II lui restait une seule alliée possible Angelina Fraser. Mais, cette fois il ne pouvait plus différer ses accusations contre son amant. C’était à elle de choisir son camp… II composa son numéro et attendit longtemps jusqu’à ce que sa voix ensommeillée fasse « allô ».
— C’est Malko. J’ai encore besoin de toi, mais avant que je te demande ce service, il faut que tu saches que mon suspect numéro un – à 99 % – est Al Mutadee Hadj Ali.
— Je m’en doutais, fit la jeune femme après un long silence. C’est horrible. Tu en es absolument sûr ?
— Oui, dit-il.
Il lui expliqua pourquoi. Et ce qu’il attendait d’elle.
— Je vais t’aider, fit la jeune femme. Tu sais, je n’étais pas vraiment amoureuse de lui.
— Merci.
Ce n’est qu’après avoir raccroché qu’il put enfin trouver le sommeil.
Son pouls monta en flèche quand le téléphone sonna à neuf heures pile. Il y eut un blanc puis la voix de Mandy.
— Malko ? Comment ça va ?
Il la connaissait assez pour savoir qu’elle se contrôlait et qu’elle avait peur.
— Moi, très bien, dit-il. Et toi ?
— C’est OK, fit-elle. Je suis très bien installée. Le prince est très gentil avec moi. Seulement la mer est dangereuse, il ne faut pas se baigner.
La communication fut brutalement interrompue. Quelqu’un avait coupé.
Frustré, Malko attendit une demi-heure, mais Mandy ne rappela pas. C’est en sortant du parking du Sheraton qu’il réalisa ce qu’elle avait voulu lui dire.
Ils avaient noyé Peggy Mei-Ling.
Sa rage était encore plus forte lorsqu’il stoppa devant la City Bank. Pour jouer sa dernière carte. Angelina Fraser était au rendez-vous.
Chapitre XIV
Le sourire de Mr Lim Soon s’effaça instantanément lorsqu’il aperçut Malko s’encadrer dans la porte derrière avec Angelina Fraser. C’est la jeune femme qui avait demandé un rendez-vous plus tôt. Faisant contre mauvaise il prit la main de Malko, referma la porte et retourna derrière son bureau. Ses yeux noirs avaient la dureté de la pierre. La voix tendue par la colère et la peur, il attaqua :
— Mr Linge, je vous avais dit de ne pas chercher à me revoir. Vous me faites courir des risques qui peuvent bouleverser ma vie entière. En plus, je suis impuissant à vous aider.
Malko laissa passer l’orage.
— Je suis désolé, Mr Soon, s’excusa-t-il. J’ai agi ainsi pour deux raisons. La première, c’est que je dispose que de quelques heures et je craignais que vous ne me fuyiez. La seconde, c’est que je suis persuadé au contraire que vous pouvez m’aider. Tout ce que j’ai fait n’a servi à rien et mes adversaires disposent maintenant d’un otage qui m’est cher.
— Qu’attendez-vous de moi ? demanda le Chinois un peu moins tendu.
Malko résuma les derniers évènements, et conclut :
— J’ai fait fausse route en attaquant de front. Hadj Ali a liquidé tous les témoins et se sent très fort. Il n’y a qu’une chose à laquelle il n’a peut-être pas pensé. Ces trois chèques tirés pour un total de vingt millions de dollars sur le compte du Sultan, que sont-ils devenus ? Normalement, une fois l’opération terminée, la banque qui les a touchés les renvoie à la banque qui les a émis. Est-ce exact ?
— Tout à fait, Mr Linge, approuva Lim Soon Mais il est probable que Hadj Ali se soit arrangé pour les détruire.
— Peut-être pas, objecta Malko, cela risquait d’attirer l’attention. En plus, je suppose que ces chèques sont archivés par la banque elle-même. C’est là qu’il faudrait enquêter. Et pour ça j’ai besoin de vous.
Lim Soon réfléchit plusieurs minutes avant de répondre
— En théorie, vous avez raison, Mr Linge. Cela vaut la peine d’essayer. Il faut trouver l’employé qui, à la Banque Internationale de Brunei, gère le compte du Sultan sur lequel ont été tirés ces chèques.
« Je connais une employée chinoise travaillant l’International Bank of Brunei qui serait en mesure de vous aider. Mais je ne sais pas si elle acceptera. Les risques sont énormes…
— Il faut lui demander. Si j’obtiens une preuve tangible, les coupables seront mis hors circuit.
— Que Dieu vous entende ! soupira le Chinois. Pour une affaire aussi sensible je ne peux pas téléphoner. Je vais aller la voir. Donnons-nous rendez vous pour déjeuner au Phong-Mun. Celui de Desi Complex. Je prendrai un salon privé. Mais, ensuite ne me demandez plus rien. Arrivez à une heure, je serai déjà là. C’est ce qu’il y a de plus sûr.
— Merci, dit Malko, soulagé.
— Ne me remerciez pas, corrigea Lim Soon. J’agis ainsi parce que cet homme hait les Chinois. Je sais qu’à long terme, il souhaite nous expulser tous de Brunei. En vous aidant, je défends mes compatriotes
Malko traversa l’esplanade en face du restaurant chinois, le cœur battant. Si Lim Soon n’était pas arrivé à ses fins, tout était perdu. La grande salle au premier étage était presque vide. Une serveuse en robe fendue s’approcha de lui.
— Le salon de Mr Lim ?
La fille le conduisit à travers un couloir jusqu’à une porte jaune et s’effaça pour le laisser entrer. Lim Soon lui tournait le dos. En face de lui se trouvait une Chinoise au visage plutôt ingrat, avec des lunettes serties de strass en ailes de papillon, maquillée maladroitement, du rouge à lèvres jusque sur les dents. Ses cheveux tirés lui donnaient l’air sévère, mais ses yeux brillaient d’un éclat vif.
— Voici miss Yé Yun Gi. Elle travaille dans la banque qui nous intéresse, annonça Lim en se levant.
— Bonjour, dit Malko, merci d’être venue.
— Mr Lim est un ami très cher, répliqua la jeune femme d’une voix douce. C’est à lui que je dois ma modeste carrière…
Elle parlait anglais avec un accent zézayant, les yeux baissés avec parfois un brusque regard pour Malko, par en dessous, comme si il lui faisait peur. Le prototype de la vieille fille. Il entra tout de suite dans le vif du sujet.
— Mr Lim vous a expliqué ce que je cherchais. Pouvez-vous m’aider ?
Yé Yun Gi eut un rire étouffé, signe d’embarras. Elle s’empiffra de quelques crevettes grillées avant de répondre.
Ce n’est pas très facile ! Les documents qui vous intéressent sont conservés aux archives. A chaque titulaire de compte correspond un classeur contenant les chèques tirés et revenus ici. Il faut que j’y accède, le temps de faire une photocopie. Si ces chèques sont là, bien entendu.
— Quand pouvez-vous tenter cela ? demanda-t-il. C’est urgent. Si je n’ai pas ces chèques, je dois quitter Brunei demain.
— Je comprends, dit Yé Yun Gi avec une furieuse œillade pour Malko qui se demanda soudain si elle était aussi vieille fille qu’elle le paraissait. Mais je ne sais pas si j’y arriverai dans un délai aussi court.
— Yé Yun ne doit commettre aucune imprudence, renchérit Lim Soon. Si elle se faisait prendre, ce serait terrible pour toute la communauté chinoise.
Il entama en chinois une longue conversation avec l’employée de banque. Celle-ci opinait sagement sans répliquer. Lorsque Lim Soon eut terminé, Malko reprit
— Le talon porte le numéro d’un compte et le nom d’une société. Si le nom du bénéficiaire est différent, c’est la preuve qu’il y a eu escroquerie de la part de Hadj Ali… Puisqu’il l’a rempli lui-même.
— Sauf si nous aboutissons à un compte numéroté en Suisse ou ailleurs, souligna le Chinois. Il pourra toujours prétendre qu’il a agi sur les instructions de John Sanborn. Et il sera impossible d’identifier le véritable bénéficiaire.
Yé Yun mangeait avec appétit ses nouilles au soja. Elle picora encore dans les différents plats, regarda sa montre avec un sourire d’excuses.