique. Elle allunit en ermite. M’est avis qu’elle devrait consulter sur son problème, je suis pas toubib mais je parierais que ses glandes font de l’auto-allumage !
Nous nous en allons discrètement, après une caresse à Médor.
— À quelle heure on arrive à Carte ? demande Sa Majesté.
— Comment ça, à Carte ?
— T’as pas dit qu’on allait à Carte ?
— À Brême, hé, Truffe !
Le Bouillaveur d’élite hausse ses robustes épaules de portefaix :
— Carte ou Brême, c’est identiquement pareil, assure l’éminent pléonaste. Tu ne vas pas nous péter une pendule parce que j’invertis deux mots homonymes ! Avec toi, on dirait grammairien de valable ! T’es un vanneur, San-A. Ton peu de culture, faut que tu la cotes en Bourse. T’ostentes, quoi ! De toute manière, conclut-il, j’ai faim.
Le mot lui fouaille l’entraille. Béru prend une expression propre à illustrer le martyre d’un hépatique :
— J’ai faim, redit-il, pour l’intensité de la rime.
Silence. La route se déroule sous la pluie. Je double des voitures lambineuses.