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J’espère vous avoir donné les clefs pour faire un choix qualitatif. Si vous voulez vraiment faire plaisir aux poules, allez acheter des œufs plein air. L’autre paradoxe est que, dans le même temps, on continue à produire des ovoproduits en remplaçant les œufs par de l’eau et de l’huile de palme.

À bon entendeur.

Chapitre 3

LE POISSON

Les Français sont inattendus ! Lisez plutôt : 89 % d’entre eux apprécient les pêcheurs, et 72 % la pêche. Ces chiffres sont le résultat d’un sondage effectué par Ipsos, en 2011, pour le CNPMEM (Comité national des Pêches Maritimes et des Élevages Marins). Plus de huit Français sur dix considèrent que le secteur fournit des services et des produits de qualité, selon FranceAgriMer (Établissement national des produits de l’agriculture et de la mer). Il y a de quoi se réjouir, la consommation des produits de la mer est en hausse constante : 31 kg par habitant, en 2000, 36,8 kg par habitant, en 2011. Il n’y a apparemment aucune raison de se priver de poisson, d’autant que les publicitaires nous rappellent régulièrement qu’il est diététiquement correct, recommandé pour tous, et surtout, qu’il est naturel. Essayons de regarder ce qui se cache derrière ce tableau idyllique : une triste et sombre réalité. Vous êtes naïf, alors ? Vous croyez vraiment que votre saumon a remonté le courant des rivières, que votre sushi au thon rouge est vraiment fabriqué avec du thon rouge ? Que le bar ou la dorade royale que vous vous apprêtez à déguster dans un restaurant « chic » se baladait en pleine mer avec d’autres espèces, que vos crevettes ont été pêchées en pleine mer ? Éclairons votre lanterne. Le monde de la mer est devenu un miroir aux alouettes, entre illusions et fumisteries. Ne vous étonnez pas qu’un jour vos enfants vous affirment que les poissons carrés nagent ou naissent dans un congélateur.

Rendons-nous sur le port de Boulogne-sur-Mer, au petit matin, quand le soleil se lève timidement. Les poissons ont été débarqués un peu plus tôt dans la nuit, la criée va bientôt commencer. Il n’y a pas foule dans cette salle ultramoderne aux allures d’amphithéâtre universitaire, peu de pêcheurs sont rentrés au port. Il est 6 heures, les acheteurs se tiennent prêts derrière leur pupitre, l’œil braqué sur trois ou quatre cadrans sur lesquels sont indiqués le nom et les origines des espèces, les quantités disponibles et les prix. Vingt minutes plus tard, la vente est expédiée dans un silence de morgue. Les offres ont été faites d’une simple pression du doigt sur des boutons. La criée telle qu’on se l’imaginait n’existe plus, criée ne veut plus dire crier. Depuis quelque temps les acheteurs effectuent leurs achats à distance, reliés aux bateaux par ordinateur. Ils se renseignent sur la provenance, la quantité, proposent un prix, topons-là, la vente est faite, inutile d’aller vérifier la qualité de la marchandise.

Ce matin-là, à l’exception de deux bars majestueux, peau brillante, quelques merlans et rougets de pêche française, la plupart des navires qui déchargeaient étaient étrangers, britanniques, norvégiens, islandais, néerlandais, asiatiques, africains… les mêmes poissons qu’on retrouve sur les étals. Quelques anciens se lamentent : « Il n’y a plus de poisson à Boulogne-sur-Mer, ni ailleurs. » Les ports français ont perdu leurs gros armements et la moitié de leurs bateaux. Il y a dix ans, le drapeau tricolore flottait sur environ 8 000 bateaux, il en reste 5 815. Seule la Scapêche (Intermarché) détient une vingtaine de gros navires à Lorient. Face à ce délitement, on s’imagine une profession solidaire, une filière française au coude à coude. Si c’était le cas, à Bruxelles, embarqués dans la même galère, ils feraient front commun pour batailler, défendre leurs intérêts ensemble, unis.

Pas du tout ! Chaque pêcheur mène sa barque de son côté, c’est la guerre entre Bretons et Boulonnais, entre ceux du Nord et ceux du Sud. Chacun défend son littoral. Pourtant, la cohésion nationale serait indispensable pour défendre une filière fortement soumise aux aléas du marché. Moins de bateaux, moins de pêcheurs : de moins en moins de jours de pêche. Nos pêcheurs français sortent en moyenne deux fois par semaine pour des campagnes de 24 à 48 heures. Ils jettent l’ancre le vendredi pour passer le week-end en famille, les temps changent, le pêcheur ne travaille plus le dimanche, certains autres restent même à quai. Les quotas ! Le gros mot est lâché. Une décision inique, injuste selon eux, car pendant ce temps-là, les Britanniques remplissent leurs cales.

Le constat est terrible, les poissons issus de la pêche française représentent seulement 10 à 20 % de ce qu’on voit sur les étals, donc de ce que nous mangeons. Il n’est pas facile de savoir d’où ils viennent. Est-ce que nous serons contraints, comme les Américains, de nous méfier ? Là-bas, un tiers des poissons portent une étiquette frauduleuse. Par exemple, on vend du tilapia pour du rouget. En France, le Service de la répression des fraudes nous dit que ce type d’escroquerie est marginal. Doit-on le croire ? Il est vrai que dans la filière poisson il y a moins d’intermédiaires que dans celle de la viande. En France, depuis 2002, l’étiquetage est supposé fiable puisqu’il impose de mentionner sur les étiquettes la zone de capture. Vous avez déjà lu : « péché en Atlantique Nord-Est », « péché en Atlantique Nord-Ouest », « péché en Atlantique Centre-Ouest ». Ces zones de pêche délimitées l’ont été par la FAO, l’Organisation des Nations unies pour l’alimentation et l’agriculture. Qu’est-ce que ça veut dire : « Zone Atlantique Nord-Est », « zone 27 » pour la FAO, couvre grosso modo une portion de mer qui partirait du Groenland au nord de la Russie, pour s’étendre jusqu’au sud de l’Espagne, Islande incluse. Vous pourriez aussi imaginer que la « Zone Atlantique Centre-Est », « zone FAO 361 », touche les côtes françaises. Vous avez perdu, il s’agit du Canada ; quant à l’Atlantique Centre-Ouest, elle longe les côtes de l’Afrique de l’Ouest. Eh bien oui, constatez, comme moi, que votre poisson a souvent fait un long périple avant d’atterrir dans votre poêle ou votre court-bouillon.

La réglementation impose que chaque produit soit étiqueté du nom scientifique de l’espèce tout au long de la filière, même pour les plats cuisinés. A priori, l’intérêt pour le consommateur est strictement limité, à moins qu’il ne fasse ses courses avec le code des usages sous le bras. Le nom scientifique du poisson ne nous apprendra jamais s’il a été péché la veille ou quinze jours auparavant, si la pêche a eu lieu sur la côte bretonne ou au large des États-Unis, pas davantage si c’est un chalut industriel ou côtier qui a pratiqué la pêche.

La technique de pêche la plus utilisée dans le monde est la pêche au chalut. Les bateaux partent pour des campagnes de dix à douze jours dans des zones de capture de plus en plus éloignées. Les marins déploient un long filet, traîné au fond de la mer, plus ou moins long, de six à cent cinquante mètres, en fonction de la taille du chalutier. Le poisson est éviscéré et stocké en chambre froide jusqu’à son débarquement, vous pouvez donc être assurés que rien ne distingue plus ceux qui ont été péchés le premier jour du dernier. Dix-huit jours peuvent s’écouler entre la sortie de l’eau et l’arrivée sur les étals.

Les plus petits assurent la pêche côtière, presque artisanale, et ne s’éloignent guère que deux ou trois jours.

Les plus imposants des bateaux sont de véritables navires usines qui congèlent directement le poisson sur place en haute mer. Ils partent pour des traversées au long cours et leurs retours à terre sont rares. Les équipages aux accents slaves sont envoyés par avion, débarquent au loin et rejoignent le navire, qui poursuit sa pêche mortifère. Sur ces bateaux, le hasard n’est pas de mise : les bancs de poissons sont repérés par des sonars et des GPS ultra-performants qui leur permettent d’effectuer des prises considérables en un temps record.