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Vingt-cinq minutes plus tard, les premières maisons de Limbang apparaissaient. Le temps de franchir l’Immigration et de traverser la rue principale, il était devant le Bunga Raya Hotel. Au moment où il allait entrer, Lim Soon surgit de la boutique du rez-de-chaussée, les yeux cachés derrière des lunettes noires et le poussa dans le couloir de l’hôtel.

— Allons dans ma chambre, proposa le Chinois.

Ils grimpèrent au premier dans une cage à poule donnant sur la rue bruyante.

— Yé Yun Gi a obtenu un résultat ? demanda anxieusement Malko.

Le Chinois tira une enveloppe de sa poche et la tendit à Malko.

— Voici les trois chèques.

Ses yeux noirs brillaient de jubilation…

* * *

Malko ouvrit l’enveloppe et en sortit trois photocopies de chèques. Tous tirés sur l’International Bank of Brunei. Il regarda le nom du tireur et eut un petit serrement de cœur.

H. M. Sultan Hadj Hassanal Bolkiah… Tous les trois portaient deux signatures, illisibles l’une et l’autre. Deux étaient de 7,5 millions de dollars, l’un de 5 millions. Malko regarda l’ordre et éprouva immédiatement une horrible déception. C’était l’Anzalt du Lichtenstein, infrastructure de la CIA ! Toute son hypothèse s’écroulait. Il leva les yeux vers le Chinois, ne comprenant plus.

— Mais…

Sans un mot, Lim Soon lui tendit avec un sourire trois autres photocopies : celles du verso des trois chèques. Tous portaient un endos.

Les deux plus gros étaient établis à l’ordre de la Singapour Invesirnent Corporation, le troisième au nom de la Brunei Consolidated Ressources.

— Que sont ces sociétés ? demanda Malko. Lim Soon eut un sourire gourmand.

— J’ai vérifié, c’était facile. La Singapour Investement Corporation appartient à 99 % au Pengiran AI Mutadee Hadj Ali. Bien sûr, il a un directeur, mais c’est un homme de paille. D’ailleurs, grâce à ces chèques, il a pu acheter l’hôtel Holiday Inn de Singapour, alors que sa société ne possédait pratiquement rien.

Malko regardait les chèques, fasciné. Enfin, la preuve qu’il cherchait.

— Et le troisième ?

— C’est encore plus facile, précisa le Chinois. C’est une société anglaise qui est contrôlée par le MI 6. Elle a servi à récupérer des commissions sur les ventes d’armes à Brunei et ensuite à financer certains réseaux clandestins britanniques dans le Sud-Est asiatique. Une seule personne possède la signature de ce compte à la Barclay’s Bank : c’est Guy Hamilton, son fondé de pouvoir…

Malko n’en revenait pas. Tout s’expliquait. Le vieil espion britannique était partie prenante !

— Qui a signé ces chèques ? demanda-t-il.

Lim Soon hocha la tête :

— L’une des signatures est celle de Hadj Ali, je la connais très bien. L’autre celle du Sultan. Il suffisait ensuite de les endosser. Voilà pourquoi il fallait à tout prix trouver un bouc émissaire afin qu’aucune recherche ne soit entreprise.

Malko ne sentait plus l’air poisseux, n’entendait plus les cris des joueurs de billard et le tintamarre de la rue. Il avait gagné !

Envers et contre tous. Il était parvenu à découvrir la vérité… Il replia les photocopies, les remit dans leur enveloppe et celle-ci dans sa poche. Lim Soon l’observait, vaguement inquiet.

— Qu’allez-vous en faire ?

— N’en parlez surtout à personne, expliqua Malko. Dès mon retour à Bandar Sen Begawan, je les montre à l’ambassadeur. Il demande une audience au Sultan et c’est à ce dernier que nous donnerons ces chèques endossés et que nous expliquerons l’escroquerie.

— J’espère que personne ne saura jamais comment vous vous les êtes procurés. Le Sultan va être horriblement humilié que des étrangers découvrent qu’il s’est fait voler par son plus proche serviteur…

— Il faudra qu’il s’y fasse, dit Malko. A propos, comment avez-vous convaincu Yé Yun Gi de prendre autant de risques ? Elle n’a même pas réclamé d’argent.

— Nous sommes du même village, expliqua le Chinois. Nous nous connaissons depuis toujours.

Malko n’avait plus qu’une hâte maintenant retourner à Brunei.

— Vous êtes venu comment ? demanda-t-il à Lim Soon.

— Avec un « river coach ».

— J’ai un bateau, je peux vous emmener, cela sera plus agréable.

Lim Soon hésita un peu.

— Bien, mais dans ce cas, vous me débarquerez dans le Kampong Ayer pour que nous n’arrivions pas ensemble. Je prendrai un sampan ensuite.

Malko regarda sa montre. Trois heures vingt. Il n’avait pas envie d’attendre jusqu’à quatre heures au cas où Azizah viendrait. Les chèques lui brûlaient la poche. Tant pis, il allait poser un lapin à la princesse.

Ils repartirent vers l’embarcadère et embarquèrent dans la jonque de Malko, commençant par longer les centaines de billes de bois amarrées le long des berges, qui bientôt firent place aux palétuviers marécageux. L’eau bourbeuse, jaunâtre, charriait des troncs d’arbres et des choses innommables.

Malko aperçut soudain une embarcation venant en sens inverse, allant à toute vitesse.

Rien à voir avec les jonques bleues ventrues au toit plat. C’était un bateau de plaisance, tout blanc. Un pavillon jaune et rouge flottait à un mât. Lim Soon remarqua

— Tiens, un membre de la famille royale…

Malko regarda plus attentivement et crut discerner dans l’ombre du cockpit la princesse Azizah. Il agita le bras, mais son bateau ne ralentit pas. Quelques instants plus tard, il la perdit de vue, leur jonque bifurquant dans un des innombrables bras du labyrinthe fluvial séparant Brunei du Sarawak. Le chenal où ils se trouvaient était plus étroit, avec de nombreux marigots, des impasses se perdant dans la végétation inextricable, encombrée de coques de bateaux submergées. La chaleur était encore plus étouffante qu’en ville, et le silence pesant, à part le bourdonnement des insectes. Tout à coup, du coin de l’œil, il aperçut un « Boston-Whaler[30] » immobilisé dans un bras mort. Dès qu’ils furent passés, l’engin démarra, rejoignant le chenal où ils naviguaient.

Son moteur hors bord rugissait et Malko se retourna pour l’observer. Il allait beaucoup plus vite qu’eux.

Son pouls monta à 140. Il y avait plusieurs hommes à bord de l’embarcation qui se rapprochait. L’un d’eux était Michael Hodges, debout, un M. 16 au creux du bras.

* * *

Lim Soon poussa une exclamation étranglée et apostropha en malais le pilote de leur bateau, debout derrière sa roue. Ce dernier ne broncha pas. Au contraire, il ralentit un peu. Malko comprit immédiatement pourquoi ils avaient quitté le bras principal pour cet affluent désert. Leur pilote faisait partie de l’embuscade.

Lim Soon se jeta sur lui, tentant de lui arracher la barre. Aussitôt, le Malais sauta à l’eau, après avoir coupé le moteur ! De toute façon, le Boston arrivait déjà à la hauteur de la grosse jonque. Malko plongea la main dans sa sacoche pour récupérer son Beretta.

Quand il se redressa, Michael Hodges braquait sur lui son M, 16, le doigt sur la détente. Un de ses hommes prit pied sur la jonque et désarma Malko. Lim Soon voulut se précipiter dans l’eau à son tour, mais deux des hommes l’en empêchèrent, lui tordant brutalement les bras derrière le dos. Malko, en dépit de sa résistance, dut passer dans le Boston, sous la menace du M. 16 et d’un poignard. Suivi aussitôt de Lim Soon qui fut jeté comme un paquet sur le plancher du bateau plat. Le guet-apens n’avait pas duré deux minutes. Le pilote de la jonque était en train de se hisser à bord. Michael Hodges lui jeta un ordre en malais et il reprit son poste. Le Boston-Whaler accéléra, s’enfonçant dans le chenal et la jonque fit demi-tour, retournant vers le fleuve principal.

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30

Bateau rapide à fond plat.