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Leurs regards ont fait remuer mon scoubidou farceur dans mon maillot et mon dévolu dans ma caboche. Avec les nières, c’est comme à Roland-Garros : on procède par élimination. Celles qui arrivent en demi-finale ont tout pour rendre un homme heureux jusqu’au départ du prochain train pour le Bihar. Va falloir aller plus loin dans la sélection. Alors seconde passade du héros. Cette nouvelle revue me permet de rejeter l’Hindoue, décidément trop radasse, et l’Anglaise qui ne doit pas être opérationnelle sur les chibroques de camionneur. Reste la fabuleuse Scandinave et l’Eurasienne dont la carnation m’excite tout autant que l’apparente mélancolie. N’oublie jamais, lecteur surdoué (puisque tu me lis), que, chez moi le sentiment l’emporte toujours sur la viande. Je préfère les culs pensants aux culs idiots qui ne sont jamais de longue conservation.

Avant de faire jouer la finale, je décide de me sécher au soleil et reviens à mon transat. Un énorme mec qui semble être en cours d’emballage, tant il est velu, la peau sombre, le nez fort, les cils pareils à des œillères, la bouche lippue et la moustache comme deux queues de chevaux, examine mon walkman avec intérêt.

A mon approche, il me sourit et demande :

— Il est à vous ?

— Oui.

— C’est technique, hein ?

— Pas mal.

— Je peux l’essayer ?

— Faites.

Il prend l’écouteur comme un rugbyman le ballon en sortie de mêlée et s’en coiffe. L’appareil disparaît dans le fourrage de ses cheveux grisonnants.

— On n’entend rien ? se désole le gros mec.

— Actionnez le contacteur jaune placé sur l’écouteur de droite.

Il tâtonne pour trouver le bitougnet indiqué. A cet instant, quelque chose me surprend : le commutateur n’est pas jaune, mais bleu. Est-ce une erreur de mémoire de ma part ?

La petite cliquetoche disparaît dans ses gros doigts.

Et ce qui suit défie la raison. En général, comme disait Dourakine, y en a pas lulure dans mes books, mais alors là, y en a moins que peu. Un gros bruit retentit, épais, flouzard. Tu sais celui d’un sac en papier qu’un gamin s’amuse à faire éclater après avoir soufflé dedans ? Eh bien ça, mais en beaucoup plus fort. De la fumée se dégage de l’écouteur droit, puis un flot de sang de la tempe défoncée de Gros-lard. L’homme demeure un brin de moment debout. Il me regarde, je te jure ! Ne lui reste plus que trois quarts de tronche, mais ses yeux demeurent fixés sur moi. Et puis, d’un coup, ils s’éteignent, deviennent pas plus expressifs que ceux d’une poupée gonflable. L’homme casqué part en arrière et choit dans la piscine.

Autour de nous, onc n’a remarqué le drame car une musique débilitante du groupe Triple Zéro sévit à outrance, que c’est à se demander où tu dois planquer tes tympans si on continue de t’agresser les feuilles jusqu’à New Delhi avec ces viornes ricaines, bonté de merde ! Le brouhaha des baigneurs s’y ajoute, si bien que tu pourrais tirer un coup de canon ou un coup de bite sans qu’ils fussent perçus de la société.

Assis sur mon transat, je regarde le gros sac velu en train de faire la planche à cercueil dans l’eau bleue. On dirait un cétacé harponné par un chalutier. Un nuage pourpre entoure sa tronche mutilée.

Indécis, j’attends un peu. Le cadavre agité par les effets du jacousi (ou jakusy ?) s’éloigne du bord. Ce qu’il y a de nouveau dans notre rutilante société c’est que, désormais, tu crèves en public sans que personne n’en soit ému.

On te viole, on te trucide, on te lynche au milieu de la vie courante, et les autres continuent de vaquer. Ils s’en foutent. Pour eux, c’est « touche pas à ma popote » ; le reste ? Fume !

Au bout d’un petit brin d’instant et comme le cadavre continue de faire trempette avec les autres baigneurs, je me lève languissamment, tel un lévrier afghan, pour aller draguer l’Eurasienne qui, décidément, vient de remporter la coupe.

Elle est à plat ventre, légèrement dressée sur ses coudes pour permettre qu’on admire ses nicheloques. Son regard de velours, un peu pincé, me fascine.

J’avance jusque z’à elle, m’assieds auprès, les pattounes dans la piscaille, les mains en arrière. Pose classique du gigolo en action dans ces sortes d’endroits.

Je me tourne légèrement en biais (envie de biaiser) pour lui offrir mon visage mâle et chevaleresque. Sourire ! Sourire ! Accroché ! Le reste n’est même pas littérature, juste feuilleton de gare, voire seulement de métro. T’as qu’à faire jouer tes charmeuses, y aller franco de convoitise. Bouche un tantisoit ouverte. Prélude à la nuit ! Promesse caractérisée. Si tu savais tout ce dont je peux te faire, ma gosse ! Tu le sais ? T’es sûre ? Alors n’hésite pas. T’hésites pas ? Bravo, j’arrive. Opère un petit travelling avant jusqu’à mon maillot de la Maison d’Orange, je te prie. T’as vu comment il protubère ? Tu le subodores, mon membre actif ? Et crois-moi, c’est ni une courgette ni une aubergine ; ma ratatouille à moi comporte d’autres ingrédients.

Je me renverse un peu plus davantage. Ma tête se trouve à soixante-huit centimètres de la sienne (je viens de mesurer).

— J’adore votre prénom, murmuré-je en anglais, langue internationale, hélas, mais c’est tout de même préférable à l’allemand ou au bengali.

Son sourire cesse. Toujours déconcerter les frangines de primevère à bord (comme dit Béru).

— Mais vous ne le connaissez pas, elle objecte d’une voix gazouilleuse.

— Non, mais quel qu’il soit, porté par vous, ce ne peut qu’être un enchantement !

Bien ciblé, non ? Un peu garçon coiffeur sur la frange, mais l’intonation et l’œillade ponctuatrice enlèvent le morcif.

Je te passe la suite de la saynète (comme disait Mac), sache seulement, mon bien cher frère, que, le temps pour toi de compter posément jusqu’à deux, Mlle Sandy accepte de venir prendre un Colibri au bar.

C’est le moment que choisit une rombière pour hurler à la mort car elle vient de constater le décès du gros monsieur basané qui la frôlait de près dans la piscine. Elle mouillait pour un mort, la pauvrette ! Foin général ! Alerte !

Tout en acheminant ma nouvelle conquête au bar, je rétrospecte les récents événements, vérifier si je peux échapper à l’enquête. J’avais posé mon walk sur un matelas que je n’avais pas encore occupé. Quelqu’un que ma belle santé agace l’a remplacé par un autre, piégé. Comme j’ai une chance honteuse (et une série de polars à assumer), un gros glandeur m’a demandé d’essayer l’appareil et s’est fait fendre la gueule en mes lieu et place. Personne n’a pris garde à notre bref colloque. Et même si, je dirais simplement que le bonhomme m’a demandé l’heure. Ne plus retourner à ce matelas. M’esbigner avec l’Eurasienne. Il n’en reste pas moins qu’un tueur est là, tapi (comme Bernard), et qu’ayant constaté l’échec de sa tentative va en opérer probablement une autre. Pas trente-six hypothèses : une seule. C’est le maharaja tonton qui m’a reconnu au Monoculé. Il a compris que j’allais casser coûte que coûte la cabane à la belle Iria et qu’il était temps de me neutraliser.

Sandy se juche. Cuisses exquises qui me grisent. Je lui dis tout sur moi, à savoir que je suis suisse, que je m’appelle Robert et que je suis journaliste, grand reporter à la Gazette de Versoix, venu à New Delhi pour faire un reportage sur l’industrie horlogère hindoue.

Elle me répète qu’elle se prénomme Sandy, ajoute qu’elle est la compagne d’un importateur américain de Detroit (il s’appelle Behring) venu ici en voyage d’affaires. Pendant qu’il gagne leur corned-beef, Sandy joue les couleuvres.