L’entrepôt est misérable, en haillons. Les vitres de la verrière sont cassées et rien n’y est entreposé, si ce n’est une caravane de camping pas mal délabrée. La porte en est ouverte. Un type habillé d’un short en jean et d’un tricot de corps à grille est assis sur le marchepied du véhicule, écoutant la musique d’un transistor épuisé. Ça joue du nasillard car s’agit probable d’un orchestre de potirons et courgettes évidés comme ils sont friands dans ce pays.
L’officière se dirige vers la caravane et y pénètre. Le chauffeur va ranger sa charrette dans le fond du hangar. Mon gardien trouve un bidon rouillé et l’adopte comme tabouret. Je mate en direction de l’entrée et aperçois un petit Hindou scrofuleux, adossé à la porte. La musique est acide à t’en faire éclater les testicules. Moi, toute une soirée à écouter ce zinzin et me voilà bonnard pour Charenton.
Bien que tu sois d’une intelligence nettement au-dessus du niveau de la mer, tu dois commencer à te dire que cet endroit n’a rien de policier.
Ça sent le méchant coup fourré à plein tarin, mon pote. Il s’est laissé viander de première, l’illustre commissaire. Cette fille officière l’a possédé sans problo. Mentalement, je passe en revue le contenu de mes vagues. Pas le moindre bout d’arme. Mon sésame, certes, comme toujours, ma lime à ongles, mon petit canif comportant des ciseaux… Ai-je mon paquet de cigarettes magiques ? Impossible de me souvenir si je m’en suis muni ! Et ce n’est pas le moment de porter la main à ma poche pour m’en assurer car ils m’observent et pourraient mal interpréter mon geste.
Le gros chauffeur est descendu de son tas de boue et y reste adossé. L’homme de la caravane continue d’écouter sa musique merdique. Mon mentor a les mains sur les genoux et semble récapituler les faits notoires de son existence.
La fille tatouée réapparaît. Elle vient de troquer son uniforme contre un sari vert à motifs noirs qui modifie son maintien, lui confère une certaine noblesse d’allure.
— Venez par ici ! m’enjoint-elle depuis le seuil de son véhicule.
Docile, je m’avance. Suis obligé d’enjamber le type assis sur le seuil pour entrer. La caravane pue le fauve et le parfum de santal. Elle comprend une penderie abritant un monceau de fringues disparates, des coussins énormes, crasseux et avachis, et un meuble bas, aux pieds tournés, comprenant des tiroirs.
— Asseyez-vous ! invite la dame pointillée.
Je choisis le coussin le moins cracra pour lui confier mon dargif. Je déteste cette position qui nous est inhabituelle, à nous autres Occidentaux accidentés. Elle me met en posture de faiblesse.
Mais enfin, hein ? Bon.
La fille lance un mot d’une syllabe. Le gars du seuil se lève et ferme la porte du véhicule. Me voici seul avec elle. Une seule syllabe a suffi ; comme quoi, pour s’exprimer, pas besoin de tartines : on peut le faire à moindres frais.
— Je vous croyais de la police et je vois qu’il n’en est rien, lui dis-je ; pourrais-je avoir quelques explications ?
Elle met son index devant ses lèvres.
Quelqu’un te fait ça, illico tu la boucles et tu attends.
On se regarde. Ses yeux plongent dans les miens. Sa figure est très belle. Dommage qu’elle l’ait ainsi divisée en deux avec ses foutus pointillés. Mon regard dévie légèrement pour se fixer sur le motif frontal : le losange dressé sur une de ses pointes. Une espèce d’étrange fascination me biche. J’essaie de fuir. En même temps, un trouble physique me chope, carabiné. Cette péteuse me file une triquerie du diable ! Une de plus ! Le bâton de Guignol, il se prend, Messire Antonio-le-Pieu. Le goumi tout superbe, propre (toujours) à casser les noix de coco dans leur cosse ! La farouche matraque d’apache, comme les malfrats se servaient jadis, à l’époque débonnaire qu’on flinguait pas encore d’entrée de jeu. Maintenant, tu veux la Rolex d’un gus, tu lui vides d’abord un chargeur dans le baquet avant de la lui prendre, au lieu de la lui demander poliment.
Moi, cette monumentale membrane, très vite, je ne sais plus qu’en faire. Me tourmente pour son devenir. La mettre où ? Je deviens de plus en plus sujet, t’as remarqué ? Je mate une frelotte et, bing ! le chauve à col roulé qui se met à rouler des épaules.
Ça tourne infirmité, mon truc !
Mon bénouze se met à craquer de toutes ses coutures, comme un rafiot par gros temps. Je vogue en pleine mer des orgasmes. Me faut une crique qui me croque, une anse où blottir ma caravelle. J’ai besoin d’un port où jeter l’ancre !
— Vous êtes belle, je bredouille piteusement, pâteusement ; permettez-moi de vous présenter mes hommages !
Elle les regarde sans manifester ses sentiments. Et moi, la bandoche s’accroît à la vitesse grand cul ! Plus moyen de me contenir, Ninette ! Je ne suis plus qu’une énorme bitoune qui enfle, qui gonfle, qui va exploser.
— Par pitié ! je lui implore. Ne me laissez pas dans cet état, ce ne serait pas charitable. J’ignore à quelle religion vous appartenez, mais j’implore votre dieu pour qu’il vous inspire de la compassion à mon endroit.
Elle continue de me regarder sans mot dire. Je me mets à genoux devant elle, tends la main…
Fulgurante, la petite cravache qu’elle a saisie derrière son coussin me cingle les doigts, pénétrante, acide. Instantanément, j’ai la pogne qui sanguigne.
Ma copine zifolette, au grand jamais je l’ai vue dans un tel épanouissement. Même dans mes rêves les plus érotiques j’imaginais pas pareille ampleur.
Elle a un secret, cette gueuse, merde ! Un philtre ! Un charme ! Un don ! Quèque chose, bordel ! Quèque chose d’irrésistible, de stupéfiant. Et voilà que mister Braquemuche poursuit sa dilatation. Je pulvérise Béru, cependant surnommé Queue-d’âne. Je vais franchir le point de non-retour. Je trouverai jamais plus chaussure à mon pied ! J’ai le zob éléphantesque. Pour m’accoupler, faudra que je me fasse des dames pachydermes. Au secours !
Elle reste toujours impavide, la garce. Non, mais tu sais que mézigue, cravache ou pas cravache, je vais la violer, mam’zelle, tant pis pour son pot d’échappement.
Elle lit les prémices du forfait dans mon regard.
— Calmez-vous, dit-elle. Vous pourrez me faire l’amour dès que vous aurez répondu à mes questions.
— Alors pose-les vite, sinon tu vas prendre des éclats de bite dans la gueule, la mère ! j’y lance avec une férocerie peu compatible avec ma galanterie habituelle.
— Vous êtes policier ?
— Oui, et alors, ça te gêne, dis, morue ?
— Vous voulez vous rendre au Bihar ?
— Affirmatif, petite pétasse !
— Pour y rencontrer qui ?
— Un mage, je réponds, c’est tout ce qu’il y a pour ton service, dis, Nid-à-zobs ?
— Comment se nomme ce mage ?
— Kandih Raâton, et alors, radasse ?
— Et qu’attendez-vous de lui ?
— Qu’il développe un don que je crois posséder, espèce de tapineuse au rabais !
— Quel est ce don ?
— Celui qui me permet de neutraliser une peau de vache dans ton genre, pouffiasse !
— Comment se nomme-t-elle ?
— Iria Jélaraipur ; comme si tu ne le savais pas, Sac-à-nœuds ! Allez, ça suffit comme ça, j’ai répondu, tu vas payer, aboule tes miches, prostipute ! Quand tu en seras passée par moi, tu ne pourras plus t’asseoir qu’à plat ventre !
Elle défait son sari. Elle est nue dessous. Je mets un « e » muet à nu pour la dernière fois car la donzelle est un homme.
Oui : un homme. A man, quoi ! La déception me zigomate entièrement. Je reste là, le sensoriel brutalisé. C’est mutilant, une chose pareille ! Un travelo ! Ces Hindous, je te jure : faut pas s’y risquer, on a des surprises. Et même des déceptions. Ma clarinette à moustaches se cabre. Elle reste en arrêt, le museau pointé. Puis une immense désespérance la démantèle. La v’là qui retrouve des dimensions plus humaines, puis plus modestes ; normales enfin ! Mon tourmenteur ne sourit même pas de ma défaite. Il ôte sa perruque. Dessous il a le cheveu plat, oléagineux. Une barrette de nacre est passée dedans. Il l’ôte. A l’intérieur de la barrette, se trouve un minuscule objet ayant la forme d’une fléchette. Il la saisit entre pouce et index, comme Pinaud son mégot. Un éclair, je pige. S’en faut d’un centième de seconde, qu’est-ce que je dis : d’un deux centième ! Je me jette de côté. La main du mec passe au ras de ma joue. Je lui cramponne l’avant-bras à deux mains. N’oublie pas que nous sommes sur le plancher d’un local exigu. On à-bout-portante. Son poing gauche me frappe à la tempe. J’encaisse. Alors il se plaque à moi et passe son bras gauche autour de mon cou. Je comprends qu’il va prendre la fléchette avec son autre main. Je laisse couler les miennes au niveau de son coude. De toutes mes forces j’exerce une pesée d’Archimède, mais de haut en bas. L’homme hurle car son coude vient de craquer. Je le foudroie d’un coup de boule dans les badigoinces. Me redresse. La fléchette gît sur un coussin. Je la cueille délicatement. Cet enragé ne s’avoue pas vingt culs (puisqu’il n’en a qu’un) et brandit la cravache de son bras valide. Il l’abat, je déguste sur la glotte et tout se brouille. Un geste de taureau agonisant, ma main tenant la fléchette file sur le gars. Contact. Silence.