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Au fil du temps, le lait cru a disparu. On assiste depuis quelques années à une tentative de retour, mais elle est si modeste qu’elle en devient presque inexistante. Le lait est pasteurisé, essentiellement pasteurisé, quasi uniquement pasteurisé, qu’il soit vendu entier, demi-écrémé ou écrémé. Si vous vous avisez de vous informer sur la matière grasse contenue dans un litre de lait demi-écrémé, vous risquez d’entendre comme réponse « eh ben la moitié, 50 %, non, 25 %, mais non, 50… » N’importe quoi !!! Si on parlait encore du lait à l’école, on se souviendrait que le lait n’est pas un produit riche en matières grasses, et on n’aurait pas oublié qu’il est composé de 87 % d’eau et que cette eau véhicule des vitamines hydrosolubles (essentiellement du groupe B). Le lait entier est le plus gras des laits, il contient 3,5 % de matières grasses, le demi-écrémé 1,6 %, et l’écrémé 0,1 %, autant dire 0. Quand vous avez intégré ces données, vous vous demandez pourquoi on continue à boire du lait écrémé. Si on est malade, oui, mais sinon… ?

Comme on n’a pas appris, on ne trouve personne, sauf quelques scientifiques, capable de faire ce distinguo, d’autant que la communication en matière de lait est plutôt nulle. Pourquoi nulle ? Parce que personne n’a cherché une différenciation claire et pratique d’identification du produit. Les producteurs de lait se sont inspirés du traffic light anglo-saxon. Autrement dit, le bouchon rouge n’est pas bon pour la santé, le bleu est passable et le vert excellent. L’art de se tirer une balle dans le pied. Le bouchon rouge laisse à penser aux consommateurs « danger », « pas toucher », « pas boire », alors qu’il s’agit juste de lait entier.

Un autre facteur, technique celui-là, encourage la médiocrité. C’est l’invention, en 1951, par les Suisses, du procédé de stérilisation à haute température UHT. Le principe consiste à porter le lait par l’intermédiaire de vapeur d’eau sous pression injectée directement à 150 °C pendant deux secondes, puis à le refroidir brutalement en le projetant dans une chambre à vide. Ce traitement a pour but la destruction de tous les germes, sans modification du goût ni de la valeur nutritionnelle du lait. Beau principe, tu parles ! On peut le croire, à condition de ne pas déguster de lait cru pour faire la différence et de ne pas oublier, surtout, que la haute température détruit une bonne part des vitamines B1, B12 et C. Ce qui a entraîné pour les industriels l’obligation de réintroduire dans le lait UHT des vitamines et des sels minéraux.

À défaut de lait cru, achetez donc du lait entier.

Il y a effectivement surproduction de lait, donc il faut le vendre, mais comment faire ? Alors que les producteurs savent bien que ce qui sort du pis de leurs vaches est sans odeur et sans saveur. Après avoir écouté les planificateurs, les techniciens agricoles ont fait appel aux marketeurs. Eh oui, en dernier ressort, on s’adresse au marketing. Comment attirer le consommateur ? Simple, proposons-lui des « nouveautés », appelées pudiquement produits innovants. Oui, mais innover en matière de lait, il faut de l’imagination. Les producteurs avouent aux marketeurs qu’il n’y a plus rien dans le lait, il est vide, c’est pour ainsi dire de l’eau. Eurêka, si c’est vide, il faut enrichir le vide. C’est ainsi que sont nés les laits « enrichis ». Si c’est enrichi, c’est meilleur, si c’est meilleur c’est plus cher ; mais comment l’enrichir ? C’est là qu’interviennent les chercheurs. Puisqu’il n’y en a plus dans le lait, enrichissons-le en vitamines. Voilà la belle idée lancée, l’escroquerie intellectuelle est en marche, la publicité entre dans la danse. Les laits « enrichis » : la santé. On oublie simplement de préciser au consommateur qu’à l’exception de la vitamine D, qui aide à fixer le calcium et peut faire défaut à certains, les vitamines sont suffisamment présentes dans une alimentation variée. On se garde bien de préciser qu’aller chercher dans le lait des éléments rajoutés artificiellement et qui ne correspondent à aucun besoin particulier se définit par « se foutre de la gueule du monde ».

Ces laits enrichis en vitamines ne répondent à aucune logique. Après, on a inventé les laits « enrichis en minéraux ». Magnésium, calcium sont rajoutés, mais en quantité très limitée, et sûrement pas plus riche qu’une référence standard. Jackpot ! Une fois, deux fois. C’est trop beau, essayons une troisième. Le lait « enrichi en omégas 3 ». Comment est-ce qu’on peut bien enrichir du lait avec des omégas 3 ? Plusieurs solutions : on nourrit les vaches avec des fourrages riches en omégas 3, des graines de lin par exemple, très chères, trop chères comparé à l’ensilage de maïs. Soit, rajoutons de l’huile de poisson dans le lait.

Si on veut des omégas 3, mangeons des sardines, c’est plus naturel et c’est plus vrai.

Le gogo consommateur suit toujours, tentons un nouveau coup de bluff, les laits « enrichis aux protéines ». Quelles protéines ? Nos besoins en sont largement couverts par une alimentation normale. Voilà de la belle arnaque, bien faite, bien rentable : chapeau les artistes. On pourrait très bien imaginer que, après ces quatre coups gagnants, on s’arrêterait satisfait, poches pleines. Pas du tout ! Il faut surfer pour s’enrichir, sans enrichir le lait, sur la vague bio. Le lait bio, c’est le miracle, Jésus. Le lait bio représente 100 000 vaches, élevées selon les règles de l’agriculture biologique, soit 332 millions de litres de lait pour faire plaisir aux défenseurs de l’agriculture biologique ! La production est très encadrée, les éleveurs n’utilisent ni engrais, ni pesticides, ni traitements médicamenteux pour les vaches. Quand on examine la différence entre les laits conventionnels et les laits biologiques, on s’aperçoit combien les différences organoleptiques sont minces, quasi inexistantes, mais les aficionados du bio sont accros et acceptent de payer leur lait plus cher. On a simplement oublié de leur dire que 25 % du lait bio consommé en France est importé. D’où ? Comment ? Sous quel contrôle ? Demandez aux embouteilleurs, ils ont sûrement une bonne réponse, mais ne sont pas prêts à nous la donner.

Demandons-nous plutôt pourquoi on n’a pas entrepris de reconvertir en bio quelques exploitations plutôt que d’importer un produit dont la référence est excédentaire. On oublie que 40 % de la production de lait est exportée. Les produits bio sont en général mieux rémunérés, ce qui devrait inciter les agriculteurs à se précipiter sur ce type d’agriculture. Malheureusement, la période de reconversion en bio est de trois ans (elle a été de quatre), pendant laquelle le prix du lait n’augmente pas et les rendements diminuent, d’autant que la prime à la reconversion est dérisoire. Pourquoi s’embêter ?

Avec le lait on semble marcher sur la tête, surtout depuis que la surproduction subventionnée a été décrétée. Depuis très longtemps, donc, nous produisions du lait sans pouvoir ni le consommer, ni le vendre, quelles que soient les innovations marketing. Alors ? Stocker du lait ? Pas facile ! Le transformer en beurre ? Difficile à écouler. Faisons appel à l’imagination. Et si on séchait le lait ? On obtiendrait de la poudre, plus facile à stocker que le liquide, et probablement d’une commercialisation plus aisée à l’export. Les pouvoirs publics y croient et encouragent les coopératives laitières à investir dans de grandes unités de séchage de lait. Pour l’État, encourager, c’est subventionner. On a simplement oublié d’imaginer que si en France on avait une idée, les autres pays excédentaires en productions laitières pouvaient également l’avoir. D’où, très rapidement, de la poudre de lait en excédent, partout. Les frigos de la communauté européenne sont pleins de poudre de lait, qui va bien pouvoir la consommer ? Encore une fois, faisons appel à l’imagination. Les veaux. Quoi, les veaux ? Eh oui, les veaux. Vendre aux éleveurs du lait en poudre, moins cher que le lait de leurs propres vaches. Pourquoi les éleveurs n’achèteraient-ils pas de la poudre pour nourrir leurs veaux alors qu’ils disposent du propre lait de leurs vaches ? Pour faire passer la pilule, subventionnons les fabricants de poudre de lait. C’est la prime à la dénaturation (notons au passage que c’est la deuxième subvention pour les fabricants de boîtes de lait) ainsi que pour les coopératives laitières déjà aidées pour transformer le lait en poudre. Vous vous demandez ce que peut bien être la dénaturation ? C’est assez simple. On fabrique du lait en poudre avec du lait écrémé servant à fabriquer le beurre — il faut bien continuer d’alimenter les excédents de beurre qui, eux aussi, encombrent les frigos de la communauté. Mais comme pour engraisser des veaux il faut du lait avec un taux de matières grasses suffisant, il faut donc reconstituer — ré-engraisser la poudre de lait, en quelque sorte. Mais avec quoi ? Puisqu’on a déjà utilisé la crème pour fabriquer du beurre ? Avec des résidus d’abattoir et d’équarrissage. On manque de résidus d’origine animale ? Pas grave ! On ajoute des suifs d’origine végétale, une pincée de sels minéraux, une pointe de vitamines. Grâce à la prime, on réussit à obtenir avec un litre de lait dénaturé, mais reconstitué, un litre de lait de vache moins cher. Toutes ces fantaisies subventionnées mèneront à la crise de la vache folle, catastrophique pour la viande et le lait, mais surtout à la mise en place des célèbres quotas laitiers.