Angelina sourit. En face, il y avait la mer et de l’autre côté, un mur aveugle. Elle fit le tour et entrouvrit le coffre de la Volvo.
— Ça va ? demanda-t-elle à voix basse.
— A peu près, fit la voix de Malko, mais il fait horriblement chaud !
— Je vais voir Mandy, je reviens.
Elle laissa le coffre non verrouillé. De loin, il était impossible de voir qu’il était ouvert. Malko y avait pris place dans son garage, avec un Beretta 92 prêté par un « Marine » de l’ambassade, trois chargeurs pleins et un Minox. On ne faisait plus la guerre en dentelles.
Angelina eut à peine le temps de sonner. Une Philippine en sari écarta le battant, s’inclina et la précéda silencieusement dans un couloir, lui ouvrant la dernière porte. Mandy Brown, en sari, le diamant étincelant à son doigt, les pieds sur la table basse dont le plateau en verre était supporté par une paire de défenses, autre merveille provenant de chez Romeo, regardait un western sur le Samsung. Elle poussa un cri de joie en voyant Angelina. Celle-ci l’étreignit, murmurant à son oreille.
— Malko est dehors dans le coffre de ma voiture. Comment ça se passe ?
— Pas trop mal, fit Mandy, sauf que le singe n’arrête pas de me grimper.
— Tu as trouvé la Chinoise ?
— Bien sûr, elle est dans la chambre voisine. Elle m’a raconté son histoire. Quelqu’un l’a utilisée pour attirer un type dans un piège et le tuer. Elle a peur. On lui a promis de la renvoyer à Hong-Kong, mais elle se demande s’ils ne vont pas la liquider…
— Je vais essayer de faire venir Malko, dit Angelina.
Elle ressortit, parcourut le couloir désert. Personne dehors. La nuit était presque tombée et il pleuvait. Malko la guettait car le coffre se souleva et il sauta à terre dès qu’elle apparut.
— Viens vite, dit-elle.
Ils rentrèrent dans la maison, gagnèrent la chambre de Mandy Brown sans voir âme qui vive. Celle-ci se jeta dans ses bras. Une chaste étreinte pour une fois.
— J’ai eu vachement peur, tu sais, fit-elle à voix basse. Mais j’ai trouvé ta Chinoise. Elle est à côté.
— Allons-y, dit Malko.
Le prince Mahmoud risquait de revenir goûter à sa sucrerie et là, ce serait le drame. Mandy Brown ouvrit la porte de la chambre voisine. Peggy Mei-Ling était en train de se faire les ongles, en slip et soutien-gorge de dentelle rose. Elle eut un bref sourire en voyant Mandy puis se figea à l’apparition de Malko.
— N’aie pas peur, c’est un copain, se dépêcha de dire Mandy.
Malko vint s’asseoir en face de Peggy Mei-Ling, tandis qu’Angelina ressortait pour surveiller le couloir.
— Miss Mei-Ling, lança Malko, je veux tout savoir sur le meurtre de John Samborn.
Prise de court, ses prunelles s’agrandirent. Ses traits se rétrécirent, son menton trembla un peu ; elle avala sa salive, respira avec une sorte de sifflement. Sa voix était contrôlée en dépit d’une imperceptible fêlure… Malko insista, penché vers elle.
— Vous n’y êtes pour rien, dit-il, mais vous savez ce qui s’est passé. J’ai besoin que vous me le disiez… Dans votre propre intérêt. Si on vous a enfermée ici, c’est pour vous interdire de parler. Et ce n’est qu’un début…
Peggy Mei-Ling posa son pinceau, se tourna vers Mandy Brown et lança d’une voix haut perchée :
— C’est ton copain, ce type ? Je ne comprends rien à ce qu’il dit. Je vais faire prévenir le prince Mahmoud.
Elle se levait déjà. Mandy l’arrêta. Ses yeux bleus étaient devenus durs comme du cobalt. Elle saisit le poignet de la Chinoise et le tordit légèrement, lui arrachant une grimace.
— Ecoute, fit-elle, je ne te connais pas bien, mais lui je le connais depuis longtemps. S’il te dit quelque chose, c’est que c’est vrai. Alors, ne joue pas la conne.
Peggy, bien que troublée, ne se démonta pas encore.
— Je suis l’hôte du prince Mahmoud, dit-elle sèchement. Il va venir. S’il vous trouve ici, il vous fera tuer par ses gurkahs. Partez.
Malko lui jeta un regard de commisération.
— Vous êtes en danger de mort et vous le savez parfaitement, fit-il. Le témoin d’un meurtre qui débouche sur une affaire compromettant des gens importants du Palais. Ils n’hésiteront pas à vous supprimer. Et tant que vous êtes ici, personne ne peut rien pour vous aider. Vous connaissez le Premier aide de camp, Al Mutadee Hadj Ali ?
— Pourquoi ?
— C’est lui qui a monté toute cette affaire et vous devez le savoir. Vous êtes partie avec John Sanborn du Sheraton et ce dernier a disparu depuis. C’est une autre Chinoise et un homme qui travaille pour Hadj Ali, Michael Hodges, qui ont pris l’avion à Limbang en se faisant passer pour vous et John. Qu’est-il arrivé entre temps ?
Pas de réponse. Malko n’avait plus qu’à utiliser la botte secrète qu’il aurait préféré éviter.
— Mandy, dit-il, assieds-toi à côté de Miss Mei-Ling.
Mandy obéit. Aussitôt, il sortit le Minox de sa poche et prit une photo, qu’il doubla.
Il remit l’appareil dans sa poche.
— Voilà la preuve que vous êtes ici ! expliqua-t-il. Cette photo sera demain matin sur le bureau de l’ambassadeur des Etats-Unis. Ce qui va déclencher un énorme scandale. Pour ne pas avoir à vous montrer, les Brunéiens n’auront plus qu’une ressource : vous tuer.
La Chinoise bondit soudain sur lui, essayant de prendre l’appareil dans sa poche. Cela tournait mal ! A chaque instant « Sex-Machine » pouvait surgir et là, ça se gâterait vraiment. Malko n’était pas de force contre une vingtaine de gurkahs.
Mandy Brown se jeta sur la Chinoise et la força à se rasseoir.
— Peggy, ne fais pas la conne ! Ecoute-le.
— Salaud… murmura Peggy, sans beaucoup de conviction.
Des larmes jaillirent de ses yeux. Soudain, d’une voix mal assurée, elle lança
— Je n’y suis pour rien, je ne savais pas ce qui allait se passer. Hadj Ali m’avait dit de demander à John Sanborn de m’emmener clandestinement à Limbang par la jungle. De lui raconter une histoire…
— Comment ?
Elle haussa les épaules.
— En le… séduisant.
— Et ensuite ?
— Il a accepté. Nous sommes partis et…
Elle laissa sa phrase en suspens…
— Continuez, fit Malko.
— Il y avait une autre voiture, fit-elle la voix cassée, avec cet homme, le Britannique. Ils l’ont tué
De nouveau, elle se mordit les lèvres.
— A quel endroit ?
— Je ne sais pas, quelque part sur la piste en Malaisie.
— Qu’ont-ils fait du corps ?
— Ils l’ont jeté dans la rivière.
— Et vous ?
— On m’a amenée ici directement et je ne suis plus sortie. Ils m’ont dit que je regagnerai Hong-Kong à la fin de la semaine, mais j’ai peur.
— Ils ne vous laisseront jamais repartir pour Hong-Kong, dit Malko, ils vous tueront et personne ne saura jamais ce qui vous est arrivé.
Le silence retomba, pesant. Peggy Mei-Ling tamponna son front avec un kleenex. Son regard chavirait. Visiblement, elle croyait Malko.
Ce dernier se dit que c’était le moment d’arracher la décision. Il se leva, prit la Chinoise par le bras.
— Habillez-vous. Je vous emmène.