Il saute au cou de l’albichose et l’embrasse.
— Ah, j’en avais tellement envie, s’excuse-t-il. C’est trop beau, trop grand ! Merci ! Quel geste fraternel ! Quel discernement ! Quelle clairvoyance ! Quel…
— Quel con ! tranche le blanc-cassé en s’écartant. Si ji demande à la France ti vouloir le gros caillou ? ci pour le térêt de mon pays.
Et, me jugeant, — j’espère et suppose — interlocuteur plus valable que les autres, il m’affranchit.
— J’ ti disais, l’industrie de mon pays, ci le soleil, Bon, mais quand y vient le sison di pluies, hein ? Qu’est-ce j’y fais pour tirer le touris ? Voir mon zob ? Bon, mais mon zob ti crois qui l’est à vendre ? Pas bono : macache ! Alors ji propose la France le marché suivant : je t’y change mon diamant contre même poids di statues nègres de Vallauris. Li statues, j’y dis partout : art local. Tout le monde, y vient voir et y dit que ci beau l’art nègre local. L’achète mes statues, je rachète di statues à Vallauris et si de suite. La Tathmaziz li devient gros producteur tourismique. Bono, ti comprendre ?
— Merveilleux ! conviens-je.
L’albinocle cligne de l’œil et me chuchote à l’oreille.
— Et en plus, j’y dis à la France : c’est toi ti paies le transport. Et la France dit Oui. La France toujours aussi conne, ti d’accord ?
— Excellence ! s’élève le Vieux, ne moquez pas l’esprit de coopération d’un pays qui a su, en temps et en heure, abdiquer toute tutelle sur des peuples…
— Toi, t’as pas de chiveux, alors ti fermes ta gueule ! réitère le ministre pour qui la calvitie est une forme de déchéance.
Le Gouverneur nanana truc de la B. D. F. se met à tapoter son bureau avec une règle de Troyes en ébène de la région.
— Venons-en aux faits ! dit-il si sèchement que sa voix donne soif.
En venir aux faits : mon rêve !
Car je suppose que ces hautes personnalités attendent quelque chose de moi et franchement je ne vois pas ce dont il peut s’agir.
— Tout porte à croire que la nouvelle a transpiré, déclare le vieux.
— Ci parce qui y fait chaud en Tathmaziz, assure dédaigneusement le ministre des affaires étranges.
Le Daron poursuit.
— Le couple Edgar Sentrin a été assassiné, San-Antonio. On a retrouvé le mari et la femme dûment trucidés sous leur tente. Lui avait été torturé sauvagement et ses tourmenteurs, avant de partir, ont placé ses testicules dans la bouche de son épouse.
— Ci pas un tathmazizien qu’il a fait ça ! affirme Tavékapalimé avec force. Dans mon pays, quand ti couper les roustons d’un homme, ti lui mets dans la bouche à lui, jamais à sa femme, ci pas convenable. Moi j’y toujours fait comme ça.
— Il est probable que Sentrin a parlé avant de mourir, reprend mon vénéré chef. Il faut agir vite.
— Qu’entendez-vous par « agir vite », monsieur le directeur ?
— Pour ramener le diamant. L’opération doit se dérouler dans le plus grand secret. La France enfermera ce prodigieux bloc dans une chambre forte et taira son existence, car cela bouleverserait tous les cours…
— Vous voulez dire que ce serait l’effondrement ! glapit Perlouze. Je frémis en songeant à la catastrophe que représente cette monumentale pierre pour l’économie des pays occidentaux.
— Alors que si l’opération est habilement menée, une ère de prospérité s’ouvrira pour l’hexagone, messieurs. Notre balance sera enfin équilibrée, grâce à un morcellement et à un écoulement à long terme du bloc, prophétise doctement Delfosse-Mornifle.
— C’est vous qui allez diriger le rapatriement du diamant, mon cher, coupe le Dirlo.
Il m’entraîne près de la fenêtre. Une carte de la Tathmaziz est épinglée au mur. Le Vioque me désigne un point rouge sur la carte :
— Ici l’endroit où gît le diamant. Vous le voyez, il est à la limite ouest du massif du Zobmastar. Il s’agit donc de lui faire traverser la partie occidentale de la Tathmaziz pour l’amener jusqu’à l’aéroport de Kelbochibre, la capitale, sur la côte Atlantique. Entre le massif du Zobmastar et Kelbochibre s’étend la vaste zone marécageuse de Kelmerdouilh. Une espèce de digue routière la traverse. C’est cette voie unique qu’il vous faudra emprunter. Vous aurez une escorte d’une vingtaine d’hommes, des mercenaires recrutés dans un pays voisin, belges ou français pour la plupart. Ce sont des durs à cuire. Ils doivent ignorer la nature du caillou convoyé. Officiellement il s’agit d’un prélèvement minéral destiné à être analysé en France pour que soit déterminée l’importance du minerai qu’il contient. Vous disposerez de trois véhicules : un camion et deux chenillettes équipées de mitrailleuses, de façon à parer toute attaque du convoi. Une fois à l’aéroport, un avion-cargo français pourvu d’un équipage nombreux et… compétent prendra en charge votre cargaison.
« Vous décollez du Bourget dans une heure, à bord de ce même avion. Pas d’objections ?
— Aucune. Simplement, j’aimerais savoir deux choses, monsieur le directeur…
— La première ?
— Qui garde le diamant en ce moment ?
Il baisse le ton.
— Officiellement, un détachement de l’armée tathmazizienne. En fait, mon équipe de durs est déjà sur place.
— Vous avez fait vite !
Il sourit de façon énigmatique (selon lui).
— Nous disposons d’un contingent d’hommes de mains, toujours disponibles, dans chaque partie du monde, San-Antonio. Vous ne l’ignoriez pas, je suppose ? Et maintenant, quelle est votre deuxième question ?
Je le mate droit à la rétine.
— Pensez-vous, monsieur le directeur, que je serai toujours honoré de la visite du brigadier Poilalat lorsque j’aurai la bonne fortune d’emmener une fille à l’hôtel ?
Il éclate de rire.
Vous trouvez que c’est une réponse valable, vous autres ?
CHAPITRE (PRATIQUEMENT) TROISIÈME
Lorsque Son Excellence Césarin Tavékapalimé déclare que le soleil est la seule industrie de la Tathmaziz, il est dans le vrai.
Et même dans l’énorme.
Tudieu, ce qu’il infernale, le père Durand !
Ce coup de buis, mes drôles !
Un qui sortirait sans sa gapette, il aurait le cervelet à la coque en moins de rien. Ici, l’insolation, c’est le sport national. Faut toisonner de la soupente pour se garer des ultraviolets, espérez du peu ! C’est pas avec trois poils de derche que tu te rabats sur la coquille, genre m’sieur Giscard (des Établissements Grippe-Sous et Yvette Horner réunis) que tu peux te préserver la boîte à idées. Sous mon bitos de toile blanche, je regrette de ne pas m’être payé un bada climatisé. Je souhaiterais la maison Frigidaire entre ma tête et le mahomed. Une calotte glaciaire en guise de couvre-chef ! Tu te sens devenir tournesol dans cette étuve. Je crois que la denrée qui fait le plus défaut à la Tathmaziz, c’est l’ombre. Un exportateur avisé qui inonderait le pays de boîtes d’ombre en conserve, je vous l’affirme, il ferait fortune. Surtout s’il vendait de l’ombre à bon marché, genre ombre de palissade ou de grillage. Les notables eux, bien sûr, se paieraient de l’ombre surchoix, bien dense, bien noire, bien fraîche, style ombre de cathédrale ou de tunnel.
Les grossiums se goinfrent toujours.
Et y’en a de plus en plus, malgré la grande marée socialisante (ou p’t-être à cause d’elle ?). Des gus bourrés d’osier qui achètent ce qu’il y a de plus chérot en s’inscrivant pour les produits en cours d’augmentation. J’en sais, ils commandent d’office les denrées coûteuses, sans s’occuper de savoir ce dont il s’agit. Parole ! Ils reçoivent un catalogue, tout de suite ils foncent à la colonne des prix, ne s’arrêtant que sur ceux comportant le plus de chiffres. « Mettez-moi-z’en douze de chaque », ils disent, à tout hasard, que ça soient des Cadillac ou des Van Gogh, des livres rares ou du caviar, des châteaux faits au dos ou des écuries de course. Tout de suite, les v’là qu’accaparent. Je dis ça sans rancune. On n’a pas de rancune envers un malade, sauf s’il te fait chier trop longtemps avec sa maladie, naturellement. Car y’en a qu’ont aucun savoir-mourir et qui s’éternisent à plaisir. Des qui emmerdent leurs draps et leur entourage pendant des mois, des années, à promettre un dernier soupir qui ne vient pas. Te font de fausses agonies pathétiques, que chaque fois tu t’y laisses prendre et que t’y vas de ta larme. Tes fringues noires, bien pimpantes, se fanent dans des antres naphtalineux. Les moissons de chrysanthèmes se succèdent et le client est toujours fidèle au poste au milieu de ses médicaments exorbitants qu’à force d’à force, la Sécurité en fait une maladie !