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— Je recommence à deux heures, dit-elle. Je vais faire de mon mieux. Je tiendrai Mr Lim au courant.

Elle s’éclipsa avec la discrétion d’une sot Malko demanda aussitôt

— On peut compter sur elle ?

— Oui, fit Lim. Elle connaît tout le monde et sait se débrouiller. Mais nous lui faisons prendre un risque.

Malko repensa à Mandy Brown. Elle aussi courait un risque énorme. Qu’allait-il se passer après son refus de quitter Brunei ?… Lim Soon semblait nerveux. Malko songea soudain à un autre personnage dont on n’avait plus parlé.

— Qu’est devenue la maîtresse de Michael Hodges ? demanda-t-il.

— Rien, fit Lim Soon, elle travaille toujours à l’autre restaurant. Il doit être totalement sûr d’elle.

Une serveuse entra et se pencha à l’oreille du Chinois. Une brusque lueur de contrariété passa dans ses yeux noirs.

— Michael Hodges se trouve dehors dans le parking, au volant d’une Range-Rover, avec trois de ses hommes. Ils vous ont suivi ?

— C’est possible, dit Malko. Que faisons-nous ?

— Je ne bouge pas d’ici, vous, sortez. Ils n’auront aucune information par le personnel du restaurant.

— J’espère, fit Malko.

Il but son thé brûlant et très sucré malgré la chaleur étouffante, serra la main de Lim et traversa le restaurant presque vide. En débouchant sur la place, il aperçut la Range-Rover qu’on n’avait pas cherché à dissimuler. Michael Hodges était au volant, la glace baissée. Il affronta le regard de Malko. Quand ce dernier démarra, il suivit, à bonne distance. Intimidation.

Ce n’est qu’en voyant Malko entrer dans le parking du Sheraton qu’il décrocha et continua tout droit le long de Jalan Sungai.

Malko trouva un message dans la case Guy Hamilton lui donnait rendez-vous au Maillet à sept heures.

* * *

Le lobby du Sheraton grouillait d’animation quand Malko descendit. Des Malais en grande tenue locale, des femmes très habillées, un orchestre traditionnel, installé au milieu du hall. Un cocktail.

Malko aperçut une femme qui lui adressait un signe amical.

Azizah ! Drapée dans un superbe sari bleu nuit. La jeune princesse était avec deux autres Brunéiennes, horribles et mafflues, pomponnées comme des chevaux de retour. Elle les abandonna et vint vers lui.

— Je vous ai vue l’autre soir à Jerudong, dit Malko après s’être incliné sur sa main.

— Moi aussi, fit-elle, mais je n’étais pas seule. Son regard était brûlant. Le long sari moulait un corps superbe. Ses mains étaient couvertes de bijoux dont un diamant qui devait valoir le prix de l’hôtel.

— Que se passe-t-il ce soir ? interrogea Malko.

— Une des princesses donne un cocktail de charité, expliqua-t-elle. Cela met un peu d’animation. La vie est si triste ici. Combien de temps restez-vous à Brunei ?

— Encore quelques jours, dit Malko. Et vous ?

— Moi aussi, j’ai envie de retourner en Europe, j’en ai assez de Singapour, ce n’est qu’un grand supermarché plein de Chinois… J’irais bien à Londres ou à Paris…

— Venez à Vienne, proposa Malko avec un sourire, c’est ma ville.

Azizah lui jeta un regard ironique.

— Je ne voudrais pas m’attirer les foudres de la charmante jeune femme avec qui vous étiez l’autre soir. Elle dit le plus grand bien de vous.

Les yeux noirs le fixaient avec une lueur amusée et provocante. La princesse Azizah dit soudain d’un trait

— Essayez de me faire savoir quand vous partez. Nous pourrions faire le voyage ensemble à partir de Bangkok ou de Singapour. Ce serait plus gai. Ces longs vols sont assommants…

Il y avait de l’Emmanuelle dans ses prunelles. Malko objecta

— Je ne sais pas où vous joindre.

Azizah tira une carte de son sac du soir et la glissa discrètement dans la main de Malko.

— C’est mon secrétariat privé. Ils parlent anglais. Dites qui vous êtes, on vous passera à moi. A bientôt, j’espère.

Elle pivota et s’éloigna dans la foule, tandis qu’il admirait sa chute de reins moulés par son sari bleu nuit. Il venait de se faire draguer comme une femme. La belle Azizah n’avait pas froid aux yeux. Il savait que cela ne se faisait pas, mais l’idée d’un flirt un peu poussé dans les sièges couchettes d’Air France, entre Bangkok et Paris, serait plutôt excitante. Il n’avait encore jamais fait l’amour avec une Brunéienne…

Il pénétra dans le bar et repéra aussitôt dans un coin sombre la silhouette voûtée de Guy Hamilton.

* * *

Une bouteille de Gaston de Lagrange était posée sur la table devant le Britannique, à côté d’un gros verre ballon plein du liquide ambré. Hamilton leva son verre en voyant Malko avec un sourire chaleureux – Well, well, well ! J’espère que je ne vous dérange pas. Il y a tant de jolies femmes ici, ce soir…

Il avait toujours son ton grinçant, vaguement ironique, les yeux pétillants de malice. Malko prit place à côté de lui. Avec un soin méticuleux, Hamilton se reversa un peu de Gaston de Lagrange et fixa Malko.

— Alors, et votre, enquête ?

— Cela avance, dit Malko. Mais je suis l’objet de nombreuses pressions. Et pas toujours de qui on peut s’attendre.

— Ah bon ? Et qui ?

— Votre ami Michael Hodges, par exemple.

Guy Hamilton se renversa en arrière pour mieux rire.

— Michael ! Old chap[29]. Cela m’étonne considérablement, indeed. Il ne ferait pas de mal à une mouche…

A part les mouches, le mercenaire était prêt à faire du mal à tout ce qui respirait sur terre.

— Qu’en pensez-vous ? demanda Malko. Est-ce que je dois me plaindre à l’ambassadeur pour qu’il saisisse la police ?…

Guy Hamilton lui adressa un regard plein de reproche. Serrant son verre ballon entre ses doigts, il se pencha en avant et dit sur le ton de la confidence :

— Indeed, ce serait positivement inutile… D’ailleurs, je voulais vous dire que le gouvernement de Brunei s’agace de votre présence… Ils n’aiment pas être soupçonnés et, pour eux, la disparition de John Sanborn ne comporte aucun mystère. Vous devriez, à mon avis, limiter votre enquête, écrire votre rapport et aller une semaine à Bangkok vous détendre…

Il s’appuya en arrière, ayant bien délivré son message et dégusta lentement une gorgée de Gaston de Lagrange. Levant ensuite son verre à l’intention de Malko.

— Excellent cognac !

Et il s’y connaissait en alcools…

Malko était écœuré. Tout Brunei se liguait contre lui… Hamilton couvrait Michael Hodges. Il se leva sans toucher son verre.

— Merci de votre suggestion, dit-il, j’y réfléchirai. Elle est en tout cas moins brutale que celle de votre ami.

— Ah bon, pourquoi ?

Malko eut un sourire glacial.

— Mr Hodges m’a simplement proposé l’échange d’une vie humaine contre mon départ.

Il tourna les talons et sortit du bar. Il se sentait un peu dans la peau de John Wayne dans Rio Bravo. Tout aussi impuissant. Et il était bien décidé à rester à Brunei, tant qu’on ne le jetterait pas de force dans un avion.

* * *

Malko n’avait même pas dîné la veille, l’appétit coupé. Il avait appelé Joanna Sanborn, mais le numéro ne répondait pas. Il avait l’obsession de sortir Mandy Brown de ce guêpier.

La frustration de cette enquête peu à peu étouffée férocement le mettait en pleine crise de rage. Il ne restait plus que Yé Yun. Il se leva. Comme toujours le matin, le ciel était dégagé. Il allait demander son breakfast quand le téléphone sonna.

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29

Ce vieux type.