— Vous avez entendu ! Votre amie Mandy Brown ne semble plus en danger.
— Je préfère m’assurer qu’ils ne l’ont pas déjà tuée, fit Malko, appelez la beach-house.
Il composa le numéro et demanda
— Que voulez-vous ?
— Parler à Mandy Brown.
Cela sonnait. Le Britannique décrocha et s’adressa à son interlocuteur en malais. Mettant la main sur l’écouteur, il dit
— Elle s’est échappée avant le départ de Hadj Ali ! Au volant d’une des voitures du prince Mahmoud, une Ferrari rouge. Nous allons bientôt la voir. Il n’y a qu’une route.
Malko réfléchit rapidement. Lui fonçait vers Jerudong et, en face, Mandy Brown et Al Mutadee Hadj Ali venaient vers eux. Le Premier aide de camp n’avait aucunement l’intention de se rendre à la convocation de son souverain. Une fois à Singapour, il s’en sortirait très bien.
John Sanborn, Katherine, Lim Soon, Peggy Mei-Ling passaient aux profits et pertes… Cette idée le faisait grimper aux murs. Il chercha et sa fabuleuse mémoire lui apporta soudain l’ébauche d’une solution. Sur la route étroite menant à Tutong et à Jerudong, l’étroitesse de la chaussée rendait les dépassements difficiles. Dix kilomètres après la sortie de la ville, il aperçut ce qu’il avait déjà repéré à un de ses précédents passages. Un chantier de construction de station-service. Un énorme camion-benne déchargeait de la terre autour de la construction.
— Nous allons nous arrêter, décréta Malko.
Le véhicule fit un écart et ils stoppèrent à côté du camion. Malko sauta à terre et ordonna
— Utilisez votre autorité. J’ai besoin de ce camion, dites au chauffeur que nous le réquisitionnons.
— Mais…
— Faites ce que je vous dis. Sinon, notre deal ne tient plus. Et vite.
Pendant que Guy Hamilton se dirigeait vers le camion, Malko se posta au bord de la route, scrutant les véhicules qui arrivaient en sens inverse. Il n’eut pas longtemps à attendre. Une Ferrari rouge Testa Rossa, au ras du sol, surgit d’un virage, roulant à tombeau ouvert ! Malko se précipita au milieu de la chaussée, agitant les bras.
La Testa Rossa pila à dix centimètres de lui et Mandy Brown en jaillit comme une fusée. Avec un hurlement de joie, elle se jeta dans les bras de Malko.
— Dans quel merdier tu m’as fourrée ! s’exclama-t-elle. J’ai cru devenir dingue ! Tu as vu Hadj Ali ? Il a essayé de me tuer !
— N’aie pas peur et viens ! dit Malko.
Laissant la Ferrari rouge sur le bas-côté, ils coururent jusqu’au camion où le chauffeur malais fixait Guy Hamilton avec stupéfaction. Le moteur tournait et la cabine était vide. Malko lança à Guy Hamilton :
— Montez, je conduis.
Il se mit au volant. Mandy Brown regardait, médusée.
— Qu’est-ce qui te prend ? demanda-t-elle. Tu as disjoncté, toi aussi ?
— Je t’expliquerai plus tard, dit Malko, reprends ta voiture et suis ce camion, nous repartons vers Jerudong.
Déjà il passait la première et le monstre s’ébranla lentement.
— Mais enfin, que voulez-vous faire avec ce camion ? demanda Guy Hamilton.
— Vous allez voir, dit Malko.
Les cocotiers et la jungle défilaient à toute vitesse de chaque côté de la route. Hadj Ali ne voulait pas arriver trop en retard à la convocation de son souverain… Accroché à son volant, il jouait du klaxon et des phares. Dès que les conducteurs venant d’en face l’apercevaient, ils se jetaient sur le bas-côté pour laisser la route libre à la Ferrari grise, symbole du pouvoir. Hadj Ali en profitait encore plus que d’habitude. C’était la dernière fois qu’il se sentait tout-puissant.
Il négocia un virage qui débouchait sur une longue ligne droite. Une occasion de passer la cinquième.
Sous l’impulsion des 360 chevaux, la Ferrari bondit en avant encore plus vite, collée à la route, rugissant comme un fauve. Une Rover s’écarta précipitamment, mordant sur le fossé. La route était dégagée à part un camion arrivant en face. Presque au milieu de la chaussée… Machinalement, Hadj Ali envoya un appel de phares et écrasa le klaxon, se déportant légèrement pour passer sans problème. Il lui restait une centaine de mètres. Son cerveau mit plusieurs fractions de seconde à réaliser que le camion ne changeait pas sa course.
Avec rage, le Premier aide de camp fit de nouveau un appel de phares.
La distance diminuait à toute vitesse.
Le camion fit enfin un écart, mais sur sa gauche, au lieu de se ranger, bloquant toute la chaussée ! Michael Hodges sembla grimper le long de son siège les bras arc-boutés contre le tableau avant. Aucun son ne sortit de sa bouche.
Hadj Ali fut si stupéfait qu’il vit arriver la mort sans réagir. Il hurlait encore, les mains soudées à son volant, quand l’avant de la Ferrari grise s’écrasa contre l’énorme pare-chocs du mastodonte. En quelques secondes, il n’y eut plus qu’un amas de ferrailles accroché à l’avant du monstre. La Ferrari glissa sur le côté, se transformant immédiatement en une énorme boule de flammes.
Ce qui restait de la Ferrari bascula dans le fossé avant d’exploser, emprisonnant les deux cadavres.
Le camion continua sur une centaine de mètres et stoppa. A part sa calandre et le pare-chocs tordu, il n’avait rien.
Malko ouvrit la portière et, avant de sauter à terre, lança à Guy Hamilton
— J’espère qu’on ne vous fera pas porter la responsabilité de cet accident.
Il courut jusqu’à la Ferrari rouge de Mandy Brown. La jeune femme était livide.
— J’ai envie de dégueuler, fit-elle d’une voix blanche, tandis qu’elle effectuait un demi-tour. Tu l’as vraiment fait exprès ?
— Oui, fit Malko, collé à son siège par l’accélération.
Ils passèrent près de la carcasse de la Ferrari grise et une odeur de caoutchouc et de chair brûlée envahit leur habitacle. Mandy eut une sorte de hoquet et vomit par la glace baissée.
Malko n’éprouvait rien qu’une grande paix intérieure. Les comptes étaient réglés. Celui qui frappe par l’épée périra par l’épée, disent les Saintes Ecritures.