Et c’est vrai, les z’enfants, que je pige.
Tout, me semble-t-il. Le vol du caillou. Les moyens mis en œuvre. Cette force omniprésente. L’assassinat immédiat de Steiger (probablement un membre du nouveau parti ?)
Mon énergie est forte comme un soc de charrue. Je suis dopé, galvanisé !
— Dites-moi, Grett, vous arrive-t-il, parfois, d’aller attendre votre mari au port lorsqu’il rentre de voyage ?
Elle hausse les épaules :
— Non seulement cela m’arrive : mais il l’exige ! Dès que l’échelle de coupée est en place, je suis la première personne à l’escalader, sur les talons des douaniers ! Il est fier de moi, Willy. Il aime me prendre dans ses bras devant son équipage.
— Je le comprends, susurré-je, manière de me placer un peu auprès de la souris, car, si ça ne rapporte rien, en tout cas ça ne mange pas de pain !
Elle me rend mon œillade assassine. En v’là une, mon frère, quand tu l’épouses, vaut mieux que tu sois bijoutier en chambre que capitaine de corvette, crois-moi ! Une casserole de lait sur le feu, cette Grett !
— Ainsi donc, cette nuit, vous irez l’attendre au port ?
— On me téléphone dès que le Nekmair-Jiturr commence les manœuvres d’amarrage.
Je cueille la main de la jeune femme sur l’accoudoir du canapé.
— Grett, ma chère âme, soupiré-je, voulez-vous que nous devenions AMIES d’enfance, toutes les deux ?
CHAPITRE (CONSÉCUTIVEMENT)
DIX-HUITIÈME
Dans la nuit brêmoise, Mathias ressemble à une bougie allumée. Ses cheveux roux-ardents (ô combien !) accaparent toute la clarté lunaire, parcimonieuse certes, mais qui suffit pourtant à faire flamboyer le prince souverain de notre laboratoire de police.
On lui virgule un geste aimable, auquel il répond par un autre plus aimable encore. Il rit en nous regardant filer en direction du bateau qui vient de jeter l’ancre dans l’eau (déjà) noire du bassin.
Grett est toute pimpante dans un petit tailleur faussement Chanel et vraiment teutonique, couleur rose-cucul-la-praline. Elle est peinte en guerre pour affronter son époux (vantail). Sa croupe ondule devant moi de façon intéressante. J’arque difficilement, me tordant les targettes sur les pavés ronds du quai (du radada). Heureusement, le Valeureux me soutient de son bras d’airain.
Des projos font de cet abordage un spectacle féerique. On entend des cris gutturaux, des grincements de poulies (trop poulies pour être au net), de sourds halètements de machines qui s’apaisent.
Là-haut, sur la dunette du Nekmair-Jiturr, un homme massif, aux épaules géométriques, aux traits sculptés par les pénombres, dirige la manœuvre. C’est le commandant Mhoröflyk. Il fait pirate de grand style. Boucanier échappé d’un bouquin de London ou de Stevenson. C’est l’aventurier-des-mers-type. Race en voie d’extinction, dont quelques spécimens subsistent encore dans la cinquième partie du monde, à travers les coraux d’Océanie. Tronche d’acier, cœur de bronze… Il doit boire sec, botter le cul de ses matafs et calcer comme un sauvage les radasses d’escale ; leur plantant un bifton de vingt dollars dans le prose, en guise de petit cadeau, une fois son plaisir acquis. Du mec, quoi !
La manœuvre s’achève. Le monstre noir est immobile sur l’eau malodorante. Des marins s’activent à descendre l’échelle. Des gabelous attendent de pouvoir escalader la passerelle en discutant dans cette langue qui a assuré la réputation de la gestapo. Ils connaissent Grett et la saluent respectueusement.
— Hou ! hou ! lance cette dernière (en avant-première) au commandant.
Le brouhaha s’est calmé et l’officier perçoit l’appel. Il fait un salut romain. L’on dix raies Neptune en uniforme de la marine marchande germaine. Puis il nous avise au côté de sa gerce et sourcille. Bien évidemment, il se demande qui nous sommes et ce que nous maquillons en pleine noye en compagnie de sa bobonne.
Je me tamponne de son étonnement, c’est le cadet de mes six sous. Je suis bien trop préoccupé par l’ascension de la passerelle.
— Pas fastoche, hé ? ronchonne Béru que le sommeil tarabuste.
— Un vrai calvaire, renchéris-je.
Il murmure :
— J’aurais p’t’-être dû attendre avant de prendre le médicament dont le Vieux m’a fait apporter par Mathias, m’est avis qu’il vous sonne le caberluche ! Je m’sens la cervelle en caoutchouc mousse.
— Ça urgeait, objecté-je. On ne pouvait plus te laisser indéfiniment dans cet état, Gars. Tu commençais à me regarder d’une drôle de façon !
— Ben quoi ; t’es belle gosse ! glousse mon champion du métronome à crinière.
Nous nous taisons, parce que parvenus à bord. Grett respire un grand coup pour bien s’oxygéner les serviettes avant de produire son effort, puis s’élance dans les bras de Mhoröflyk. Étreinte farouche, mimi-goulu, bisouille mouillée, guiliguiliguili !
La grande scène des retrouvailles, quoi, bref ! Dans ces cas-là y’en a toujours un qui est content. L’autre est obligé de faire semblant, si bien que l’harmonie est totale.
Pour une épouse haïsseuse qui sort des poils de poitrine de son amant, elle comporte bien, Grett. Beau boulot de poudre aux châsses. La chère petite madame en manque de bonhomme frais, voilà un rôle à sa mesure. Le côté : « Enfin toi, j’en pouvais plus d’attendre », elle vous le sort avec brio. Au conservatoire, elle te décroche le first prix of tragédie, Poupette !
On sent qu’elle va l’éponger de première, l’intrépide arpenteur d’océans. « Terre ! Terre » qu’elle meuglait depuis son tonneau, la vigie à Christophe Colomb. Terre à terre, oui ! Le plancher des vaches ? Y’en a bon matelas Simmons ! Hue cocotte, dans les brancards ! Fluctuation dans la fourrure ! Grimpe après mon mât de misaine, dearlinge ! Ton mât de misère, tu veux dire ! Mets-toi à jour, mon grand ! Défriche-toi bien le potager, bébé rose ! En veux-tu ? En voilà ! À fond de cale, polisson ! Un roulis-roulier ! Roulis-roulure ! T’engages ton gouvernail dans la soute à charbon ! T’as un poil à ta soute ! O, mari, qu’on sut s’empêcher ! Qu’on sue, sans pêcher ! Con suçant pet chez ! Aboule-le ton champignon anatomique ! Remonte-moi le gulf-stream ! T’as du forcing dans les alizés ? En avant toute, matelot ! Ton anguille dans la matelote ! Ô ! Combien de marins, combien de capitaines, depuis ton absence ? J’sais plus ; j’ai pas compté… Baisse ton grand foc ! Tire ta bordée ! Escalade-moi le gaillard d’avant, mon lou-loup de mer ! Vivement la quille ! T’as pas du jeu dans l’hélice de giration, des fois ? Arpente-moi le pont promenade, mon amour ! Je t’aime, car tu n’es pas que beau ! Combien tu me files de nœuds à l’heure, mousse-haillons ? T’es guindé du guindeau, bonhomme ! Encore un coup dans le radadar ! Quoi ? Ton ferry boite ? Rajuste tes flotteurs, petit chou ! »
Ça devrait s’opérer tel que, les embrassades. Chauffe, Willy ! Chauffe ! À t’en faire éclater la chambre des machines ! Ta chambre et tes machines !
Après un ravalement sauvage, très spectaculaire, et très spectaculé par le personnel navigant, les deux futés s’écartent l’un de dedans l’autre.
— Oh ! Wil, exclame la fichue garce, laisse-moi te faire une bonne surprise. Tu te rappelles que je t’ai souvent parlé de Liliane, mon amie de pension, à Luxembourg ?
— Hmm, hmm, fait sans joie le commandant.
Il a une sacrée gueule, le maître du Nekmair-Jiturr. Un vrai corsaire, je vous le répète. Tout à fait soit dit entre nous et la flèche de la cathédrale de Chartres, ce gars doit mieux savoir faire reluire une gerce que le Hans entrevu tout à l’heure. Une nuit d’amour avec le capitaine Mhoröflyk, vous parlez d’une tempête sur l’oreiller, mes braves ! Tout le monde sur le pont ! La mousson ! Pontamousson ! Déboutonnez vos écoutilles ! Seulement il est inutile de chercher à piger : les bonnes dames sont commak. Vaut mieux prendre leurs désirs pour des raies alitées. Elles vivent à l’heure de leurs glandes, nos belles ! Elles savent que la pudeur c’est du temps perdu.