On nous informe que, même en pièces, autrement dit en morceaux, on ne peut plus se tromper sur l’origine de la viande. La réglementation européenne a encore frappé, elle impose que l’origine nationale de la viande bovine soit indiquée — article 16, du règlement 1760, sur 2000.
En France, on a donc trouvé un logo, une mention qui indique que les viandes portant l’étiquette VBF (viande bovine française) sont bien nées, élevées et abattues sur le territoire français. On peut même trouver d’autres appellations, comme « viande de nos terroirs » ; c’est un effet de communication qui ne correspond à rien. Outre le logo VBF, seules deux appellations peuvent apparaître dans le circuit : « race à viande » pour les GMS (grandes et moyennes surfaces), et « race à viande — sélection bouchère » pour les artisans bouchers. Cette démarche qualité doit nous garantir l’origine des bovins et leur élevage selon de bonnes pratiques. Le sigle « race à viande » ou « race à viande — sélection bouchère » nous indique que les carcasses ont été sélectionnées à partir de races à viande uniquement charolaise, limousine, blonde d’Aquitaine, rouge des prés, salers, aubrac, gasconne, parthenaise, bazadaise, blanc-bleue, ou croisement entre elles. Le cahier des charges est très sévère puisqu’il stipule la maîtrise des conditions de ressuage selon la norme NFV 46-001. Autrement dit, la température ne doit pas descendre en dessous de 10 °C en moins de dix heures après l’abattage, sauf s’il y a stimulation électrique. Elle précise même la maîtrise de la tendreté, en indiquant que le pH doit être, de dix-huit à vingt-quatre heures après l’abattage, inférieur ou égal à 6.
Avouez qu’il y a de quoi se réjouir et approuver ce cahier des charges, tout en s’étonnant que, quelquefois encore, quand le steak est dans l’assiette, le couteau coupe plus facilement la faïence que la viande, ou même que sa coloration soit brune, sombre, son toucher collant, bref, immangeable. Ces désagréments s’expliquent : certaines bêtes n’ont pas été finies, taries, et elles sont arrivées fiévreuses à l’abattoir. Elles sont sorties tout droit de la salle de traite pour aller à l’abattage. Cela arrive notamment lorsque la conjoncture laitière est morose, comme ces derniers temps. On laisse même filer les animaux qui montrent des marques de cachexie (carcasse maigre et œdémateuse). Indigne de vous, messieurs les laitiers. Que se passera-t-il lorsque le régime des quotas prendra fin, le 1er avril 2015 ? Il risque d’y avoir une mutation, une modification des apports en viande, encore constitués aujourd’hui à 40 % d’animaux issus de vos troupeaux laitiers. N’oubliez pas, vous n’avez plus que deux ans devant vous.
Vous avez compris, consommateurs, si vous cherchez la qualité, le plaisir, allez du côté des races à viande certifiées, le prix sera sûrement plus élevé mais la saveur, la croque, la jutosité, ou le plaisir seront là. Vous le savez bien, le plaisir n’a pas de prix.
Le 4 février 2013, il y a tout juste quelques mois, la Commission européenne a pris une décision inique. La presse en a peu parlé, radio et télévision se sont enfoncées dans un silence prudent, et la filière viande est restée muette. Comprenez qu’il a été mis un terme au dépistage de l’ESB systématique des animaux « sans signes cliniques apparents ». Après l’épidémie de la vache folle, qui avait failli asphyxier la filière, en plein scandale de la viande de cheval importée par une coopérative agricole française, alors qu’on parle de la réintégration possible des farines animales, cette décision capitale est passée inaperçue. L’Union européenne a cédé à la pression des États membres, qui dénonçaient les coûts élevés de ces dépistages. Seule l’autorité européenne de sécurité des aliments, l’EFSA, a garanti un système sain à 95 %. Pas grave, il n’y aura que les 5 % restant qui seront touchés.
Une fois abattus, les animaux sont découpés, il n’y a presque plus de débouchés pour les carcasses entières ni même pour les demi-carcasses. La viande est très souvent vendue en morceaux, piécée comme ils disent, méthode qui laisse la porte ouverte aux possibles arnaques. En morceaux, il est quasi impossible de repérer les origines. Pourquoi ? De moins en moins de bouchers sont capables de les travailler, par manque de formation, les jeunes bouchers ont perdu le savoir-faire traditionnel. Le métier est exigeant en temps et en trésorerie. Rares sont ceux, en France, une cinquantaine, en étant optimiste, qui peuvent s’offrir le luxe d’aller chez l’éleveur choisir une bête sur pied. Nous l’avons vu, les abattoirs de proximité sont loin et, entre le jour de l’abattage et la date d’enlèvement de la carcasse, il faut compter plusieurs jours. Le rôle d’un boucher est d’être derrière son étal et pas au volant de son camion, il est donc condamné à faire appel à des chevillards, des grossistes en viande. La boucherie traditionnelle représente seulement de 10 à 30 % des clients d’un abattoir. Et voilà que maintenant, dans les campagnes, ils sont directement concurrencés par les éleveurs, qui font abattre et vendent eux-mêmes leurs viandes en caisses, sans être obligatoirement équipés d’une chaîne de froid ni d’un écoulement des produits rassurant. Autre source d’étonnement : certains artisans bouchers vendent du Bigard no 1. On nous dit que ce ne sont ni les mêmes bêtes ni les mêmes prix que dans la grande distribution. Rassurez-vous, braves gens, mais essayez toutefois d’obtenir la preuve de ce qui est affirmé.
Ne me faites pas écrire ce que je ne pense pas, chez Bigard et les autres industriels on trouve de la bonne viande, et de la moins bonne, seulement ils ne peuvent pas faire tourner leurs usines avec uniquement quelques bêtes nourries à l’herbe. En France, la qualité existe, elle est là. Nous avons rencontré un boucher, Roger Forestier, il exerce depuis 1957, et il nous dit : « Une bête nourrie à l’ensilage, ça se voit à la nature du gras, blanc et huileux. Je n’en veux pas, les bêtes que l’on a poussées manquent de saveurs, seules les races à viande issues d’élevages extensifs rentrent chez moi. » Il n’est pas fou, Roger Forestier ! Il ajoute, « la qualité de la viande est incomparable, sur le plan organoleptique, comme sur le plan nutritionnel. La viande élevée à l’herbe est plus riche en bons omégas 3, alors que la viande des animaux élevés au cocktail ensilage de maïs/tourteaux de soja est médiocre, insipide, pleine de mauvaises graisses. Cette viande peut maturer au moins dix jours avant que je ne la commercialise, ainsi elle donnera toute sa finesse. La maturation : une étape essentielle, malheureusement de moins en moins respectée ».
Les viandes qui portent le logo « race à viande » sont en principe soumises à des étapes incontournables. Le cahier des charges prévoit une maturation de sept jours au minimum entre la date d’abattage et la mise en vente, essentiellement pour les pièces à griller et à rôtir, à l’exception de quelques morceaux rares, la hampe, l’onglet, la bavette et le filet, qui peuvent être commercialisés sans maturation. Pour les viandes piécées, conservées sous vide, la durée minimale de maturation est portée à dix jours. La génération steak frites et viande hachée a flingué les modes de consommation. Qu’est-ce qu’un boucher peut faire d’une carcasse s’il n’utilise que les pièces à griller ou à rôtir ? Peu de gens ont encore envie de faire du bœuf aux carottes, du bourguignon ou du pot-au-feu. Tout le monde, détaillants et consommateurs, veut des produits réguliers, standard, propres, sans surprises. À l’heure où on ne cesse de louer la gastronomie française, où les émissions de gastro-réalité cartonnent sur le PAF, les Français ne savent plus beaucoup cuisiner les plats traditionnels. Triste réalité. Même la grande distribution lance des campagnes d’information, vend des morceaux à bouillir ou à braiser accompagnés de fiches de recette pour les accommoder. C’est dire.