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— Moi, dit Malko.

Lim Soon éclata de rire.

— Vous ne pourrez même pas pénétrer au palais. Vous ne réalisez pas la puissance d’un homme qui voit le Sultan plusieurs fois par jour…

Malko reconstruisait l’histoire dans sa tête.

— Si c’était ce Hadj Ali, demanda-t-il. John Sanborn aurait donc été assassiné, comme sa femme le prétend, pour porter le chapeau. Disparu ou mort, il fait un coupable parfait… Mais s’il a été tué, il a fallu des complicités.

Lim Soon le regarda avec commisération.

— Mr Linge, dit-il doucement, nous sommes à Brunei. Ici tout part et tout revient au Palais. Si demain, Hadj Ali décide qu’il ne m’aime pas, je serai jeté dans un avion pour Singapour avec toute ma famille. Il n’y a pas de loi, pas de Parlement, pas d’opinion publique, seulement la volonté du Sultan et de son entourage. Moi, je vis ici depuis douze ans, on ne m’a jamais donné un visa permanent. Parce que je suis chinois.

« Le chef de la police est le cousin du Sultan. Sur un seul mot de Hadj Ali, il vous expulse. Et puis, il y a les « boys » de Guy Hamilton. Ils assurent la sécurité rapprochée du Sultan avec les gurkahs et les besognes « spéciales ». Ce sont des tueurs et ils sont protégés par le Palais. Ils peuvent vous abattre dans le lobby du Sheraton devant cinquante personnes en étant certains de l’impunité…

— On doit quand même pouvoir se renseigner sur Hadj Ali, insista Malko.

Lim Soon rit encore de bon cœur.

— Absolument tout ici passe par lui. Je vous le dis il est in-tou-cha-ble.

Le silence retomba dans la pièce, troublé seulement par le ronronnement du climatiseur. Malko n’avait guère avancé. Il avait bien un coupable possible, mais autant hors de portée que s’il était sur la Lune… Lim Soon regarda sa montre et se leva

— J’ai un board meeting[13]. Je dois vous quitter.

Il le raccompagna à l’ascenseur et lui serra longuement la main. Au moment où Malko entrait dans la cabine, il dit d’une voix empreinte de gravité

— Mr Linge, Walter Benson m’a parlé de vous. Et de vos mérites. Vous avez toute ma sympathie. Je vais vous dire le fond de ma pensée. John Sanborn a été assassiné. On ne retrouvera jamais son corps. Si vous vous approchez de l’entourage du Sultan, vous vous heurterez immédiatement à la loi non écrite du pays et aux tueurs de Hamilton. Personne ne vous aidera. Repartez. Ce serait bête de terminer à Brunei une aussi brillante carrière que la vôtre.

Chapitre V

Malko se sentit brutalement envahi par une rage aveugle : ce potentat du bout du monde et ses sbires sûrs de l’impunité, défiant la CIA et la plus grande puissance du monde. Il y avait quelque chose de fou. Retenant Lim Soon, il lui dit à voix basse

— Je reste, Mr Soon. En faisant très-très attention. Mais je voudrais au moins un fil à tirer…

Le Chinois le regarda longuement avec une expression incrédule.

— Vous êtes un homme têtu, Mr Linge, fit-il de sa voix douce. Et courageux. Je vais essayer de vous faire rencontrer une de mes compatriotes qui s’était liée d’amitié avec cette Peggy Mei-Ling, mais cela ne vous mènera pas à grand-chose…

— C’est mieux que rien. Quand et comment ?

— Je vous appellerai au Sheraton.

Malko redescendit. La pluie s’était déchaînée pour changer. Il prit le chemin de Kota Batu. Dans le rétroviseur, il repéra très vite une Range-Rover beige qui semblait le suivre. La pluie empêchait d’identifier son conducteur. Elle était toujours dans son sillage quand il monta les lacets menant à la villa de John Sanborn. Cette fois, Joanna arborait un jeans et un T-shirt moulant son extraordinaire poitrine… De grands cernes bistres soulignaient ses yeux gris. Ils s’embrassèrent presque amicalement.

— Vous avez trouvé quelque chose ? demanda-t-elle anxieusement.

— Pas grand-chose ! avoua Malko. Vous étiez au courant pour la Chinoise que votre mari a vue le jour de son départ ?

Les prunelles grises s’agrandirent et Joanna demeura sans voix quelques instants, avant de dire, dans un souffle

— Oui.

— Pourquoi ne pas m’en avoir parlé ?

— Il a dû la sauter, fit-elle brutalement. Il adorait les Asiatiques et depuis pas mal de temps nous ne faisions plus l’amour. Elle est sûrement complice… Avec de l’argent on achète beaucoup de gens…

— Est-ce que votre mari avait discuté de cette affaire avec Guy Hamilton ?

— Oui, bien sûr.

— Vous en avez reparlé avec lui, depuis ?

— Oui. Il pense que John a volé l’argent. Mais il a été très gentil avec moi. Pourquoi ?

— Si John a été assassiné, dit Malko, Guy Hamilton doit le savoir.

Les grands yeux gris s’ouvrirent comme des soucoupes.

— C’est monstrueux, ce que vous dites ! Guy a toujours été un ami. Il est venu dîner ici souvent…

— Je peux me tromper, remarqua Malko. Je vais continuer mon enquête.

Joanna le regarda partir, du désespoir plein les yeux. Il       reprit Kota Batu en sens inverse. La pluie avait cessé et les sampans vrombissaient sur le fleuve.

* * *

La voix joviale de Lim Soon faisait vibrer l’écouteur. Le téléphone avait sonné au moment même où Malko entrait dans la chambre.

— Mr Linge, proposa le banquier chinois, nous pouvons prendre une bière près de mon autre ban-Centre commercial de Jalan Sultan après les pompiers. Je vous attendrai devant. Dans un quart heure…

Malko avait juste le temps de repartir. Il se retrouva dans un quartier de buildings modernes et se gara sur un grand parking. La chaleur était horrible. Il retrouva Lim Soon en face d’un petit bâtiment gris, relativement récent, mais déjà attaqué par l’humidité.

— Allons au Phong-Mun, fit-il, c’est de l’autre côté de la place.

Ils semblaient sortir de vacances dans un sauna en y arrivant… On les installa au premier étage dans une salle vide et une serveuse leur apporta deux bières. Le Chinois eut un petit rire sec.

— Ils n’ont pas le droit de servir d’alcool, n’est-ce pas, mais ici, nous sommes entre Chinois…

La serveuse avait une robe fendue jusqu’en haut Ge la hanche, à faire disjoncter de lubricité n’importe quel ayatollah… Plus une croupe, moulée par la soie rouge, ronde et bien cambrée.

— Vous avez du nouveau ? demanda Malko.

— Katherine, la Singapourienne qui connaît Peggy Mei-Ling, accepte de vous rencontrer. Elle parle anglais et travaille au Sheraton comme femme de chambre. Mais je ne sais pas si elle pourra vous apprendre quelque chose d’intéressant.

— Je verrai bien, dit Malko. Où et quand vais-je la retrouver ?

— Derrière le temple chinois de Sungai Kianggeh, il y a un parking ; vous y entrez par Jalan Elisabeth II. Je lui ai donné le numéro de votre voiture.

Malko se demanda comment il le connaissait…

— Pourquoi pas chez elle ? Ce serait plus discret.

— Sûrement pas, sourit le Chinois. Elle habite avec deux autres filles dans une chambre minuscule qui ne leur sert que pour dormir. A cet endroit-là, personne ne vous remarquera. Il y a souvent des filles le soir, des Indiennes ou des Chinoises qui cherchent des hommes…

Autrement dit, des putes.

Lim Soon vida son verre d’un coup et se leva avec un sourire d’excuse.

— Je dois aller travailler.

Malko le suivit et retraversa la fournaise. Il espérait que la femme de chambre Singapourienne pourrait lui dire quelque chose d’important.

* * *

Il dégringolait des trombes d’eau. A ne pas voir à un mètre. Malko était obligé de laisser ses essuie-glaces en marche, ce qui était bizarre pour une voiture garée. Pas un chat dans le parking… Il se demanda si la Singapourienne allait venir avec un temps pareil… Les putes ne devaient pas faire fortune dans ce pays…

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13

Conseil d’administration.