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Il s’est passé deux jours au cours desquels mes anticorps se sont bigornés comme des zouaves avec les chieries qui m’avaient investi la carcasse. J’ai dû suer six litres d’eau. Après quoi j’avais maigri pis que le douanier Démis Roussos. Je ressemblais à un tubard d’avant la pénicilline, quand ses soufflets étaient en vraie charpie. Félicie pleurait en me voyant à ce point démantelé. Elle passait ses journées à confectionner des laits de poule et des gâteaux de riz auxquels je touchais à peine.

J’ai chopé le journal que la Féloche continuait de déposer au pied de mon plume. Ça disait comme quoi le Président venait de maller pour le Fort de Brégançon où il allait bouffer un aiolli avec le chancelier ouest-allemand (un grand tas, avec une montre, en compagnie de qui il avait fait Verdun, la main dans la main). Peut-être qu’il allait mieux, le Vénéré ? Qu’il avait retrouvé la mémoire ? A moins qu’il ne se tînt à l’écart pour essayer de récupérer ?

Me voyant en pleine renaissance, Féloche s’est apportée avec deux missives cachetées. On les avait délivrées par exprès pendant mes torpeurs. A présent que j’amorçais ma convalo, elle m’estimait apte à les lire.

La première était de Mathias. Le Rouquemoute m’y apprenait que le produit trouvé dans « l’inhalateur » était du Brimboryon dispensé 13 dont on se sert parfois en anesthésie pour traiter les opérés souffrant de troubles vibromasseurs complexes. Ce produit crée un engourdissement longue durée des centres neuro-blédinés mixtes. Son usage répété peut conduire à une perte de mémoire accompagnée d’un état de torpeur endémique.

Je griffonnai un ordre pour qu’on enquêtât discrètement afin de découvrir qui avait déposé le flacon sur la coiffeuse présidentielle.

Après quoi j’ouvris le second « exprès ». De Pinaud, celui-là. Le vieux crocodile édenté avait déniché le propriétaire de la voiture des Hindous. Un certain Peter Stone-Kiroul, attaché d’ambassade au consulat général de Grande-Bretagne à Paris (75).

Je me mis à gamberger un bon bout de moment en regardant cette lézarde du plafond de ma chambre qui me semble représenter un visage (de dieu grec, je crois bien). Ce personnage a toujours été de bon conseil avec moi. Combien de fois l’ai-je muettement interrogé, dans les cas difficiles ! Toujours, il m’a inspiré la bonne réponse.

A l’issue (des pieds) de cette aimable confrontation, le gars Zeus me souffle de charger Pinuche d’un complément d’information. J’appelle le noble vieillard et lui dis que je veux tout savoir sur Peter Stone-Kiroul et en particulier sur ses accointances avec une belle Hindoue portant un tatouage en forme de bouton-pression au milieu du front.

— Je vais m’y atteler tout de suite, promet la vieille haridelle.

Rassuré, je gobe mes médiques et rempile pour une dorme salvatrice.

M’man m’a confectionné un hachis parmentier. Une merveille ! La purée est authentiquement mousseline et la viande tendre comme une petite chatte de lycéenne. Ayant clapé au lit, je me lève pour une douche et un rasage soigné. Qu’ensuite de quoi je me saboule princier. Gué-ri ! M’man a un haut-le-corps en me voyant descendre l’escadrin.

— Antoine ! Mais tu n’y penses pas ! Tu sais ce que t’a dit le docteur Guilleray : huit jours de chambre ! Et ça ne fait que trois jours…

Je la prends dans mes bras et la presse sur mon cœur. J’aime bien son odeur, Féloche. Pas mèche de te la raconter. Elle sent « le foyer bien tenu », et puis la verveine avec un soupçon de cannelle et de rose trémière.

— Tes jours de soins comptent triple, m’man, donc j’ai largement mon taf.

Une bisouille et me voilà dehors. Un peu flottant, certes, mais comme nettoyé de fond en comble.

C’est Mme Pinuche qui vient m’ouvrir. Elle porte une blouse ancienne, mauve, un tablier genre scandinave, des gants de caoutchouc mousseux car elle était en train de faire la vaisselle.

C’est une dame sans grande importance collective, dirait Sartre, faite pour des malheurs quotidiens, des états grippaux, des ulcères stomacaux, des ovaires foireux et des ablations presque annuelles. Elle a été tant de fois opérée que je me demande comment elle peut vivre avec ce qui lui reste ! Elle porte sa tracasserie d’être comme un cilice mais avec une touchante volonté de paraître résignée. Ils ont fini par déteindre l’un sur l’autre, César et sa rombière, pour composer une forme de couple idéal.

La bouille sinistrée de la Pinaude se fend d’un sourire à ma venue. On s’échange la petite salve de couenneries usuelles : « Comment t’allez-vous ? » « Je tale bien, merci, et vous ? »

Fâcheuse contre-question.

A bout portant je morfle une bassinée de ses chieries de l’heure. Ça « péclote » mochement dans son entrepont : les rognons qui filtrent mal. Plus sa plaie variqueuse qui s’est rouverte. Et elle me cause pas d’une bronchite inguérissable qui continue de la faire tousser comme une perdue (là, elle place une quinte témoin). J’enregistre tous ses naufrages. Profère les paroles qu’elle attend, auxquelles elle ne croit pas, mais qui lui permettent d’étaler ses angoisses.

Et puis, bon, au bout de dix broquilles de tarte aux fraises, je réclame après Pinuche.

Le Racorni est à la tévé, en pyjama plus que douteux : pelucheux, grisâtre, auréolé de jaune par-devant et par-derrière, avec la lacette de la taille distendue. Il porte de fortes charentaises grosses comme deux bagnoles de formule 1. Son éternel mégot vissé au coin du bec, il regarde, avec un certain détachement, les exploits d’un cove-bois de série américaine. Le gonzier course une diligence sans postillon (tué par les Peaux-Rouges) dont les chevaux emballés foncent comme des fous en direction d’un précipice vertigineux. A l’intérieur, une ravissante jeune fille hurle à s’en disjoncter le clitoris. Folle de terreur, la pauvrette ! On la comprend.

— Je te parie à dix contre un que le cow-boy arrivera à temps pour stopper l’attelage ! fais-je à la Vieillasse.

Le géronte se tourne vers moi, radieux dans ses rabougrances. Il a le rire en colique verte.

— Il me semblait bien avoir entendu sonner, dit-il. Tu es sur pied ?

— Non, mais je fais si bien semblant de me tenir debout que les gens croient à ma verticalité.

Il se lève, tourne un siège vers mon arrière-train et, du menton, m’intime de l’occuper. Ce dont je.

Conformément à mes pronostics, le cove-bois est en train de remonter la diligence. Mais ça va être du peu au jus car le ravin est à moins de cent mètres et ces enfoirés de bourrins mettent toute la sauce !

— Tu as quelque chose sur Peter Stone-Kiroul ?

— Oui, je te demande une seconde.

Il passe dans sa chambre pour fouiller ses poches. Il en ramène un mètre dix de ruban hygiénique double face, satiné et parfumé à la lavande des Alpes. Le parchemin est couvert de son écriture cursive, dont les lettres à boucles ressemblent à une haie de cyprès courbés par le vent.

Tandis qu’il enroule le papyrus dans le bon sens, afin de pouvoir m’en donner lecture, le cove-bois crie à la petite péteuse d’ouvrir la lourde de la diligence et de sauter sur la croupe de son canasson. Mais elle ose pas, paralysée par la terreur, cette connasse. Or, retiens bien ceci : le cañon est à trois enjambées. Que fait le cove-bois ? Ce que toi ou moi ferions à sa place, mon gars : il saisit la donzelle par les cheveux et l’arrache de la diligence ni plus ni moins que si elle était un paquet de linge sale à perruque. Une volte faramineuse ! Ouf ! Sauvée ! La diligence et ses quatre canassons de merde valdinguent dans les abysses. Good night the childrens !

— Voilà, fait la Navrance qui a trouvé le bon bout de son faf-à-train-pense-bête. Peter Stone-Kiroul, sujet britannique, habitant 245 rue Pierre-Premier-de-Serbie. Célibataire. Travaille à l’ambassade de Grande-Bretagne. Vie nocturne assez intense. Fréquente tout particulièrement des boîtes d’homos, principalement Le Doigt dedans, Le Monoculé, Le Petit Machin. Passe pour avoir un riche protecteur originaire des Indes…