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Malko réprimait sa rage. Il avait sous-estimé Michael Hodges. Le policier qui avait tamponné son passeport avait dû immédiatement le prévenir.

— Il fallait m’écouter, dit soudain le Britannique d’une voix calme, maintenant c’est trop tard, Mr Linge, vous auriez mieux fait de prendre l’avion l’autre jour. Vous seriez vivant à Bangkok, au lieu de moisir dans ce coin perdu. Que faites-vous avec ce Chinois ?

Malko ne répondit pas. Michael Hodges semblait Intrigué par la présence de Lim Soon.

Les trois autres – des Blancs – ne disaient pas un mot. Hodges, sans plus s’occuper de Malko, prit la barre et tourna tout à coup dans un étroit chenal boueux. Quelques mètres plus loin, il échoua le Boston sur la vase. Un de ses hommes sauta à terre et attacha le bateau, presque invisible du bras principal. La chaleur humide était étouffante, on n’entendait que des bourdonnements d’insectes et de rares cris d’oiseaux. Malko fut sorti du bateau et jeté à terre, ainsi que Lim Soon. Ce dernier échangea avec Malko un regard où se lisait tout le désespoir du monde.

Les hommes de Michael Hodges leur attachèrent les chevilles et les poignets. En bons professionnels. Puis on les remit sur pied. Autour d’eux, il n’y avait qu’une jungle dense et marécageuse. Un des hommes était resté sur le Boston-Whaler, guettant le chenal. Hodges lança aux deux autres :

— Fouillez-les.

Ce fut vite fait. Trouvant sur Malko l’enveloppe contenant les six photocopies, Hodges l’ouvrit, les examina longuement et émit un petit sifflement, puis les remit dans l’enveloppe qu’il enfouit dans la poche de sa chemisette kaki, et fit face à Malko.

— Je vois pourquoi vous êtes allé à Limbang. Notre ami Lim ne tenait pas à ce qu’on soit au courant de sa petite saloperie.

Avec un sourire mauvais, il s’approcha de Lim Soon qu’il attrapa par sa chemise.

— Qui t’a donné ça, sale petit gook[31] ?

Lim Soon se recroquevilla sans répondre. Michael Hodges éclata de rire et se baissa. Quand il se redressa, sa main droite serrait un long poignard à la lame de scie… Il en piqua la pointe dans l’estomac de Lim Soon qui hurla. Le Britannique se tourna vers Malko

— Vous avez déjà entendu crier un Chinois ? C’est différent des Malais. Ecoutez.

De nouveau, il enfonça son poignard, déclenchant un hurlement.

Le mercenaire hocha la tête.

— C’est bien un Chinois. Je n’aurais pas voulu me tromper.

D’une bourrade, il fit tomber Lim Soon à terre lui enfonça son poignard dans la gorge, juste dans trachée artère…

Lim Soon eut un gargouillement horrible deux mains crispées sur le manche du poignard essayant d’arracher l’acier de sa gorge. En vain. Le mercenaire prit le Chinois par les cheveux et commença à lui scier la gorge, comme on égorge un porc.

Un jet de sang jaillit d’une des carotides éventrées et Lim Soon poussa son dernier râle d’agonie. Les jets saccadés du sang diminuèrent très vite d’intensité. Malko détourna la tête. C’était abominable. L’humus buvait le sang au fur et à mesure comme pour effacer les traces du meurtre… Michael Hodges se redressa, essuya son poignard à des bambous Nipah et jeta un coup d’œil dégoûté au cadavre encore secoué de quelques spasmes. Ses hommes n’avaient pas bronché. Malko éprouvait une drôle d’impression au creux de l’estomac. Ça allait être bientôt son tour, il ne se faisait guère d’illusion. Le mercenaire savourait sa vengeance.

Il revint à Malko.

— Alors, on n’a toujours rien à dire ?

En réalité, il s’en moquait. Malko pensa à Liezen, à Alexandra, cherchant une issue honorable. Il n’avait pas envie de se faire égorger comme le Chinois. Deux des hommes de Hodges portaient des armes à feu. Il fallait fuir et se faire abattre d’une balle dans le dos. Seulement, il avait les jambes entravées… Et de toute façon, dans la jungle, on ne pouvait parcourir plus de quelques mètres sans un coupe-coupe.

Devant le silence de Malko, Hodges se retourna vers ses hommes et leur jeta

— Occupez-vous du gook.

Tout avait été prévu. Les deux tueurs retournèrent bateau et revinrent avec des cordes et un rouleau grillage. Ils le déroulèrent sur le sol et y placèrent corps du Chinois assassiné. Puis ils le roulèrent dedans comme dans un tapis, ficelant ensuite l’abominable paquet. De cette façon, le corps ne risquait de remonter à la surface…

C’est un beau « rouleau de printemps », hein ! lança le Britannique à Malko, faisant allusion à une spécialité de la cuisine chinoise. On sera un peu juste, on n’avait prévu que pour un…

Déjà ses deux complices poussaient le corps du Chinois vers la berge. L’eau jaunâtre l’avala et il disparut instantanément. Les poissons et les crustacés en viendraient vite à bout. Michael Hodges fixait Malko avec un sourire ironique.

— Vous êtes vraiment con ! dit-il, je vous avais prévenu. Ici, je fais ce que je veux. Et j’agis pour un des hommes les plus puissants de ce pays.

— Vous êtes une ordure, répliqua Malko. Je pensais que l’armée britannique, c’était autre chose.

Les yeux du mercenaire flamboyèrent. Il plongea la main dans son Ranger et fit jaillir son poignard dont il appuya la pointe sur la gorge de Malko, faisant perler une goutte de sang.

— J’obéis aux ordres, gronda le Britannique, comme j’ai toujours fait et tu vas retirer ce que tu as dit. Sinon, je te saigne comme le Chinois…

— Allez-vous faire foutre !

Leurs regards s’affrontèrent. Chez Malko, la rage surpassait tout autre sentiment. Même la peur de la mort en devenait abstraite… Il vit dans les yeux du tueur qu’il allait enfoncer son poignard d’un coup.

Soudain, il y eut une exclamation derrière lui. Le Malais qui pilotait le Boston-Whaler arrivait en courant. Il interpella Hodges dans sa langue, d’une voix pressante. Malko sentit la pointe d’acier relâcher sa pression. Hodges pivota, abandonnant Malko, engageant une discussion furieuse avec le pilote du BostonWhaler. Les deux autres Britanniques, des brutes au crâne rasé, regardaient sans comprendre, ou dépassés par les événements. Michael Hodges était cramoisi, comme s’il avait vidé une bouteille de scotch d’un coup. Il se tourna à nouveau vers Malko et ce dernier vit dans ses yeux la lueur de la folie…

Il ouvrit la bouche pour dire quelque chose et au même moment, un second Malais déboucha, venant du sentier longeant la rive. En tenue kaki, les cheveux courts. Le nouveau venu interpella Michael Hodges d’une voix sèche, désignant Malko. Le Britannique bondit en avant et, à la volée, le gifla en lâchant une injure. L’autre pivota sous le coup, mais lorsqu’il revint dans sa position initiale, il tenait un court pistolet à la main, braqué sur Michael Hodges !

* * *

Pendant une ou deux secondes, il ne se passa rien. Puis Hodges poussa un juron effroyable, banda ses muscles, prêt à se jeter sur le Malais. Celui-ci leva son arme et dit, en anglais cette fois, d’une voix sans réplique

— Mister Hodges, libérez cet homme immédiatement. C’est un ordre de la Datin Alya Hadjah Azizah Bolkiah. Son bateau se trouve à cent mètres d’ici.

Malko eut l’impression qu’on lui insufflait de l’oxygène pur dans la poitrine. Azizah les avait vus, avait fait demi-tour et les avait retrouvés ! Hélas, trop tard pour sauver Lim Soon. Michael Hodges devait savoir qu’il lui était impossible de se débarrasser de l’homme en face de lui. Même avec le pouvoir dont il disposait. La princesse Azizah avait un accès direct au Sultan, elle.

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31

Bougnoule.