Выбрать главу

Ça dépendait pour qui…

* * *

Malko émergea du parking diplomatique au volant de la Buick et s’immobilisa. La Jalan Pretty était presque vicie et déjà obscure. Il fallait être très près de sa voiture pour s’apercevoir que ce n’était pas le diplomate qui conduisait. Il tourna à droite, filant vers Kota Batu. Dès qu’il eut franchi Subok Bridge, il accéléra jusqu’au ministère des Affaires étrangères qui dominait la Brunei River, un peu plus loin. S’il était suivi, personne ne s’étonnerait que l’ambassadeur des Etats-Unis s’y rende… Juste avant le bâtiment, une route se greffait sur Kota Batu, grimpant droit à travers la colline. Il s’y engouffra, la montant d’un trait. Arrivé au sommet, il se retourna : personne ne l’avait suivi. Il franchit la crête et s’embusqua de l’autre côté. Dix minutes plus tard, rassuré, il reprit sa route, effectuant un grand détour pour revenir vers le centre.

Il parvint sans encombre à la Jalan Cator. Une des gardiennes du parking, un foulard sur la tête, lui donna un ticket et il s’engagea dans la rampe. Il était un peu plus de cinq heures… D’un trait, il monta jusqu’au dernier étage en plein air, éteignit ses phares et descendit de voiture. De l’autre côté du parapet de pierre, il apercevait les lumignons du Kampong Ayer et, à sa droite, le dôme d’or de la mosquée Omar Ah Saifuddin. Les sampans pétaradaient sur le fleuve comme d’habitude et il commençait à pleuvoir.

Il regagna la Buick et se mit à compter les minutes. A six heures moins le quart, il ne maîtrisait plus son anxiété. Une brusque rafale de pluie obscurcit son pare-brise. Il mit les essuie-glaces et dès que le pare-brise fut dégagé, il aperçut une silhouette près de l’ascenseur.

Un torrent d’adrénaline se rua dans ses artères. Il sauta de la voiture et courut vers Yé Yun Gi, enveloppée dans un imperméable de plastique. Il entraîna la Chinoise vers la Buick où elle s’effondra.

— J’avais peur que vous ne soyez pas là ! s’exclama-t-elle. J’ai couru, j’ai l’impression que j’étais suivie.

— On vous a dit quelque chose à la banque…

— Des gens de la police sont venus. Ils ont interrogé beaucoup d’employés, même le directeur.

— Et vous ?

— Oui, moi aussi, mais j’ai dit que je ne savais rien.

Ses lunettes étaient embuées, elle les ôta et Malko s’aperçut que ses yeux étaient maquillés. Il l’aida à se débarrasser de son imperméable trempé et découvrit un chemisier blanc et une jupe serrée sombre qui se prolongeait par des bas noirs…

— Vous avez réussi ? demanda-t-il.

Yé Yun Gi plongea la main dans son sac et en sortit une enveloppe.

— Les voilà.

II ouvrit l’enveloppe, l’estomac noué et, en un coup d’œil, grâce au plafonnier, s’assura qu’il s’agissait des mêmes photocopies !

— Fabuleux !

Spontanément, il étreignit Yé Yun Gi qui gloussa. Ses yeux riaient. Leurs visages étaient à quelques centimètres l’un de l’autre, la bouche de la Chinoise se glua à la sienne pour un baiser violent, aussi passionné qu’inattendu. Yé Yun se jetait de tout son corps vers lui. Déchaînée. Toute pudeur abandonnée, elle se frottait contre lui, l’embrassait à perdre le souffle. Elle prit sa main posée sur sa cuisse et la guida beaucoup plus haut, jusqu’à la moiteur d’un sexe sans protection. Elle poussait son ventre en avant, comme pour y faire entrer ses doigts. La pluie s’était déchaînée, les isolant. Personne n’allait les déranger. On ne voyait même plus les lumières du Kampong Ayer !

Malko ne se posait plus de question. La Chinoise était venue lui remettre les chèques et se faire payer. En nature. On n’entendait plus dans la voiture que les halètements de leurs respirations saccadées.

Tout à coup, il lui sembla apercevoir des ombres à travers la pluie. Instinctivement, il appuya sur le « lock » verrouillant les quatre portières. Dix secondes plus tard, quelqu’un essayait d’ouvrir la sienne !

Yé Yun Gi eut un cri étranglé et se redressa, les yeux fous.

— Qu’est-ce que c’est ?

Le claquement avait retenti d’une façon sinistre.

— Ne vous inquiétez pas, dit Malko.

Sans même se rajuster, il tourna la clef de contact, alluma les phares et lança ses essuie-glace, presque dans le même geste. Le faisceau éclaira deux hommes. L’un avait le crâne rasé, c’était un de ceux qui avaient jeté à l’eau le cadavre de Lim Soon ; Malko ne connaissait pas l’autre. Ils se trouvaient entre lui et la rampe de sortie. Il n’hésita pas une seconde.

Passant la première, il accéléra, visant le tueur au crâne rasé. Cueilli par l’aile gauche il roula sur le capot, heurta violemment le pare-brise et retomba au sol !

Malko était déjà à l’entrée du garage. Au moment où la Buick plongeait dans la rampe, une courte rafale éclata derrière lui et la lunette arrière devint opaque. Yé Yun Gi poussa un hurlement. Malko n’avait pas le temps de s’occuper d’elle. A tombeau ouvert, il descendit les cinq étages, Yé Yun tassée à côté de lui, ayant oublié toute velléité érotique, les dents serrées. La barrière était baissée au rez-de-chaussée. IL accéléra encore et la fit voler en éclats. Il déboucha dans Jalan Cator, puis rejoignit Jalan Sultan et Jalan Tutong, fonçant comme un fou.

— Où allez-vous ? demanda-t-elle enfin.

— Chez l’ambassadeur des Etats-Unis, dit-il, vous restez avec moi.

Elle essaya de ramener ses cheveux en chignon, défaite, le maquillage en détresse…

— Mais je ne peux pas, protesta-t-elle. Mon père…

— Ces gens sont prêts à tout, dit Malko. Grâce à vous, je vais les neutraliser. Mais je ne veux pas qu’ils vous tuent avant. Demain, tout sera réglé. Tout ira bien.

Il conduisait aussi vite que la pluie le permettait. Soudain, Yé Yun demanda :

— C’est vrai que vous avez eu une aventure avec la princesse Azizah ? Elle est très belle…

— Vous aussi, fit Malko.

Il y avait des moments où il fallait savoir mentir. C’était sûrement le plus beau moment de la vie de Yé Yun : partager un homme avec cette inaccessible princesse d’opérette. Pour ça, elle avait risqué sa vie…

Malko surveillait le rétroviseur. Rien. Il entra directement dans le jardin de l’ambassadeur. Walter Benson lui ouvrit la porte. Avant qu’il puisse s’étonner de la présence de Yé Yun, Malko lui lança

— J’ai les chèques. Demain nous allons régler nos comptes.

Le lendemain allait être le jour le plus long. Le Pengiran Al Mutadee Hadj Ali risquait de vendre chèrement sa peau et de se venger sur Mandy Brown.

Chapitre XVIII

Al Mutadee Hadj Ali attendait à côté du téléphone, fixant machinalement les boiseries dorées de son bureau. La nuit était tombée depuis longtemps. Dès le matin, il s’était lancé à la recherche du traître de l’International Bank of Brunei. Grâce aux informateurs de la Special Branch, cela avait été relativement facile de le localiser. Une Chinoise dont il ignorait jusqu’à ce jour le nom et l’existence. Mais qui avait le pouvoir de faire basculer sa vie… Au lieu de la faire arrêter séance tenante, il avait donné l’ordre de la suivre, afin de faire d’une pierre deux coups : elle les mènerait sûrement à l’agent de la CIA. Il ne resterait plus que Mandy Brown. Quand « Sex-Machine » s’en serait fatigué, les hommes de Michael Hodges s’en occuperaient. D’une façon un peu sophistiquée pour ne pas faire hurler l’ambassadeur des Etats-Unis. Ensuite, la vie reprendrait son cours.

Le téléphone vert, celui réservé aux communications de sécurité, se mit à sonner. Le cœur battant, le Premier aide de camp décrocha. Il aimait toujours entendre la voix au calme rassurant de Michael Hodges. Dévoué comme un labrador.