— C’est le concierge, annonça une voix inconnue. A quelle heure quittez-vous votre chambre ? Avez-vous besoin d’un taxi pour aller à l’aéroport ?
Malko mit quelques secondes à réaliser. Fou de rage, il répliqua d’une voix glaciale
— J’ignore qui vous a annoncé mon départ, je ne pars pas…
L’autre eut un rire embarrassé.
— C’est très, très ennuyeux. Nous comptions disposer de votre chambre… Et les personnes qui doivent l’occuper sont déjà arrivées… J’avais pourtant vérifié, vous êtes réservé sur le vol de ce matin à destination de Bangkok, avec correspondance sur Paris par Air France…
— Je ne pars pas, répéta Malko. Il s’agit d’une erreur.
— Sir, insista le concierge. Je suis désolé, mais dans ce cas, vous devez quand même quitter l’hôtel avant midi. Comme je vous l’ai dit, votre chambre est louée.
Il était tout juste poli. Malko raccrocha, ivre de fureur. La pression montait. Après avoir réfléchi quelques secondes, il rappela le concierge.
— Au fond, dit-il, je vais partir, c’est plus simple. Aussitôt, l’autre redevint tout sucre et tout miel.
Malko coupa court à ses excuses et prépara ses bagages. Vingt minutes plus tard, il était dans le lobby. Pas de Michael Hodges en vue. Il prit le volant de sa Toyota et partit, salué par les courbettes de tout le personnel. Arrivé dans le centre, il se gara en face du bâtiment des Royal Brunei Airlines et gagna une cabine téléphonique.
Le numéro donné par la princesse Azizah mit longtemps à répondre. Et cela prit encore plus de temps pour la joindre. Quand Malko entendit enfin sa voix, il n’y croyait plus.
— Quelle bonne surprise ! fit Azizah. Vous savez quand vous partez ?
C’était amusant comme remarque.
— Je voudrais vous demander un service, lui dit Malko. Si vous refusez, je ne vous en tiendrai pas rigueur.
— Vous êtes bien mystérieux, fit-elle d’une voix légère. De quoi s’agit-il ?
— J’ai besoin d’un endroit où habiter quelques jours, expliqua Malko. Le Sheraton ne veut plus de moi. Soi-disant, ils ont reloué ma chambre. Certaines personnes essaient de me faire partir de Brunei. Vous savez probablement pourquoi je m’y trouve.
— On raconte beaucoup de choses sur vous, dit-elle. Vous n’avez pas ici que des amis…
— Je regrette de vous avoir importunée avec cette demande, coupa Malko. Ne m’en veuillez pas.
Il allait raccrocher quand elle dit vivement
— Attendez ! Je ne peux évidemment pas vous accueillir chez moi. Mais je dispose d’une résidence dans le simpang 32 de la Jalan Tutong, où je loge mes amis. Ce n’est pas loin du Palais. Evidemment, vous y serez seul, mais il y a quelques domestiques. Si cela peut vous dépanner.
— C’est merveilleux, fit Malko. Je ne sais comment vous remercier.
— Alors, allez-y, dit Azizah. Je préviens le personnel. Ils parlent anglais et ne vous poseront aucune question. Vous pouvez rester aussi longtemps que vous le souhaitez.
En sortant de la cabine, Malko avait envie de faire des sauts de joie.
La minuscule Philippine à la bouche énorme, qui apportait son thé à Malko chaque matin depuis trois jours, surgit pieds nus, glissant silencieusement sur le marbre et s’inclina avant de déposer le plateau sur la table basse. Il regarda au-delà de la baie vitrée les grosses gouttes qui commençaient à tomber dans la piscine.
Encore une journée pourrie !
La maison d’Azizah était charmante, meublée luxueusement par Claude Dalle, cachée dans un creux de la colline dominant Jalan Tutong, au bout d’un chemin de terre. Seulement, il s’ennuyait à mourir. Seules trois personnes avaient son numéro de téléphone. L’ambassadeur, Angelina Fraser qui assurait la liaison avec Lim Soon et Azizah, bien entendu. Celle-ci l’appelait tous les jours, pour de longues conversations à bâtons rompus. Mais elle n’était pas venue. Malko avait les échos de Sen Begawan par Angelina.
Peu de choses. Mandy Brown était toujours dans la beach-house du prince Mahmoud. La rumeur publique disait qu’il en était fou et avait même décommandé un charter de Philippines en sa faveur. Sur ce point, Malko était rassuré. Provisoirement. Al Mutadee Hadj Ali continuait à remplir ses fonctions et Michael Hodges semblait n’avoir jamais existé.
Malko ignorait site mercenaire l’avait localisé. Ce n’était pas totalement certain car il ne mettait pas les pieds dehors et Azizah avait juré de garder le secret. Mais après trois jours d’inaction, Malko devenait chèvre. Une seule chose le retenait, en dehors de Mandy Brown. Les chèques. Il s’était imposé une semaine de délai avant de décrocher.
La sonnerie du téléphone le fit sursauter, brisant le silence.
— Malko ?
C’était Angelina Fraser. Elle l’appelait tous les matins.
— Quelle nouvelles ?
— Notre ami voudrait que tu le retrouves vers trois heures aujourd’hui au Bunga Raya Hotel, à Limbang, annonça-t-elle.
— Dis-lui que j’y serai.
Il raccrocha. Ivre de joie. Ce coup de fil ne pouvait signifier qu’une chose. Yé Yun Gi avait enfin récupéré les chèques incriminant Hadj Ali. Le Chinois jugeait plus prudent de les remettre à Malko à l’extérieur de Brunei. Cette fois, il touchait au but.
Chapitre XV
Malko composa le numéro de la ligne directe de la princesse Azizah. Généralement, celle-ci dormait à cette heure matinale. Elle répondit pourtant d’une voix languissante qui s’anima lorsqu’elle reconnut Malko.
— Vous avez mal dormi ? demanda-t-elle, moqueuse.
— Non, mais je dois aller à Limbang aujourd’hui.
Azizah eut un rire ironique.
— Vous avez rendez-vous dans un « love hair dressing saloon » ?
Il y avait une pointe de jalousie dans sa voix. Malko se hâta de la détromper.
— Non, non, c’est pour mon enquête. Vous voulez m’accompagner ? Afin que nous puissions un peu nous voir…
Sa question la prit visiblement par surprise. Depuis qu’il était son « locataire », ils ne s’étaient pas revus. Par contre, leurs conversations devenaient de plus en plus intimes. Azizah demeura silencieuse quelques instants, puis dit avec un peu de regret
— Ce n’est pas très drôle, Limbang, et puis, j’ai des choses à faire.
— Dommage, dit Malko. Je vais donc louer un bateau.
— Attendez, demanda soudain la princesse. Où allez-vous là-bas ?
— J’ai rendez-vous au Bunga Raya Hotel. Juste en face de l’embarcadère. A trois heures.
— Bien, fit-elle, j’essaierai de vous rejoindre à l’embarcadère de Limbang vers quatre heures.
Elle raccrocha aussitôt, comme si elle avait honte de sa proposition.
Malko vérifia qu’il avait de l’argent, le Beretta 92 dans une sacoche de cuir, son passeport et sortit de la maison.
Saisi par la chaleur du début de l’après-midi. La première fois qu’il sortait en trois jours ! Quelques minutes plus tard, il s’engageait dans Jalan Tutong, passant devant le palais du Sultan. Il gara sa Toyota dans le grand parking en face de la mosquée et se dirigea vers Jalan Mac Arthur. Assailli aussitôt par les passeurs, il chargea l’un d’eux de lui louer un bateau pour Limbang et patienta devant le marché aux poissons. Pourvu que Lim Soon ait récupéré quelque chose. Il avait bon espoir, le Chinois ne le ferait certainement pas venir à Limbang pour rien…
Vingt minutes plus tard, il se retrouvait dans une jonque bleue, avec une pile de bouées de sauvetage sur le toit, fendant les eaux de la Brunei River, son passeport dûment tamponné. C’était un risque, mais il n’avait pas le choix.