— Arrête ! Arrête ! grommela-t-il. Je veux te…
Il ne finit pas sa phrase. La combinaison des ongles sur ses seins et de ce sexe qui l’aspirait le faisait exploser. Il lâcha sa semence, se sentant dix ans de moins, avec un cri sauvage, écrasant le corps sublime et fragile de la jeune Chinoise. Celle-ci, les jambes nouées dans son dos, pompa jusqu’à sa dernière goutte de sperme, l’air toujours aussi innocent.
Quand il retomba sur le côté, elle s’enfuit discrètement vers la salle de bains. Laissant John cuver son fabuleux orgasme.
Ce dernier avait repris une tenue décente lorsqu’elle réapparut, avec un maquillage tout neuf. L’ondulation de ses hanches était tellement chargée de sensualité que John eut envie d’elle à nouveau. Elle le lut dans son regard et lui adressa un sourire désarmant.
— Allez-y. Je vous rejoins en bas dans le parking. John Sanborn effleura ses lèvres, se disant qu’il aurait peut-être encore le loisir d’en profiter à Limbang : les avions malais étaient souvent en retard. Il sortit, bousculant presque une minuscule femme de chambre Singapourienne qui lui adressa un sourire complice. John avait déjà acheté ses charmes à plusieurs reprises.
Le lobby était toujours désert. Une pluie diluvienne s’abattait sur Bandar Sen Begawan, vidant les rues. Le portier se précipita avec un énorme parapluie, accompagnant John à sa Range-Rover. La pluie tambourinait sur la tôle avec un bruit assourdissant. Brunei, placé à la limite des moussons du sud et du nord, profitait souvent des deux… Il pleuvait depuis près d’un an…
Au volant de la Range, l’Américain se gara sur le côté du Sheraton, hors de vue de l’entrée principale, juste en face de l’escalier d’incendie extérieur.
Peggy Mei-Ling apparut dix minutes plus tard sur la plate-forme du cinquième, son vanity-case et son Gaston de Lagrange à la main. John, le ventre à nouveau en feu, put admirer à travers le rideau de pluie ses longues jambes découvertes par la jupe ultra-courte.
Il descendit lui ouvrir la portière. La Chinoise monta à côté de lui avec un sourire enjoué.
— Chez nous, en Chine, on dit que la pluie porte bonheur.
John Sanborn s’était déjà engagé dans Sungai Kianggeh, la grande avenue longeant le Sheraton. Il tourna un peu plus loin sur la gauche afin de rejoindre Jalan Tutong. Sous la pluie, Bandar Sen Begawan était encore plus triste avec ses bâtiments officiels sans grâce et sa végétation détrempée. Une petite ville de province tropicale.
Peggy Mei-Ling, la tête très droite, semblait transformée en statue. John Sanborn posa une main sur sa cuisse nue et l’y laissa. Le contact de sa peau lui donna la chair de poule. Jusque-là, ça s’était bien passé. Il espérait que personne n’avait vu la Chinoise quitter le Sheraton. Sur sa gauche apparut la coupole d’or de la mosquée du palais Nural Iman, étrange construction mi-asiatique, mi-arabe, occupant le sommet d’une colline au nord de la Brunei River, cernée d’une pelouse verdoyante. Le Sultan n’en sortait guère et les deux principaux ministères, la Défense et l’Intérieur, y avaient leurs bureaux. Deux gardes chamarrés veillaient devant les grilles dorées de ce Disneyland tropical.
John Sanborn consulta sa montre.
— On sera à Lumapas dans une demi-heure, annonça-t-il. Et, si tout se passe bien, à Limbang dans deux heures.
Lumapas se trouvait à une dizaine de kilomètres à vol d’oiseau. Seulement, pour l’atteindre, il fallait descendre vers le sud-ouest, le long de la Brunei River, en réalité un bras de mer dépourvu de tout pont. Un détour assez considérable.
L’Etat de Brunei était divisé en deux enclaves entre lesquels s’enfonçait comme un coin l’extrémité du Sarawak, province malaise, avec la petite ville de Limbang, en bordure d’un des innombrables bras de mer sillonnant cette partie nord de Bornéo.
Malgré ses milliards de dollars, le Sultan de Brunei n’avait jamais pu racheter à la Malaisie ce petit bout de jungle qui lui aurait permis d’avoir un pays d’un seul tenant…
La pluie recommença à tomber et John Sanborn mit ses essuie-glace en marche. Un peu inquiet. Pour parvenir à Limbang, il n’y avait qu’une mauvaise piste, vite détrempée et difficile à pratiquer. Il faudrait aussi franchir deux gués. Les quatre roues motrices de la Range-Rover ne seraient pas de trop. Les habitations s’espaçaient, faisant place à la jungle des deux côtés de la route, coupée parfois d’une rizière. Vingt minutes plus tard, il était à Masin et tournait à gauche. La circulation était de plus en plus clairsemée, cette voie était un cul-de-sac. D’énormes nuages noirs semblaient prêts à s’écraser sur les frondaisons vertes et il régnait une température de sauna.
Un quart d’heure plus tard, ils atteignirent un petit kampong[2] regroupé autour d’une unique rue rectiligne.
La pluie avait un peu diminué. John Sanborn ralentit. Au bout du village, la route goudronnée se terminait brutalement, faisant place à une piste étroite et défoncée. Aucune barrière, aucun signe particulier et pourtant c’était la frontière entre le Brunei et la Malaisie. L’Américain stoppa et passa le crabotage. Un vieux paysan le doubla, trottinant sous la pluie, un jerrican d’essence sur l’épaule. Les Malais de la zone frontalière venaient faire leurs achats à Brunei où l’essence subventionnée était beaucoup moins chère.
Devant eux, c’était la Malaisie. Une piste s’enfonçant dans la jungle entre des champs d’ananas et quelques maisons de bois sur pilotis.
— On y va ! lança John.
Peggy Mei-Ling poussa un petit cri quand la Range plongea dans un énorme nid-de-poule qui aurait contenu un bébé éléphant. Le moteur rugit, la Chinoise glissa sur son siège, découvrant généreusement ses cuisses. John se dit qu’une fois dans la jungle, il pourrait toujours faire une petite halte-câlins.
— On sera à Limbang dans une heure !
Si les pluies n’avaient pas rendu les deux gués impraticables…
Maintenant qu’il s’était offert son fantasme, il était quand même un peu inquiet. Emmener clandestinement hors du pays une invitée du Palais, s’il y avait un problème, c’était la porte ouverte à un bel incident diplomatique et la fin de sa carrière à la CIA… Il avait hâte d’être revenu.
Devant eux, la piste semblait se dissoudre dans l’impénétrable forêt tropicale, avalée par la végétation luxuriante. Près d’un million de kilomètres carrés de jungle… En bordure, il y avait un peu de civilisation. De petits champs d’ananas jalonnaient la piste. Ils doublèrent encore trois Malais poussant des bicyclettes lourdement chargées, les épaules courbées sous la pluie. Ils virent encore quelques tabangs[3] juchées sur pilotis puis la jungle se referma autour d’eux.
John Sanborn se concentra sur sa conduite. La Range rebondissait de trou en trou et le volant lui sautait sans cesse à la figure. Entre les rugissements du moteur, le craquement du crabot, la pluie qui frappait le pare-brise en brusques rafales, ses rêves érotiques se dissolvaient. Ce n’était même plus une piste ! Tout juste un sentier qui zigzaguait au milieu d’une jungle compacte. La Range hurla soudain, les roues arrière engluées dans un magma verdâtre.
Centimètre par centimètre, John Sanborn parvint à arracher le véhicule à la fondrière. La buée avait envahi les vitres et le maquillage de Peggy coulait lamentablement. Son chemisier était collé à sa peau par la transpiration, moulant sa poitrine aiguë. John se demanda soudain s’ils allaient réussir. Leur vitesse ne dépassait pas cinq kilomètres à l’heure. Ils n’avaient même pas encore franchi le premier gué. Une grosse liane frappa le pare-brise à le faire exploser. Instinctivement, Peggy se rejeta en arrière avec un cri terrifié.