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Il a un sourire mécanique. Sa frime est un peu cireuse et j’ai l’impression que ses dents sciées repoussent.

Tout en versant le breuvage indicible, je me dis que la môme Iria a peut-être fini son boulot en Pologne et qu’elle est de nouveau mentalement disponible pour le « service d’entretien » du Président.

Le Roi boit. Il apprécie.

— Sublime !

— C’est ce que la France possède de plus grand après vous, monsieur le Président, assuré-je, sans la moindre intention de faire la lèche.

Il consulte sa tocante.

— Une heure, déjà ?

M’man le rassure : on va pouvoir se foutre les pattounes sous la table d’ici dix minutes.

— Vous voulez bien brancher la télévision pour les informations, commissaire ? Il faut bien que je me tienne au courant du monde.

J’empresse.

— Quelle chaîne préférez-vous, monsieur le Président ?

— N’importe, ils sont aussi sournois sur l’une que sur les autres. Je les sens hostiles, si vous saviez ! Oh ! que je les sens hostiles. En douce ! Faux-culs, papelards… Ils croient que je vais piquer du nez, alors ils se préparent pour l’alternance. L’alternance ! Est-ce que ça existe, San-Antonio ? Comme s’il y avait deux manières de diriger un pays ! Oui, il y en a deux : capitaliste ou communiste ; mais n’étant pas communiste, je ne puis faire que ce qu’ont fait mes prédécesseurs et ce que feront mes successeurs. Je vais vous dire, commissaire. Si les taureaux n’étaient pas foncièrement cons, il n’y aurait pas de corridas car au lieu de charger des morceaux d’étoffe, ils chargeraient ceux qui les agitent ; eh bien, il en va de même en politique : si les électeurs n’étaient pas plus cons que les taureaux, il n’existerait que deux partis politiques, en admettant qu’on puisse considérer le communisme comme un parti.

Il ajoute, du bout de ses dents de croqueur de cornichons :

— Que cela reste entre nous, n’est-ce pas ?

— Qu’est-ce qui doit rester entre nous, Président ?

Il sourit à ma discrétion.

Sur l’écran, un gars succède à l’indicatif. Il paraît vachement surexposé, le gus. En pleine excitation journaleuse. On pressent qu’il a du carabiné à nous apprendre.

Ouvre tes étagères à crayons, gars. Ça vaut d’avoir des trompes d’Eustache pour esgourder pareille nouvelle.

Il dit comme ça :

« Mesdames, messieurs, bonjour. Coup de théâtre à Gdansk. Lech Valesa, qui devait prendre la parole à une réunion de « Solidarité », chante les louanges du général Jaruzelski et prône l’alignement inconditionnel du Mouvement sur le parti communiste polonais. Il est conspué par les militants de Solidarité. »

Le Président se dresse à demi dans son fauteuil.

— San-Antonio ! Ai-je bien entendu ?

— Je crains que oui, monsieur le Président !

Je comprends pourquoi Iria avait laissé « quartier libre » à son client de l’Elysée ! Elle était en train de « traiter » ce brave Valesa.

Comme fouteuse de merde internationale on ne trouvera jamais mieux que cette gonzesse.

Dès lors, mon siège est fait, comme disait une rempailleuse de chaises : je vais partir pour l’Inde !

ÇA CASSE TOUT

Pour voyager en avion, je me munis (quand j’y pense), de mon walkman, cadeau de Félicie. L’appareil est ultra-perfectionné, puisqu’il ne comporte qu’un casque d’écoute. Les écouteurs sont un peu volumineux et assez lourds, mais la miniaturisation fait son chemin et le jour est proche où ce genre d’engin sera plus petit que l’espèce d’escarguinche acoustique que les sourdingues se collent dans les cages à miel.

Je n’emporte qu’une cassette. Elle suffit à mon bonheur car elle renferme l’essentiel de ce que j’aime. Mon éclectisme est tel que je te cite, en vrac : O sole mio, l’Internationale par les chœurs de l’Armée Rouge, le Concerto pour deux mandolines de Vivaldi, Mon beauf’ de Renaud, les Bancs publics de Brassens, Strangers in the night par Sinatra, Roses de Picardie par Montand, Fascination, le grand air de la Tosca, L’appel du 18 juin interprété a capella par le général de Gaulle et le Petit vin blanc joué à l’accordéon par l’inoubliable André Verchuren.

Je me suis offert mon petit concert privé, au cours de ma nuit insomnieuse, car je roupille peu en avion, ayant sans cesse l’impression que le plancher de celui-ci se détache et que je vais valdinguer comme un con dans les espaces, attaché à mon fauteuil, avec, à mon côté, une vieille dame anglaise poudrée au plâtre de Paris.

Parvenu à New Delhi, je m’informe d’un mode de locomotion pour rallier le Bihar ; je constate que la meilleure façon de m’y rendre (il est distant de cinq cents bornes) c’est par le train. Manque de pot, il n’existe qu’un départ journalier et le dur d’aujourd’hui s’est déjà barré. Alors, bon, je prends mon temps et descends au Ka~ma-Su~tra Palace, lequel est situé à gauche de la mairie quand tu es face à la gare.

Hôtel luxueux, comme tous ceux des pays à forte densité d’affamés. Je commence par un bon bain, puis je m’offre une roupillette dite réparatrice, d’une paire d’heures. Qu’ensuite requinqué à bloc, l’Antonio décide d’aller lézarder à la piscaille en attendant l’heure de la croque. Elle est vachetement tentante avec sa forme en huit, son eau bleue, les plantes exubérantes qui la cernent et toutes les jolies gonzesses qui y font tremper leurs adorables volumes. Je me munis de mon walk ultramoderne, ce qui pourrait constituer le cas échéant une entrée en matière. Suffit qu’une petite péteuse louche sur l’appareil pour que je lui propose de le tester, et alors à nous les folles nuits de l’Inde éternelle.

Je déniche, comme dans tout palace qui se respecte, une boutique où l’on vend de tout, c’est-à-dire un peu de nécessaire et beaucoup de superflu. J’y emplette un slip de bain orange avec une bande bleue sur le côté. Et puis, le bel Antonio, dûment bronzé par l’été européen (l’été indien, c’est pour plus tard), fait une entrée pas dégueu sur le terrain de manœuvre. Ma serviette de bain sur mon transat de caoutchouc rouge et blanc, mon walk, mes lunettes de soleil. Plongeoir. Toujours commencer par le saut de l’ange si tu veux marquer ton territoire dans ce genre de coinceteau. Quelques flexions préliminaires. Je vaporise l’assemblée d’un regard circulaire et accroche une demi-douzaine de pécores bien carrossées qui peuvent donner quitus à leurs chers parents : produit surchoix, pas ébréché le moindre.

Je voltige, me goinfre d’élément liquide, exécute un orbe aquatique et ressors dans un jaillissement qui doit être drôlement féerique.

Satisfait, un rien rouleur, je quitte l’onde pour passer les nanas en revue, choisir laquelle est-ce que je vais essayer de charger. Petite déambulation enjambeuse. « Pardon, pardon, pardon, sorry… » Des œillades, des sourires balancés comme confettis en carnaval. Je sonde, repère leurs points de contact, les possibles, les bandantes, les chichiteuses, les garces honnêtes, les garces friponnes, les sérieuses sans espoir… Tout ! Au bout du parcours, j’ai sélectionné quatre gaufrettes de première : une Scandinave blonde (pléonasme) roulée comme un poster de Lui ou de Playboy, une Hindoue pétassière — chose rare et intéressante — une Anglaise auburn avec seulement cinq millimètres de dents en trop, ce qui rend toutefois la pipe dangereuse si les salivaires ne sont pas à la hauteur, et une Eurasienne pensive, avec de la loloche, chose rarissime, et des joues rose pêche.