Un mec en blouze saute du plateau pour aller ouvrir.
À Grett, je vous l’annonce avant qu’il ne l’apprenne.
Mes petits canaillous, vous voudrez prendre note d’une chose importante, susceptible de ne pas vous être inutile. Dans la vie, on vous demandera toujours de justifier un refus, mais jamais une acceptation. Ce qui revient à dire que le côté positif du « oui » n’a pas besoin de s’accompagner d’explications, alors que le « non » paraît louche et se doit d’être étayé par des arguments.
— C’est la femme du commandant Mhoröflyk ! annonce le zig qui est allé lui ouvrir.
Du coup, y’a légère réanimation de la part des consternés. Une telle visite, en un tel moment, fait un tantinet « coup de théâtre », et après celui qui vient de leur être assené, met un regain de vigueur dans le concile.
Toujours planquouzé derrière mon buis, je mate avec avidité la prestation de ma jolie championne du radada.
Elle s’avance vers le groupe, très droite, avec une figure de demi-veuve et un air de loyauté qui retiendrait un caissier de banque de vérifier si le chèque qu’elle lui présente est signé.
Celui que j’appelle « le plus vieux », faute de savoir son blaze, toise l’arrivante avec une certaine bienveillance qui ira en s’accentuant.
La salue bas et lui demande, d’une voix engageante, comment il se fait qu’elle soit là et ce qu’elle désire.
À toi de faire, ma toute belle !
Pourvu qu’elle tienne bon la rampe, Grett. L’instant est agréable comme deux plis à son pantalon. Ah, cruelle angoisse, qui toujours nous vrille les nerfs.
— Vous savez ce qui est arrivé à mon mari ? demande-t-elle.
— Nous avons appris qu’il avait été grièvement blessé par un bandit déguisé en femme, répond le Vioque.
Elle se racle la gorge.
— Cet individu m’a abordé pendant que j’attendais la fin des manœuvres du Nekmair-Jiturr, à quai. Il tenait un pistolet et m’a menacée de m’abattre si je refusais qu’il m’accompagne.
— Intéressant, lâche l’autre.
Me voici rassuré. Grett, dans ce rôle, c’est Mme Feuillère dans La Dame aux Camélias. Une justesse de ton ! Une mesure, mes chéries, qui la place d’emblée parmi les meilleurs comédiennes de ce temps.
— Une fois dans la cabine, poursuit-elle, il s’est passé une scène troublante dont je n’ai pas voulu parler à la police. L’homme déguisé en femme a appuyé son arme sur ma tempe et a déclaré à mon mari qu’il tirerait si Willy ne révélait pas ce qu’il avait fait du caillou.
On frémit dans l’auditoire.
— Et alors, chère madame ?
— Bien sûr, mon mari a essayé de renverser la situation, mais mon agresseur l’a frappé d’un coup de crosse en pleine figure. Willy est tombé, à demi inconscient. Je crois que ce coup très violent lui a fait perdre ses moyens. Il a parlé…
— Aoooooo ! font ces messieurs, en cœur.
— Et qu’a-t-il dit, chère madame ? balbutie « le plus vioque ».
— Il a dit que le caillou se trouvait attaché à la chaîne de l’ancre, bien enveloppé dans une gaine de caoutchouc, et que des hommes-grenouilles allaient venir le récupérer avant le jour.
Nouveau remous chez les badernes.
— Et après, mon enfant ? bavoche le fossile, qui a dû être curé dans sa jeunesse.
— Après, eh bien, l’homme s’est fâché plus fort. Il a dit que mon mari mentait, qu’il savait de source sûre que la chose attachée à l’ancre n’était pas le vrai bloc, que Willy avait débarqué le caillou bien avant d’arriver à Brême parce qu’il avait traité avec d’autres gens pour son compte personnel et qu’il devait savoir où et comment Wil s’était débarrassé du caillou.
Une cascade de vilaines exclamations, agrémentées de jurons, ponctue cette annonce. J’en reviens donc à ce que je vous prétendais légèrement plus haut, mes gamins : les gens acceptent sans barguigner un aveu, mais refusent d’emblée des dénégations. Et tout à lavement, comme dit le cher Béru.
Les messieurs réunis devant le tas de charbon, ils doutent pas un poil de seconde de la culpabilité du pauvre commandant. L’acceptent dare-dare pour salaud intégral. L’admettent canaille infâme sans une arrière-pensée.
— Mhoröflyk a révélé à cet homme ce qu’il avait fait du caillou ?
— Non. Il s’était ressaisi pendant que l’autre parlait. Il a voulu de nouveau l’attaquer, mais l’individu l’a assommé au moyen d’un bronze décorant la cabine. Et alors, j’ai crié. On est venu. L’homme s’est enfui par le hublot… On a conduit Willy à l’hôpital. Après on m’a ramenée chez moi. C’est alors que j’ai réfléchi. Je me suis dit que ce sacré Willy avait dû faire une bêtise. C’est un drôle de type. J’ai eu peur des conséquences. J’ignore tout de cette histoire de caillou, mais il m’a semblé de première importance de révéler ce que je savais aux gens qui avaient fait confiance à mon époux. Me rappelant le détail sur les hommes-grenouilles qui devaient repêcher la marchandise accrochée à la chaîne de l’ancre, je suis retournée au port, pour les guetter… J’ai vu le canot automobile arriver dans le bassin. Ensuite je l’ai suivi. Et me voici, messieurs. Après beaucoup d’hésitations. Ça fait une heure que j’attends, morte d’angoisse, devant cette propriété, mais ma conscience avant tout. J’espère que vous me saurez gré de ma franchise et que vous en ferez bénéficier Willy Mhoröflyk. Ce n’est pas un méchant homme, mais…
— Il est dans le coma ? tranche durement « le vieillard ».
— Les médecins ont confiance. Il…
— Allons à son chevet, il faut qu’il parle ! Venez, mes amis ! Faisons vite ! S’il n’est pas mort, il nous dira la vérité, le gredin ! Ah oui, j’en fais le serment ! Suivez-nous, madame !
Et les v’là partis à la queue leu leu dans l’allée. Toute la troupe ! Au bord des vociférations. À la périphérie de la crise de nerfs.
Ne reste plus que cet endoffé de Perlouze qui, ne parlant pas l’allemand, n’a rien compris à ce qui se passait et s’est vu rebuffer d’un coup de tatane hargneux par le dernier de la cohorte.
Tel Don Juan devant le cadavre de son maître, le président temporaire des joailliers de France se met à chialer devant le bloc d’anthracite.
Moi je m’étire.
Crime et Châtiment, les gars. Tout le monde a droit à sa tartine de gadoue. San-Antonio les a bités monumentalement, tous ! La seule bénéficiaire sera probablement cette dévergondée de Grett qui risque fortement d’être enfin veuve avant longtemps. M’étonnerait que son bonhomme réchappe de l’aventure. D’un côté comme de l’autre, il est cuit. Justice, justice ! Les nazis, eux, ont financé cette kolossale opération pour zoby. Quant à Perlouze, il est cocu de première !
Je m’avance doucement vers lui et pose la main sur son épaule chétive.
— Eh ben, vieille frappe, on se laisse aller au désespoir ?
Ça lui évapore les larmes. Il me regarde avec l’air de se demander où il m’a vu.
— Commissaire San-Antonio, me représenté-je.
Du coup, le v’là qui se met à vomir. C’est une petite nature, l’homme aux favoris en oreilles d’épagneul. Un salaud sans envergure. La pire espèce.
— Rien n’est jamais irréversible, monsieur Perlouze, les pires salopes de votre espèce trouvent toujours des possibilités de rachat, pour peu qu’une âme d’élite se penche sur leur misère. Vous allez m’aider.
Un léger bruit me fait tourner la tête.
Trop vite. Je morfle un coup de poing effrayant en pleine mâchoire. Moi qui déjà souffrais des ratiches ! On dirait que tous mes dominos se couchent. J’ai des vapeurs écarlates dans le ciboulot. À travers ce nuage incarnat, je vois tournicoter l’un des mecs en combinaison bleue : le plus costaud ! Ce pain de deux livres qu’il vient de me téléphoner, ma doué ! Mes genoux sont en coton, tout soudain. Je fléchis des cannes. Un autre gnon me finit. Jamais j’ai été cueilli aussi fougueusement… Il va m’assaisonner de première, l’Allemand. Me finir, peut-être ? Qu’en pensez-vous ?