— Sir, il faut que vous me rendiez la photocopie du chèque qui concerne le MI 6.
Le diplomate sursauta.
— J’en ai besoin. Pour tenter de sauver Mandy Brown. Il me faut une monnaie d’échange. Vite…
Son ton était presque menaçant. Sidéré, Walter Benson alla à son coffre, en sortit les documents et tendit à Malko le chèque qui l’intéressait.
— Je prends votre voiture, dit Malko.
Quand il eut les clefs dans la main, il sourit enfin.
— Souhaitez-moi bonne chance. S’il arrivait quelque chose, vous allez voir le Sultan. Avec les deux autres chèques, vous en avez assez pour confondre Hadj Ali.
— Que faites-vous ?
— Je vais rendre une visite d’amitié à M. Guy Hamilton.
Mandy Brown, arc-boutée contre la porte de Peggy, sentait le panneau trembler sous les coups d’épaule de Michael Hodges. D’ici, les gurkahs ne pouvaient pas entendre ses appels. Bizarrement, depuis quelques minutes, son téléphone n’avait plus de tonalité. Un coup plus sec. Le bois se fendit. Horrifiée, elle vit apparaître une main entre les échardes, qui descendait à tâtons vers la serrure pour tourner la clef…
Affolée, elle regarda autour d’elle, repéra un long coupe-papier et s’en empara. Sans réfléchir, presque les yeux fermés, elle abattit la lame sur la main en train de ramper…
Le hurlement du Britannique secoua les murs. Le poignard avait cloué sa main à la porte comme un papillon ! Le sang giclait, coulant le long du panneau. Mandy recula, terrifiée. S’il la prenait maintenant, il la tuait à coup sûr…
Déjà, des coups recommençaient à ébranler la porte. De sa main valide, le mercenaire britannique était en train de la défoncer pour se libérer. Quelques secondes plus tard, Michael Hodges arrachait de la main gauche le poignard clouant son autre main au bois, tournait la clef et débouchait dans la pièce.
Le mercenaire plaqua Mandy sur le sol. Ils roulèrent l’un sur l’autre, il prit le dessus, s’assit sur sa poitrine, lui mit sa main valide autour de la gorge et gronda.
— Laisse-toi faire ou je t’étrangle.
Il était en train de mettre sa menace à exécution… Mandy, les yeux hors de la tête, cessa de se débattre… Michael la força à se mettre debout et lui tordit aussitôt un bras derrière le dos.
Hadj Ali apparut à son tour.
— Tenez-la, lança Michael Hodges.
Il fonça dans la salle de bains et réapparut, la main droite enveloppée dans une serviette sanglante. Hadj Ali cria au mercenaire
— Allez chercher ma voiture.
Pas question de repasser devant les gurkahs en traînant de force Mandy Brown. Avec un regard de haine pour la jeune femme, le Britannique s’éloigna. Le Brunéien plaqua Mandy face contre le mur, lui tordant encore plus le bras. Il reprenait son souffle, échafaudant son plan. Une fois Mandy Brown sortie de la beach-house, il l’emmènerait dans un endroit sûr où personne ne viendrait la chercher. Et il négocierait. Il ne disposait que de quelques heures. En fin de journée Mahmoud voudrait rendre visite à Mandy. Il fallait qu’elle soit de retour. Mandy tourna la tête. Leurs regards se croisèrent. Les yeux bleus de la jeune femme jetaient des éclairs, elle lui cracha au visage.
— Connard, tu es déjà mort !
Il la secoua aussitôt comme un prunier.
— Qu’est-ce que vous voulez dire ?
Se rendant compte qu’elle avait trop parlé, Mandy resta muette. Si le Brunéien apprenait qu’elle avait prévenu Malko, il était capable de la tuer sur place. Un vrombissement lui fit tourner la tête. La Ferrari grise arrivait, Michael Hodges au volant.
Hadj Ali la décolla du mur, un bras tordu derrière le dos. Le Britannique sortit, laissant la portière ouverte. Il n’avait que quelques mètres à parcourir. Mandy regarda autour d’elle.
Le gurkah le plus proche se trouvait à trois cents mètres et tournait dos. Une fois dans cette voiture, elle savait que rien ne la sauverait : elle en avait trop vu.
Michael Hodges venait sur elle, son poignard l’horizontale serré dans sa main gauche.
— Si tu fais un écart, petite salope, fit-il, je t’ouvre le ventre.
Son expression disait assez qu’il ne demandait cela. La gorge nouée, Mandy Brown se dirigea la Ferrari.
Chapitre XX
Guy Hamilton, les yeux à marée basse, contemplait Malko. A cette heure-là, il n’avait pas encore trop bu, mais l’alcool de la veille n’était pas éliminé… Chaque fois qu’il bougeait la tête, il avait l’impression qu’une boule de plomb se déplaçait et tapait contre la paroi de son crâne. En plus, il réprimait une vague nausée et mourait d’envie de se préparer un bon Johnny Walker avec un peu de soda et beaucoup de glace. Après ça irait mieux. Les paroles de son interlocuteur lui parvenaient comme dans un brouillard.
— Mr Hamilton, répéta Malko en brandissant le chèque récupéré chez l’ambassadeur des Etats-Unis, ce chèque prouve que vous êtes complice du meurtre de John Sanborn. Et que vous avez touché une partie des vingt millions de dollars détournés.
Le Britannique regarda le chèque comme s’il s’agissait d’un extra-terrestre.
— Je ne comprends pas, balbutia-t-il.
Malko le repoussa à l’intérieur de sa maison et le prit au collet. L’autre n’était pas rasé, sentait encore l’alcool, mais ses yeux commençaient à reprendre un peu de vie. Il tenta d’écarter Malko, et lança d’une voix plus ferme
— Je suis chez moi. You‘re invading my privacy… Go away.
Malko n’avait pas vraiment le temps de discuter.
Tranquillement, il sortit le Beretta 92 automatique récupéré chez l’ambassadeur, l’arma, faisant monter une balle dans le canon et en posa l’extrémité sous le menton de Guy Hamilton.
— Mr Hamilton, fit-il, je ne suis pas d’humeur à jouer. J’ai une offre à vous faire. A mon avis que vous ne pouvez pas refuser… Et je suis pressé. Il s’agit de la vie de Miss Brown.
— Je n’aime pas les menaces, protesta le Britannique.
Le canon bougea légèrement et Malko appuya sur la détente. La détonation fut assourdissante, un trou apparut dans le mur derrière la tête de Guy Hamilton et ce dernier eut un sursaut comme s’il avait été touché par une décharge électrique. L’âcre odeur de la cordite le fit éternuer. Malko appuya le canon encore chaud au même endroit.
— La prochaine vous emportera une partie du cerveau, précisa-t-il.
Lui qui abhorrait la violence était toujours obligé de se livrer à de regrettables extrémités pour se faire écouter… Les yeux mi-clos, le Britannique récupérait.
— Que voulez-vous ? demanda-t-il d’une voix mal assurée.
— C’est simple, dit Malko. Je vous remets ce chèque et vous avez ma parole que je ne le mentionnerai pas. En échange, vous venez avec moi à la beach-house du prince Mahmoud et vous m’aidez à arracher Mandy Brown à vos hommes.
Les secondes s’écoulèrent, interminables. Hamilton rouvrit les yeux et demanda d’une voix plus ferme
— Qui me dit que vous tiendrez votre parole ?
— Rien, fit Malko en le poussant dehors. Mais ça vous laisse au moins une chance.
L’autre hocha la tête, puis sans un mot, ouvrit un tiroir, y prit un vieux Webley qui semblait avoir fait la guerre des Boers, le glissa sous sa chemise ample et suivit Malko. Ce dernier aperçut la Rover avec une antenne de téléphone. Cela pouvait servir.
— Prenons votre voiture, dit-il.
Guy Hamilton ne protesta pas, se demandant comment tout cela allait finir. Malko dévala Jalan Tutong à tombeau ouvert, un œil sur sa montre. Avec Guy Hamilton, il pouvait passer tous les barrages. L’ancien chef de la Special Branch était respecté de tous et on savait qu’il voyait régulièrement le Sultan qui avait une grande confiance en lui. Mais que s’était-il passé avec Mandy entre-temps ? N’allait-il pas arriver trop tard ?