Allez, adios, joies élyséennes !
J’ai refermé la croisée.
Et c’est dans le mouvement que je l’ai aperçue et que mon sang daubé n’a fait qu’un tour.
Une splendeur !
Hindoue, ça tu peux y compter. Grande : tige d’arum, liane souple et autres culteries descriptives de romanciers collection Colombine. La peau verte, le regard sombre « ombragé » (comme ils disent toujours, mes confrères guimauve) de sourcils d’un noir de (tu l’as deviné, René) jais (ou geai si le « j » te fait chier). Very superbe, crois-en un amateur de frangines qui en a passé des centaines à l’établi. Vêtue d’un sari bleu intense avec des bandes vert émeraude dans le bas. Un fabuleux collier d’or captait tout l’été. Elle portait en plein mitan du front un tatouage rond qui ressemblait à une cible. Tu la pralinais à ce point précis et t’étais certain que sa cervelle mignonne partait en vacances.
Elle se tenait immobile contre un arbre du parc, les bras allongés sur son ventre plat avec, tout au bout, les mains qui se superposaient devant sa moule. D’où j’étais, comme elle me faisait face, je pouvais capter l’intensité extrême de son regard braqué sur le Président. Elle ne bronchait pas d’un poil. En état d’hypnose aurait-on dit. Lointaine. Sauvage. Elle fixait le petit bonhomme pavaneur d’une manière éperdue. A croire qu’elle allait se projeter en lui. S’incruster (partiellement puisqu’elle était plus grande) dans sa personne, comme les martyrs d’Hiroshima s’incrustèrent dans les murs encore debout.
Chose inouïe, personne ne paraissait se préoccuper d’elle, ni seulement l’admirer. Y avait plein de mâles avantageux, de ganaches surdécorées, friandes de culs mignons pourtant, plein d’artistes capables d’admirer ce qui est beau, et nul ne lui accordait la moindre attention.
Le Glorieux palabrait au milieu de sa cour, lâchant des répliques uniques au monde avec le seul coin de la bouche. Son léger sourire sardonique (à l’huile d’olive) imprégnait son beau faciès d’une grâce que je vas qualifier de démoniaque (comme Ajax démoniaqué) cré bon gu !
Il était à l’aise, fier de lui et dominateur, selon le Général dont il fut la mouche à merde attitrée. Il se sentait enfin dégagé, l’Extrême. Maître de son époustouflant destin. Par moments, sa sérénité était si totale qu’il faisait semblant d’être grand, lui aussi. Il lui poussait nez et oreilles comme au père la Victoire. Mulatier, Morchoine, Ricord, mes fabuleux mousquetaires du dessin, l’auraient croqué en éléphant et non plus en dindon comme d’habitude. Il bombait de partout, confondant tour de taille et stature dans l’euphorie de sa sécurité mentale retrouvée.
Ma pomme, je matais la scène comme au tennis, allant d’un personnage à l’autre : l’Hindoue, le Président ; le Président, l’Hindoue… J’attendais ce qui allait se produire ; car je savais que ça se produirait. Et puis la chose a eu lieu, brutalement.
Tout à coup, le Monarque a cessé pile de jaspiner. Il s’est arrêté en milieu de sa phrase, j’ai bien compris. La bouche enfin ouverte sous l’effet de la surprise, le regard enfin rond et plus du tout en guillemets. Frappé comme par une crise cardiaque. Etourdi, insolationné. Le mur, le blanc, le noir, l’opposition ! Monolithique ! Monosperme[3] ! Eu[4] !
J’ai prié le ciel (en ses lieu et place) pour le remercier qu’aucun photographe ne le portraiture en cet instant de désarroi profond. Dieu merci, il travaille pas à Paris Match, le Président, comme les Grimaldi qui appartiennent à la rédaction de mère en filles. Même qu’ils vont obtenir la médaille des vieux travailleurs à Monaco pour avoir, si tant longtemps, livré au grand hebdromadaire le choc de leurs photos et le poids de leurs maux.
La misère de ce cher Immense m’a bouleversé. Fallait que je lui fasse le don complet de ma personne, mon Suzerain. J’allais en crever, fatal, dans mon état. Mais ouitche ! Donner sa vie à un être de cette qualité, c’était la justifier, non ? Quel meilleur emploi pouvais-je en faire ?
Je me suis cramponné des deux mains au dossier du canapé, éloignant mes pinceaux le plus possible. Qu’après quoi j’y suis allé d’un nouveau voyage stellaire. Beurg ! Beurg ! Toute l’artillerie de marine donnait en même temps.
Ouf !
Raide comme barre, j’ai descendu l’escadrin.
Primo : gagner le buffet et écluser un double n’importe quoi.
Justement, le général-serveur venait d’aligner une chiée de verres pleins sur un plateau. J’ai saisi le premier. Glaoup ! Féroce ! Un trait de feu dans mon tube. Au suivant pour cautériser les méfaits du premier. Re-glaoup ! Descendez, on vous requiert ! Les loufiats me mataient sévèrement, se demandant à quel malotru gougnafieur ils avaient affaire. Mes manières s’accordaient mal à la majesté de l’endroit.
Je les ai achevés en m’enfonçant un troisième glass. Je pensais que, de deux choses l’une : soit je redistribuais séance tenante cette bonne marchandise au petit bonheur la chance, soit je parvenais à la conserver par-devers moi et alors elle produirait fatalement son effet. Lequel ? J’étais anxieux de le savoir.
Un raz de marée intérieur m’a balayé les boyasses.
La tornade féroce, en spirale, kif la feuille du bananier enroulée autour de sa hampe, tel un drapeau, avant qu’elle n’éclose.
Y avait résurgence de la camelote absorbée si vitement. Une folle remontée au carburo. La marée noire de la « noix de coco de Cadix » (comme dit Béru). Déjà mes dents du fond baignaient. Ça grimpait encore. J’ai fermé les lèvres, les yeux, mon sphincter. Une exhortation intense m’est venue. J’ai lancé de toute mon âme : « O maman, ma vieille chérie, je t’en conjure, fais quelque chose pour moi ! »
Le miracle a répondu « Présent ». Quelque chose s’est débouché en dessous de ma glotte. La bonde de sécurité, tu crois ? Ou alors je suis devenu poreux de partout, brusquement, car le liquide ingurgité s’est faufilé dans ma carcasse au petit bonheur et jusqu’à mes doigts de pieds. Ça boumait, j’avais surmonté l’insurmontable, endigué la vague montante, ravalé ma fusée.
Un mieux très sensible a répandu ses bienfaits dans mon pauvre corps dévasté, comme l’écrivait avec délicatesse une grande romancière des îles Fidji.
Relax, Max. Je me suis approché du Président. Il restait bloqué comme Chateaubriand sur son rocher à marée haute. Son entourage commençait à l’avoir à la caille. Le chargé de machin et le porte-truc s’inquiétaient :
— Un malaise, monsieur le Président ?
— Non, non, balbutiait le Guide, je… heu… pense…
Ça les a rassurés. Du moment qu’il pensait c’est qu’il était, hein ?
Moi, familièrement, j’ai passé mon bras sous celui du grand chef. L’assistance en a été sciée en quatre. Mais d’où est-ce que je sortais-t-il pour me permettre une pareille privauté ? Sans me soucier du regard furibard à Chose, le président du Parti-sans-demander-son-reste, j’ai obligé l’Illustre à s’enquiller sous les frondaisons où les merles moqueurs s’amusent à siffler les locataires du domaine. Tout en l’entraînant, je cherchais la belle Hindoue des yeux et ne la voyais plus.
— Vous me reconnaissez, Président : commissaire San-Antonio. Vous venez d’avoir une nouvelle absence, n’est-ce pas ? Ça va passer. J’en connais la cause. Tenez bon. Restez maussade, comme la plupart du temps, c’est ça votre style.
Il demeurait inerte comme un gant vide dans un tiroir.
— Ressaisissez-vous ! Qu’est-ce que je vous montre, là ?
Il n’a rien dit. Je lui ai soufflé :