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— Qui êtes-vous ? balbutie-t-elle.

— Si vous êtes bien madame Mhoröflyk, je vous le dirai.

— Oui, je suis…

— Alors, allons bavarder au chaud ; toute à vos amours, vous ne vous êtes pas encore rendu compte qu’il pleuvait.

Béru se pointe à la rescousse, l’œil libidineux, la babine retroussée.

— Toi, lui dis-je, tu vas surtout rester calme, hein ! Je commence à en avoir quine de ton numéro tauromachique !

Grett entre la première. Elle tente désespérément de me claquer la lourde au pif, mais c’est pas aux petits San-Antonio qu’on apprend à faire ce genre d’entourloupe. Mon pied gauche est déjà en place et ma main droite refoule le vantail ainsi que la dame qui pèse derrière.

Nous pénétrons en la demeure du valeureux commandant du Nekmair-Jiturr sans plus de difficultés.

— Ne soyez pas paniquée, Grett, dis-je familièrement, on ne vous veut pas de mal, au contraire. Il se pourrait même que nous vous sortions une épine (de cheval) du… pied !

— Que voulez-vous ?

— Quelques minutes de conversation.

— Vous n’êtes pas Allemand ? balbutie-t-elle.

— Hélas non, mes parents étant nés de l’autre côté du Rhin, ça n’a pas pu s’arranger. Mais j’espère que vous accepterez tout de même de répondre à mes questions ?

— Elle est choucarde, hein ? bave le Gros. T’as examiné cette silhouette ? On dirait le dépliant central de « LUI ». Ah, le gus de t’à l’heure doit passer des moments vibrants !

Je le rebuffe d’un coup d’épaule. Pas le moment de m’emberlificoter le charme qui est en train de s’établir.

— Compliments, poursuis-je, votre amant est un très beau garçon. Et roi du minou, champion du pil-plok, avec ça !

Je lui désigne le dossier d’un fauteuil.

— Achtung ! Il a oublié une chaussette. Quand le capitaine va rentrer, tout à l’heure, vous ne pourrez guère prétendre qu’elle appartient au facteur !

Cette précision relative à la venue imminente du seulmaîtraboraprédieu du Nekmair-Jiturr achève de déconcerter la donzelle. Elle pressent des choses compliquées, mais reprend néanmoins confiance, peut-être à cause de son sourire charmeur et de mon physique allant et avenant ?

— Je crois savoir que vous n’aimez guère votre époux, charmante Grett ?

Elle s’abstient de répondre, par contre, la vilaine lueur que j’aperçois dans son regard est éloquente.

Bon, et si je fonçais bille en boule, les gars ? Quand on y va franco, en fin de compte, on risque moins d’être lésé (avec un « b »). Je lui replace mon aimable laïus, comme quoi j’appartiens à Interpol.

Ma carte.

Police !

Jawohl : police ! Mot magique. International ! J’explique que nous nous occupons d’un trafic de drogue. C’est à la mode, ça ne surprend plus personne, la chnouf. De nos jours, les écoliers de 6e ont du « H » dans leur cartable. Les demoiselles de bonne famille dégustent leur L. S. D. en revenant de la messe et dans chaque soute d’avion se trouve au moins une valoche bourrée d’héroïne. Très crédible, mon histoire. D’autant plus que je suis Français et qu’en matière de stup, la France, c’est comme qui dirait l’arbre-à-came !

La v’là intéressée foncièrement, la Grett adorable. L’en oublie de recroiser son peignoir. On a des perspectives inouïes sur ses charmes, selon les mouvements qu’elle exécute. Je sens gronder le Porcin, comme un torrent souterrain cherchant sa résurgence. Il est vauclusien, le désir du Gros. Relève du séisme. Va encore nous mitrailler au bouton de braguche. L’infernal ! Pan, pan, pan, pan !

— Mon mari tremperait dans cette affaire ? n’ose-t-elle espérer.

Elle imagine déjà le commandant Mhoröflyk embastillé, jugé, dégradé ; comme une maison de Haute-Provence, condamné ! Cent ans de bigntz ! La libertade chérie ! The divorce ! Hans for ever ! Radada à toute heure, eau chaude et froide à volonté ! Merci papa, merci maman ! Plus besoin de se cacher. Finis les départs nocturnes dans la bruine, en paumant ses chaussettes dans le grand salon !

— C’est très possible, dis-je. Êtes-vous disposée à nous aider ?

Elle n’a pas la pudeur de refréner : sa haine pour le mataf est trop intense. Tout est question d’opportunité dans la vie. Faut que le déclic joue au bon moment. Pas de vraie réussite sans « le concours de circonstances » : les bonnes affaires, les 18 juin, les 27 avril, les Générales triomphales, les coïts sublimes… Toc : l’opportunité. Y’a le jour « J », la minute « M ». En cuisine, en amour… Un soufflé, une chouette baisance : kif-kif. La guerre, la politique, le prix Goncourt, tout, je te dis ! Si tu ne point-nommes pas, t’es marron, bité profond, bon à dégager.

En ce moment, ma force, c’est d’avoir déniché une gerce toute chaude encore de son amant, et qui appréhende de retrouver son bonhomme abhorré. Elle le maudit, son capitaine au long cours emmanché d’un long bec ! L’encorne, muse d’un autre ! Le rêve mort ! Noyé au fin fond des fosses océanes, avec des algues indépétrables en guise de linceul ! Voudrait le voir tronçonner par des poissons-scie (à ruban). Les burnettes dégustées par les crustacés effilocheurs. C’est cruel, une femme qui déteste son mari. À preuve les Cours d’assises en sont bourrées.

Vous materiez la ferveur de son « Oh, oui, bien sûr », après que je lui aie demandé si elle veut bien nous collaborer ! La sainte Blandine de la haine, mes très chers frères ! Te vous fait froid dans le dos.

— Merci, dis-je. Alors, ravissante Grett, commencez par répondre à cette question, en votre âme et conscience : « Selon vous, le capitaine Mhoröflyk est-il un homme intègre ? »

Rigolez pas, les mecs. Tout se joue sur cette interrogation. Elle constitue le tournant du match. Je m’explique car, comme d’habitude, vous ne semblez pas bien saisir : Grett hait son singe. Elle lui souhaite mille maux. Si, nonobstant, elle me répond que l’officier de marine a la blancheur Persil, C’EST QUE C’EST VRAI ! Une femme nourrissant pareille hostilité ne peut se gourrer. Auquel cas, ne me restera plus que d’aller voir chez le Vieux si j’y suis.

— Lui ! s’égosille la dame. Un coquin ! Une vieille fripouille ! Bon marin, mais malhonnête homme. Il a dû quitter la Norvège après avoir eu des démêlés avec la justice ! Il…

Le reste, je m’en fous.

Ça ne saurait qu’affaiblir le début de la déclaration. Le renchérissement est bien souvent une anémie de l’idée à exprimer. Dans certains cas, plus t’es bref, plus t’es éloquent. Je me rappelle d’un jour, Maître Floriot (qui n’a pourtant pas la menteuse dans le tiroir du bas de sa robe d’avocat), je lui ai demandé ce qu’il pensait d’une dame du Tout-Paris. Il a eu comme un grand geste d’impuissance et a laissé tomber : « Pétasse ! »

Rien que ça. Sans autre commentaire. Pétasse ! Vachement définitif. Ensuite tu passes à un autre sujet.

Donc, on tient le bon filin. Grace à mon flair infaillible, l’enquête fonce à cent nœuds (papillon) à l’heure.

— Tu jubiles ? note Béru. Y’a kermesse au village ?

— Comme qui dirait, Monseigneur.

Je reviens (sans regret) à Grett.

— Si Mhoröflyk est une crapule, comment se fait-il qu’il soit employé par les très respectables Messageries Zaschett ?

— Il a des soutiens occultes.

— De quel ordre ?

— Politique : les néo-nazis ! L’organisation est puissante. Beaucoup plus que les gens du commun ne l’imaginent. Avec des ramifications un peu partout. Des fonds secrets qui enflent. Des espions…

Néo-nazi ! Je pense aux fumées de Treblinka ! Se sont-elles déjà dissipées ?

— Ah bon, fais-je, oui, je comprends…