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Pendant une tripotée de secondes, je me dis que je suis en train de mourir étouffé. Plus possible de déglutir. C’est bloqué. L’enviandé m’a broyé des cartilages dans le goulet. Je tripote… C’est chaud, ça saigne. Rudement entamé ! Me rabats sur mon tarin pour respirer. Fatalement, le résultat est inchangé. Alors j’ouvre grand ma gueule pour gober de l’oxygène au max. Peu à peu, il s’en faufile dans mes soufflets. Je ferme les yeux.

Quand je rallume mes quinquets, j’avise « ma » vamp bandante morte à mes pieds, toute convulsée et presque noire.

« Bien, me dis-je en catimini. Que dois-je faire maintenant ? »

ÇA SE DÉCHAÎNE

Pour me résumer et te dresser un rapide topo de ma posture : je me trouve à l’intérieur d’une caravane, laquelle stationne dans un entrepôt gardé par quatre hommes.

Voilà les brèves données de mon problème. Pour le résoudre, je dois : petit a, sortir de la caravane ; petit b, mettre les quatre hommes à la raison ; petit c, quitter l’entrepôt. Pas de quoi s’affoler. J’en ai surmonté de pires.

Je commence par inventorier la caravane, dans l’espoir d’y dégauchir une arme, mais je n’en trouve pas la queue d’une. Ouvrant le meuble bas à tiroirs, j’explore ces derniers. Ils recèlent une quantité de petits pots mystérieux dont les contenus, prudemment flairés, ne sentent pas bon. Sans doute ces drogues possèdent-elles des propriétés intéressantes, mais comme elles me sont inconnues, il est préférable que je les néglige.

Alors ?

L’idée va venir, bouge pas. Mon imaginance ne m’a jamais laissé en rade. Un don du ciel ! Je m’avise que le fameux meuble supporte une glace sur pied ainsi que des accessoires de fards dont devait user probablement mon assassin raté pour se déguiser en bergère. Je débusque un tube de rouge à lèvres mauve, car les rouges à lèvres le sont de moins en moins en nos temps de folie furieuse.

Là, l’idée attendue se présente au rendez-vous, munie de ses lettres, non pas de créance, mais de crédibilité. Me voici en train de barbouiller ma frime et le dos de mes mains en violet. T’as pigé, Barnabé ? Oui ? Bravo !

En effet : je vais essayer de me faire passer pour mort. Quand, inquiétés par notre silence, les gonziers de l’entrepôt viendront aux nouvelles, ils nous trouveront gisant sur le plancher, violacés et convulsés l’un et l’autre. Que penseront-ils ? Qu’après m’avoir « traité », leur pote aura fait un mouvement et se sera piqué à son tour. Accident du travail. Gloire à celui qui périt au champ d’honneur.

J’étudie le visage du copain travelo et adopte le même rictus : gueule béante, yeux exorbités. Même s’ils sentent battre mon cœur, ils ne douteront pas que je suis en pleine agonie.

Ainsi est fait. J’attends.

Ces Hindous ont toutes les patiences.

Tu veux que je te dise ? Non ? Tu t’en fous ? Je vais te le dire quand même, sans frais de port : une heure dix !

Oui, madame, oui, mademoiselle, oui, monsieur : soixante-dix minutes allongé auprès d’un cadavre, en m’appliquant à l’imiter (sans limiter les dégâts) ; faut le faire, non ? J’aurais des morpions, l’exploit serait impossible. Ou bien la coqueluche, voire de l’urticaire.

God thank you, il n’en est rien.

Donc, ces soixante-dix broquilles (comme on dit dans l’argot du père Hugo) s’écoulent et on frappe à la porte. Ce pourrait être les trois coups car ma représentation de gala va commencer.

Je me contracte à outrance. Le survenant pousse une exclamation en gujaratî ou en oriyâ, je me rappelle plus bien et appelle ses potes. Le restant de l’escouade rapplique. Ça jacte féroce. Je fais d’inouïs efforts pour ne pas ciller. Dur dur de garder les falots ouverts et d’avoir la prunelle inexpressive pendant que quatre mecs sont penchés sur toi. Faut croire que je m’en tire bien car ces messieurs ressortent au bout d’un moment, après avoir constaté nos décès.

Les palabres se poursuivent dans l’entrepôt. Une ligne de conduite est adoptée. Le chauffeur va récupérer sa tire au fond du local et l’amène devant la porte de la caravane sans couper le moteur. Il passe à l’arrière et déverrouille le coffre. Deux des copains s’amènent pour prendre livraison de mon ex-tourmenteuse qu’ils coltinent jusque dans la malle.

Alors là, il voit l’embellie superbe, Tantonio. Le moment de rêve inespéré. Les mecs chargent le corps dans le coffre de l’auto, laquelle ronronne à deux mètres vingt de moi, portière avant grande toute verte. Je me lève, silencieux, m’approche de la lourde. Un bond de guépard, un seul, magistral, et me voilà sur la banquette. Les amortisseurs yoyotent. La secousse rabat le couvercle de la malle sur la tronche des participants.

Bibi enquille le levier sur le « drive » et enfonce la pédale d’accélération. La ricaine jaillit après avoir patiné une seconde sur le bitume lisse de l’entrepôt. Dans l’élan, ma portière se claque, j’avais pas eu le loisir de la fermer. Je t’ai déjà dit que ces vilains avaient fait coulisser la porte du local. Mais quoi : de la tôle ondulée ravaudée sur un cadre de ferraille rouillée, c’est pas la ligne Maginot, j’imagine ? Pleins gaz dans le grand panneau. Ton pote Dudule se cramponne au volant, rentre sa nuque dans les endosses pour ménager ses cervicales.

Ça fait vraaaaoum ! Avec plein d’éclats, de lambeaux, de déchiquetures. Il a traversé le cerceau, le commissaire. Déferle dans la rue au volant de sa caisse mutilée par l’impact et qui gamelle à faire chialer une batterie de cuisine dévalant l’escalier de la tour Eiffel.

Impossible d’éviter la voiturette d’un vieux crabe chenu, laquelle est chargée de caisses de fruits.

Mesdames, si vous voulez de la confiture de mangue et de vieillard, approchez et tendez vos rouges tabliers !

Pas le temps de m’arrêter pour faire le constat. Je mets (ou plutôt j’arrache) toute la gomme.

La circulation est telle, dans cette ville, que je suis aussitôt absorbé, digéré, déféqué par la foule. Vingt minutes plus tard, un taxi jaune et rouge me dépose à mon hôtel car, tout bien réfléchi, le mieux était d’y revenir.

Et qu’y trouvé-je ? Endormie au creux de mon lit, dans le zonzon discret de l’air conditionné ? Oui, mon vieux : la belle Sandy. Elle s’éveille.