— Trouver la vérité. Il y a des choses qui…
Une hôtesse en sari s’approcha de Malko avec un sourire contraint.
— Sir, vous êtes le dernier passager, on va fermer les portes…
Jerry Mulligan poussa Malko vers la passerelle.
— L’ambassadeur vous racontera la suite. Good luck.
Une somptueuse coupole d’or dominant une forêt de toits étincelait au bord d’un fleuve boueux : le palais de Sa Majesté Paduka Sen Baginda Hadj Hassanal Bolkiah Muizzadin Waddaulah, maître absolu de Brunei… Le 737 s’inclina et Malko aperçut un peu plus loin un classique bidonville malais, des baraques en bois au toit de tôle construites sur pilotis le long du fleuve. Comme dans n’importe quel pays sous-développé. L’homme le plus riche du monde ne partageait pas. L’agglomération était cernée par une jungle verte et dense s’étendant à perte de vue, mourant à l’ouest dans la mer de Chine. Le dôme d’or d’une mosquée ressortait de l’océan des toits de tôle, comme un bijou.
Malko rassembla ses affaires. Qu’allait-il découvrir dans ce bout du monde cousu d’or ? Une femme en robe longue, les cheveux cachés par un foulard, balayait un couloir qui n’avait jamais connu la poussière. L’aérogare minuscule et ultramoderne ressemblait à un hôpital. Partout des panneaux clamaient que le trafic de drogue était puni de mort à Brunei. Dehors, il tombait des cordes. Une grosse averse tropicale qui brouillait les formes des objets…
Il était à peine cinq heures de l’après-midi et déjà lumière du jour baissait.
En cinq minutes, Malko eut loué une Toyota toute neuve et fonçait vers Bandar Sen Begawan, capitale du minuscule Etat, sur une somptueuse autoroute déserte, véritable tranchée creusée dans la jungle. Il arriva dans le centre. On se serait cru dans une petite ville de province, avec de la végétation partout, quelques bâtiments modernes et de grandes avenues aux feux de signalisation aussi longs qu’à Zurich. Une Mercedes 600 blanche, avec une plaque BG[9] le doubla avec un bref coup de klaxon et passa tranquillement au rouge…
Il trouva le Sheraton presque par hasard, un petit hôtel tout juste digne d’une banlieue américaine.
Il faut dire que personne n’avait vraiment de raison de venir à Brunei. Le Sultan n’encourageait pas le tourisme et les besoins du pays étaient très limités, Sa chambre était petite et sentait le moisi.
On ne lui avait rien demandé à l’aéroport et n’avait pas vu un seul policier. Il composa le numéro de l’ambassade américaine, qui sonna dans le vide jusqu’à ce qu’un gardien lui apprenne en mauvais anglais que l’ambassade était fermée.
Il n’avait plus qu’à attendre le lendemain. Un peu abruti par son long voyage, il décida de se reposer.
De gros nuages noirs filaient vers la mer de Chine. A peine son café avalé, Malko appela l’ambassade. Cette fois, il obtint la secrétaire de l’ambassadeur qui lui annonça
— M. l’ambassadeur est à Singapour, il rentre tout à l’heure. Puis-je vous aider ?
— J’ai besoin de l’adresse de John Sanborn, demanda Malko après s’être fait connaître.
C’est sur Jalan Kota Batu, expliqua la secrétaire. Sur le simpang 782, une maison jaune sur pilotis. A environ sept miles de Subok Bridge. Mais je ne sais pas si sa femme est là.
— Je viendrai voir l’ambassadeur plus tard, prévint Malko.
Le temps d’une douche, il était dans le lobby. Dehors, la chaleur était abominable. Il prit sa Toyota et enfila Sungai Kianggeh, descendant vers la Brunei River.
La Jalan Kota Batu s’étirait le long du bras de mer limoneux baptisé Brunei River qui arrosait Bandar Seri Begawan, se terminant en marécage au cœur de la jungle. Une interminable route qui épousait les sinuosités de la Brunei River parcourue par des dizaines d’embarcations à moteur.
Toutes les maisons se trouvaient sur la gauche de la route, étagées sur les collines couvertes d’une végétation luxuriante. Des chemins – les simpangs – s’enfonçaient perpendiculairement à Kota Batu. Malko trouva facilement le 782 et la maison jaune sur pilotis. Une Ford Escort blanche était garée devant. Mrs John Sanborn était là. Malko gara sa Toyota à côté et sonna.
La porte s’ouvrit très vite sur une apparition de rêve : une femme brune très grande, à la poitrine généreuse, difficilement contenue dans un maillot une pièce noir, des jambes de star et des lunettes noires. Juchée sur des mules en plastique transparent qui la grandissaient encore.
— Qui êtes-vous ? demanda-t-elle.
— Madame Sanborn ?
— Oui. Je suis Joanna Sanborn.
— Mon nom est Malko Linge. Je suis envoyé par l’ambassade. Au sujet de votre mari. Puis-je entrer ?
Mrs Sanborn le précéda jusqu’à une petite piscine derrière la maison et lui désigna un fauteuil de toile en face de sa chaise longue. Elle ôta enfin ses lunettes noires et il découvrit des yeux gris pleins de tristesse Une bouteille de Cointreau était posée sur une table basse à côté d’elle, avec un verre plein de glaçons Elle s’en servit un peu avant de demander d’une voie teintée d’amertume
— Je suppose que vous venez essayer de me tirer les vers du nez ? Pour savoir où mon mari se cache. Vous n’êtes pas le premier…
— Je n’ai rien de pareil en tête, se défendit Malko mal à l’aise.
La chaleur était accablante, elle ne lui avait rien offert à boire. Il était fasciné par la naissance de ses seins admirables. Comment John Sanborn avait-il pu laisser une femme comme ça derrière lui ?
— Je ne connais pas bien l’affaire, affirma-t-il. Aussi j’aimerais comprendre.
Joanna Sanborn le regarda droit dans les yeux et dit d’une voix posée
— Mr Linge, mon mari a été assassiné. Je l’ai déjà dit mais personne ne veut me croire.
— Assassiné ! dit Malko un peu étonné. Comment le savez-vous ?
Joanna reversa un peu de Cointreau sur les cubes de glace. De fines gouttelettes de transpiration perlaient sur ses seins. Ses yeux brillaient de larmes.
— J’en suis sûre, martela-t-elle, même si je n’ai aucune preuve. Quelqu’un a escroqué ces vingt millions de dollars et on veut faire porter le chapeau à mon mari.
Chapitre III
Malko scrutait les yeux gris de Joanna Sanborn avec attention, mais ils ne cillèrent pas.
John m’a parlé de cette histoire dès que l’ambassadeur l’a mis au courant, expliqua-t-elle. Il était bouleversé qu’on le soupçonne et outré par l’attitude d’Al Mutadee Hadj Ali. A propos, voulez-vous boire quelque chose ?
— Non merci, dit Malko. Qu’a-t-il pensé alors ?
Elle demeura silencieuse quelques instants, trempa ses lèvres dans son Cointreau. De grosses gouttes de pluie commençaient à tomber.
— Rentrons ! fit Joanna.
Ses hanches se balançaient avec une langueur toute tropicale, moulées par le maillot et Malko se sentit assailli de mauvaises pensées. Joanna se retourna brièvement avant d’entrer comme si elle avait senti son regard, le précéda dans le living et brancha la clim’. Il émanait du corps épanoui de la jeune femme une sensualité animale encore renforcée par sa tenue. Croisant les jambes, elle reprit son récit.
John a pensé tout de suite à une magouille dans l’entourage du Sultan. Mais il était décidé à trouver. Il soupçonnait évidemment Al Mutadee Hadj Ali.
— Le Premier aide de camp ? Ça paraît peu probable. Ce serait un risque inouï d’escroquer le Sultan…
La jeune Américaine haussa les épaules.