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Je suis certain que vous vous demandez ce que peuvent bien contenir ces granulés ? Ne vous avisez pas de poser la question sur place, c’est top secret ! Depuis 1996, les farines d’origine animale terrestre sont interdites, tout comme l’utilisation d’antibiotiques et autres médicaments… mais à titre préventif seulement. Ces granulés noirs qui nous intriguent résultent d’un subtil équilibre entre les exigences zootechniques et les contraintes économiques. Elles varient donc en fonction du cours des matières premières. Je vous l’ai dit, il y a peu de différence entre un aquaculteur et un producteur de porcs. Farines et huiles de poisson, huiles végétales sans OGM, blés, vitamines, sels minéraux, un peu d’astaxanthine de synthèse… heureusement, le saumon d’élevage ignore que le saumon sauvage se goinfre de crevettes !

Depuis quelques années, un certain nombre d’enquêtes scientifiques préoccupent le monde du saumon norvégien. Les Américains et les Canadiens ont découvert des indices élevés de polluants : quatorze polluants organochlorés, tels que les PCB (polychlorobiphényles, appelés aussi biphényles polychlorés), DDT, dioxine, nonachlore[2]. Des produits considérés comme extrêmement nocifs pour l’homme. La loi est formelle en Norvège, pas d’antibiotiques, je l’ai dit mais je le redis. Peut-être, mais alors, que viennent faire ces traces brunâtres laissées par les vaccins sur la chair des saumons ? En 2010, Green Warriors, une association norvégienne, dénonçait la mortalité, les maladies ou les malformations dues à la surpopulation dans les cages (de 10 à 20 %). Les méthodes d’élevage intensives rendent les poissons vulnérables et favorisent le développement des parasites. Le saumon est infesté de poux de mer, alors on traite au diflubenzuron, un insecticide qui n’est pas autorisé en France. Les chercheurs suisses enquêtent, eux aussi, leurs découvertes sont accablantes. Ils ont retrouvé de l’éthoxyquine dans une dizaine de marques de saumon. Synthétisé dans les années 1950 par la firme Monsanto, cet antioxydant de synthèse était surtout employé dans le traitement des fruits, notamment pour éviter le brunissement des poires. Pour le saumon, il est plutôt utilisé sur les farines de poisson qui servent à son alimentation. Ces farines arrivent d’Amérique du Sud après une longue traversée en cargo. Elles présentent des risques, d’explosion, principalement, d’auto-combustion par oxydation. On asperge ces farines d’éthoxyquine pour prévenir ces risques.

Vous vous sentez à l’abri puisque vous consommez bio. Pour vous, le bio c’est 100 % clean. Ça devrait. Mais certains éleveurs irlandais admettent utiliser de la farine de poisson sud-américaine pour faire « grandir » plus vite les poissons au début de leur vie.

Dans ces élevages, où les poissons poussent comme de la mauvaise graine, la moitié des animaux souffre de dépôt graisseux autour du cœur. Normal, à force d’être gavé, le poisson gras devient trop gras ! Un saumon peut afficher jusqu’à 40 % de matières grasses. Ce constat est général et touche tous les poissons d’élevage, dont le profil en acides gras est dégradé par rapport aux sauvages. Prenons pour exemple le bar d’élevage : 6 % de matières grasses, contre 3,66 % chez le sauvage ; 1,15 % de graisses saturées, contre 0,71.

Tous ces élevages provoquent d’irrémédiables bouleversements sur les écosystèmes environnants : les tonnes de déchets rejetés en mer, les malins qui s’échappent et contaminent les espèces sauvages.

Pourquoi la Norvège n’engage-t-elle pas des expertises officielles indépendantes pour contrôler ce qui représente une grave atteinte à son image et pourrait faire du tort au commerce extérieur ? Allez savoir ! Toujours est-il que la ministre norvégienne de la Pêche, Lisbeth Berg-Hansen, possède elle-même des parts dans des sociétés de pêche et qu’elle nomme elle-même les directeurs des organismes publics censés contrôler l’industrie de la pêche. C’est-y pas mieux comme ça ? Je comprends que vous ayez envie de manger du saumon, et si vous ne pouvez pas vous en passer, privilégiez les filières contrôlées, avec des labels de qualité indépendants. Mais rassurez-vous, l’avenir s’annonce encore plus rose que rose, « le super saumon » va bientôt débarquer. AquaBounty Technologies, entreprise de biotechnologie américaine, met au point un saumon transgénique destiné à la consommation humaine. Ce saumon doit grandir tout au long de l’année, même pendant la saison froide. Cette nouvelle protéine à bas prix arriverait dans vos assiettes en dix-huit mois au lieu de trois ans. Heureusement, l’agrément de mise sur le marché n’a pas encore été obtenu. Résistons, luttons, avant que l’abominable « Franken Fish » ne débarque dans nos assiettes.

Pour alimenter l’aquaculture, la pêche « minotière » fait des ravages. Elle racle, racle les fonds marins pour récupérer de quoi élaborer de la farine de poisson. L’ineptie économique du procédé est à son comble, puisqu’il faut 4 kg de poisson pour obtenir un kilogramme de chair de saumon. Les professionnels se défendent : « Les poissons entrant dans la composition des farines ne sont pas des espèces commercialisables », nous assène-t-on avec cynisme.

Consommateurs, est-ce que vous avez conscience que, lorsque vous refusez un maquereau ou un hareng, il risque de revenir sous forme de pavé ou de filet de saumon, après un détour dans une usine de farine, une ferme d’élevage et un abattoir ?

Ces mêmes aquaculteurs ont l’outrecuidance d’affirmer : « Aujourd’hui nous sommes parfaitement capables d’engraisser des saumons avec des granulés 100 % végétaux. » Inutile, après cela, de prétendre à quelques scrupules écologiques. Les essais sont en cours, et dans un temps sûrement proche, le saumon sera élevé à partir de soja et de céréales. L’aquaculteur vit l’œil rivé sur les cours de la Bourse, prêt à se précipiter sur les matières végétales, le jour — peut-être pas si lointain, pillage de la mer oblige — où elles coûteront moins cher que quelques huiles de poisson.

Enfin, dans ces « fermes », lorsque les saumons ont atteint la taille idéale, à l’aide d’une pompe, ils sont évacués vers un bateau vivier, conduits à l’abattoir, anesthésiés dans un bain de glace et de gaz carbonique, un coup de couteau dans l’ouïe, ils se vident de leur sang, et quelques heures plus tard trônent sur les étals quelque part en Europe. Quand on pense qu’en 1970 un smicard avait de quoi s’acheter 6 kg de saumon frais par mois, aujourd’hui il peut s’en offrir 200 kg !

Des truites, du bar, de la dorade, du turbot, du cabillaud, tous les jours à la cantine. Vous voyez déjà la vie en rose, demain vous la verrez en blanc !

Nous venons d’évoquer les poissons de mer, mais les poissons d’eau douce ne sont pas épargnés. Examinons un peu les méthodes d’élevage du panga et du tilapia. Cela risque de vous mettre en appétit ! Rêvez un moment. Vous êtes sur une jonque qui se balance mollement dans les méandres du delta du Mékong, autour de vous frétillent des millions de pangasius, eh bien ce sont eux que vous retrouvez sur les étals des poissonniers et de la grande distribution. Ce poisson est devenu l’un des principaux produits d’exportation du Viêt Nam. Il a toutes les qualités requises, top standard ! Vendu sous forme de filet blanc de grande taille, il n’a aucun goût, une chair insipide et molle, et miracle, grâce à la main-d’œuvre locale bon marché, son prix de revient au kilogramme est de l’ordre de 0,60 euro. Non je ne me suis pas trompé de zéro : 60 centimes, je dis bien. En dix ans, la production est passée de quelques dizaines de milliers de tonnes à plus d’un million ! Vous dire que cette production de masse ne crée pas de problèmes de pollution, et qu’elle n’utilise pas fréquemment des produits pharmaceutiques interdits en Europe serait vous induire foncièrement en erreur. Mais si vous voulez en manger, libre à vous.

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