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Les charcutiers sont en train de se reconvertir dans le porc fermier ou Label rouge, mais la production est encore trop faible pour les approvisionner tous. C’est mieux, mais pour obtenir un changement significatif, il serait souhaitable de remettre en question les fondements de l’élevage industriel : le choix de la race et la durée de l’élevage. Produire du porc fermier, c’est mieux, mais inefficace si on s’obstine à vouloir n’utiliser que des races « modernes », sélectionnées pour produire du maigre en moins de sept mois. Quelle que soit la bonne volonté des opérateurs, sans changement de race, pas de salut ! Quelques rares éleveurs tentent de sauver des races rustiques, porc de Bayeux, porc gascon, cul noir du Limousin… La résistance est en marche ! L’élevage selon les règles de l’art : une alimentation à base de céréales et de pommes de terre, un abattage à 12 mois à 150–180 kg, une épaisseur du lard de 8-10 cm, une viande rouge, persillée, fondante, savoureuse se développe pour des consommateurs avisés, de plus en plus nombreux. Enfin de la viande de cochon, pas de la cochonnerie !

Tout vient à point, il faut simplement être patient, très patient. L’Europe, pour une fois, s’est penchée sur le sort du porc. Depuis le 1er janvier 2013, les élevages porcins doivent se mettre aux nouvelles normes européennes, relatives au bien-être animal. Tous les spécialistes vous diront que le porc est un animal sujet au stress. Il faut que cesse le spectacle terrifiant de ces pauvres truies qui s’ennuient tellement dans leurs cages qu’elles passent leurs journées à mâchonner les barreaux en métal. Rien à voir avec le bien-être animal, ce n’est surtout pas bon pour… la viande. Décision européenne : le box de 1,60 mètre carré par animal doit passer à 2,75 mètres carrés. Le hic de cette décision : elle a un coût, et certains éleveurs ne pourront pas suivre. Ils devront vendre, faute de pouvoir adapter leurs structures. Dure, dure, la vie de l’éleveur industriel de porc. En 1968, on dénombrait 795 000 exploitations, il en reste aujourd’hui 15 000, mais, mais, mais… avec un cheptel multiplié par 2 ! Eh oui ! La taille des exploitations a été multipliée par 70 en quarante ans. Il faut tenir ! Et pour cela, un seul mot d’ordre : transformer les élevages en usines à viande pour produire, produire toujours plus. C’est la course au rendement, de la saillie à l’abattoir, avec les inconvénients majeurs, une promiscuité sans appel qui entraîne des risques de maladies et de contagions, d’où le retour de l’utilisation d’antibiotiques.

En France, la production a augmenté de 25 % en quinze ans. Nous produisons 25 millions de porcs chaque année. L’objectif est bien de produire plus, pour obtenir en quelques mois des athlètes body-buildés. N’allez pas imaginer que les truies sont épargnées dans le processus de production. Ces pauvres femelles sont devenues des expertes en maternité. À peine arrivées dans les élevages : insémination. Les plus productives donnent naissance à vingt-sept porcelets par an, contre seize dans les années 1970. Elles passent trois ans sans plaisir avant de finir en rillettes ! Comment font-elles pour nourrir leurs porcelets ? Elles n’ont que 10 mamelles, qu’à cela ne tienne, les as de la génétique de l’INRA (Institut national de la recherche agronomique) les ont aidées, de dix elles sont passées à quatorze. Si elles ne veulent pas en avoir quatorze, saucisson, directement !

La liberté de mettre bas quand elles en ont envie n’existe plus. On déclenche les naissances à l’heure dite, grâce à des injections d’œstrogènes. Eh bien oui, le jour J : une piqûre d’ocytocine pour accélérer les contractions et l’éjection du lait, accompagnée d’une dose de spasmolytique et de vasoconstricteur pour accélérer la cadence. Vous pensez sans doute, mesdames, qu’à ce rythme leurs tétines vont s’enflammer, rassurez-vous, tout est prévu, une dose d’antibiotique et d’anti-inflammatoire. Un peu de repos post-accouchement ? Pas du tout, sitôt libérées, fécondées par insémination et rebelote. Belle vie que celle de la truie. Quelques-unes se révoltent, boudent l’ocytocine, et alors le système se dérègle : les petits ne veulent pas sortir, on résiste ? Qu’est-ce que c’est que ça ? De la discipline ! Alors on « fouille » dans le ventre de la mère pour les extraire… On ne discute pas.

Aussitôt né, aussitôt trié. Les mâles sont castrés pour ne pas donner de goût à la viande, les queues sont coupées… Ça ne vous plaît pas ? Vous grognez ? Vous criez ? On vous coupe la queue. Le petit cochon qui s’ennuie a quelquefois envie de jouer et de croquer la queue du voisin par dépit. Pas question ! On lime les dents. Imaginez que, dans les abattoirs, on dit : « Un cochon qui arrive avec sa queue à l’abattoir c’est le signe d’un bon élevage » ; on ajoute, « c’est rare, extrêmement rare ». Commence alors l’engraissement, comme on l’a vu, de ces petites usines à viande. Dans les bâtiments, c’est noir, sans espoir de voir le jour : il pourrait y avoir des risques de cannibalisme. Enfermés, les animaux pourraient se battre parce que cette vie dans cet univers concentrationnaire les répugne, on les comprend. Ce sont des animaux fouineurs, qui aiment retourner la terre, mâchouiller, manipuler, sur caillebotis, dans 2 mètres carrés, c’est impossible.

Certains éleveurs résistent, je vous l’ai dit. En France, ils représentent 1 % à considérer que les cochons doivent être élevés en plein air. Prenons l’exemple de la maison Laborie, charcutier de père en fils depuis trois générations, à Parlan, dans le Cantal, un village d’irréductibles Auvergnats, résistant à la mondialisation et à l’envahisseur polonais ou hongrois. Les cochons vivent aux frontières du Cantal, entre Lot et Corrèze. Ils pataugent dans la gadoue avec délice, remuent la terre à l’envi : douze mois de plein air au minimum. Certes, dans la gamelle, il s’agit tristement du même mélange de céréales et d’oléagineux que celui des élevages industriels, et leur race n’est qu’un mélange de Land Race, Large White et Duroc (race américaine). Néanmoins, ils produisent des saucissons et des jambons secs d’exception, installés dans des séchoirs à l’air libre à 750 mètres d’altitude. Laurent Laborie bichonne ses jambons avec amour, les masse, les asperge de gros sel à la main et les laisse sécher de douze à dix-huit mois. Il est fier, il a obtenu le titre de producteur du « plus gros jambon sec du monde », 29 kg, vingt-trois mois de séchage. On en mangerait ! Il produit également des jambons blancs, à partir d’un seul cochon affiné pendant trois semaines, ourlés d’un beau gras transparent ; on le regarde, on a faim. Le jambon industriel, lui, est fabriqué avec un agglomérat de morceaux, baratté en quelques heures et fabriqué en moins d’une journée à base d’eau et de polyphosphate : du jambon polyphosphaté. Les industriels prétendent qu’il n’existe plus sur le marché, alors qu’en retirant certains jambons blancs de leurs emballages en plastique, on a la surprise de voir goutter hors du sachet un liquide particulièrement salé. Il y en a moins, c’est vrai, mais malheureusement, il existe encore. La maison Laborie n’est pas la seule, et quand je pense aux saucissons, je pense avec émotion à ceux de la maison Marion, à Saint-Martial, sur le mont Gerbier de Jonc.