— Pengiran ! Pourrais-je vous dire un mot ?…
Michael Hodges attendait, au garde-à-vous. Mahmoud ne l’aimait pas spécialement, mais respectait ceux qui veillaient à la sécurité du Sultanat.
— C’est à propos de la Chinoise ? demanda-t-il.
— Non, non, se hâta de préciser le Britannique. Plutôt de la personne qui se trouvait avec vous tout à l’heure. C’est l’amie d’une diplomate qui se plaint qu’elle soit retenue ici contre son gré. Il faudrait que je puisse l’emmener en ville, afin de rassurer cette personne.
Le prince Mahmoud vit rouge à l’idée de perdre Mandy, même pour quelques heures. Il pointa un index furieux sur le mercenaire.
— J’interdis qu’elle bouge d’ici. Vous en êtes responsable.
Sans laisser à Michael le temps de protester, il se glissa dans la « Countach » et démarra si vite que le gurkah de garde eut tout juste le temps de lever la barrière.
Michael Hodges regarda les feux rouges s’éloigner, perturbé et inquiet. Le problème de la Chinoise était réglé. Mandy Brown pour l’instant était intouchable, mais représentait un danger potentiel. Sauf si on éliminait son « sponsor », l’agent de la CIA. Il devait donc se concentrer sur cet objectif.
De nouveau, Walter Benson, l’ambassadeur des Etats-Unis, ne dissimulait pas sa morosité. Malko avait juste pris le temps de passer sous la douche au Sheraton, après son équipée, avant de foncer chez lui, sur la route de Gadong. Installés dans le grand living dont les baies vitrées donnaient sur la jungle, ils faisaient le point.
Walter Benson but une longue gorgée de son Johnny Walker et fit tourner les glaçons dans son verre vide. Malko s’était contenté d’un café très sucré.
— Malgré tous vos efforts, fit-il, je crois que nous sommes dans la merde. Si vous aviez pu ramener cette Chinoise, c’était une autre histoire. Pouvez-vous seulement garantir qu’elle soit encore vivante ?
— Non, avoua Malko. Il reste Mandy Brown à qui elle a parlé et qui se trouve en danger, elle aussi.
— Il faudrait la tirer de là, dit le diplomate. Les confidences de Peggy Mei-Ling ont une valeur énorme.
Malko se serait mordu les poings de rage… et d’impuissance. Mandy Brown était en danger de mort. Il fallait attendre le bon plaisir de « Sex-Machine » pour la revoir ! L’ambassadeur sirotait son scotch tranquillement en regardant la pluie tomber.
Malko se leva.
— Je crois que je vais aller me coucher. Pour aujourd’hui, cela suffit.
— Faites attention en rentrant, remarqua le diplomate. Ces gens veulent votre peau. Il n’y a pas beaucoup de circulation la nuit jusqu’à Bandar Sen Begawan. Voulez-vous que mon chauffeur vous accompagne ?
— Merci, fit Malko, j’ai gardé votre Beretta 92.
Il prit congé et s’engagea sur la route déserte, remâchant sa déconvenue. Non seulement Peggy Mei-Ling était maintenant hors d’atteinte, même si elle n’était pas encore assassinée, mais Mandy Brown était aux mains de ses adversaires qui risquaient de s’en servir comme otage…
Il ruminait encore ses idées sombres quand il pénétra dans le lobby du Sheraton et prit sa clef. L’employé lui jeta un regard bizarre. Il monta, ouvrit la porte de sa chambre et s’arrêta net.
Michael Hodges était assis dans un fauteuil face à la porte en train de fumer une cigarette.
— Entrez, lança le Britannique d’une voix calme. Je ne vous veux aucun mal. Je suis ici simplement pour vous délivrer un message.
— Comment êtes-vous entré ? demanda Malko.
Michael Hodges eut un léger haussement d’épaules.
Malko lui fit face. Ivre de rage.
— C’est vous qui avez tenté de me tuer tout à l’heure, à Jerudong Park. C’est vous qui avez assassiné cette Singapourienne ! Et c’est vous qui avez tué John Sanborn sur les ordres de AI Mutadee Hadj Ali. Qu’avez-vous fait de Peggy ?
Le mercenaire haussa les épaules de nouveau, indifférent, et répliqua, avec calme et application.
— Mr Linge, ces propos n’engagent que vous. Je sais que vous travaillez pour une organisation alliée, aussi je vous traite avec respect.
— Ne me faites pas rire, fit Malko. Que voulez-vous ?
— Un certain nombre de gens estiment, fit lentement le Britannique, que votre présence à Brunei est de nature à y semer le trouble. Aussi serait-il préférable que vous quittiez ce pays dans les meilleurs délais. Demain, il n’y a pas de vols, mais il y en a un pour Bangkok après-demain matin. Je vous ai réservé une place en première. Avec une correspondance Air France sur Dehli ou Paris au choix.
Malko étouffait de rage.
— Et Peggy Mei-Ling ? Qu’en faites-vous ?
— Elle repart pour Hong-Kong, fit le Britannique d’une voix neutre. C’est une mythomane…
— Evidemment ! Et Mandy Brown ?
— Miss Brown est à Jerudong de son plein gré, invitée par Son Altesse le prince Mahmoud, répondit le mercenaire. Elle repartira quand bon lui semblera. Si vous quittez Brunei, je m’engage à ce qu’elle vous rejoigne le plus vite possible.
Malko eut un sourire froid.
— Et que se passera-t-il si je refuse de partir ?
Le Britannique demeura impassible.
— Il est possible que vous soyez l’objet d’une mesure d’expulsion officielle. Dans ce cas, je ne pourrais me préoccuper du sort de miss Mandy Brown.
— Je ne suis même pas sûr qu’elle soit encore vivante…
— Vous vous trompez. Elle vous appellera demain matin. Disons à neuf heures.
Malko sentait le poids du Beretta 92 à sa ceinture. C’était facile de mettre deux balles dans la tête du Britannique. Mais cela ne résoudrait rien.
— Sortez, Mr Hodges, dit-il. Au cas où il arriverait quelque chose à miss Brown, je vous en tiendrais pour responsable. Vous êtes peut-être tout-puissant ici, à Brunei, mais il y a d’autres moyens de vous atteindre.
Le Britannique se leva sans répliquer et sortit. Malko claqua la porte avec rage. La boucle était bouclée. A bout d’arguments, ses adversaires avaient recours au chantage. La vie de Mandy Brown contre son départ. Il était sûr désormais de ne jamais revoir Peggy Mei-Ling…
Il prit une douche et se mit à réfléchir. En quoi pouvait-il inquiéter ses adversaires qui paraissaient avoir toutes les cartes en mains ? Mandy Brown était à leur merci et les USA n’entreraient pas en guerre contre le Brunei si elle disparaissait.
On en resterait aux échanges de notes diplomatiques oubliées au bout de quelques mois. Un Bœing 747 avec 269 passagers n’avait pas réussi à brouiller les USA et l’Union Soviétique, alors une simple ex call-girl à la réputation douteuse…
Il resta étendu des heures, cherchant la solution de la quadrature du cercle. Un coup de force était impossible contre la beach-house protégée par les gurkahs. L’ambassadeur US n’interviendrait que mollement. Il n’avait pas encore de « cas » comme il disait et s’adresser à la police de Brunei relevait de la plaisanterie…
C’est vers quatre heures du matin qu’il envisagea une contre-attaque, encore pleine de « si ». Mais c’était la seule façon de sauver la vie de Mandy Brown. S’il prenait l’avion comme on le lui demandait, il ne se faisait guère d’illusions. Mandy ne réapparaîtrait jamais : elle en avait trop vu et recueilli les confidences de Peggy Mei-Ling. Al Mutadee luttait pour sa vie. Ce qu’il avait commis était si grave que le Sultan, même à contrecœur, serait obligé de sévir. Donc, il irait jusqu’au bout des contre-mesures… Entre autres, l’élimination de Mandy Brown. Si elle était encore vivante…