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Un légume a besoin de respirer pour vivre et se conserver. Tout naturellement, il absorbe de l’oxygène et rejette du gaz carbonique, ainsi que de la vapeur d’eau. Quand on l’enferme dans un sachet imperméable à l’air, il fermente d’autant plus vite que la raréfaction, puis la disparition de l’oxygène, favorise le développement des bactéries anaérobies qui sont justement responsables de la fermentation.

Le lavage auquel on les soumet enlève la fine pellicule de cire qui les recouvre et les protège, ainsi, les microbes qui restaient auparavant à la surface de ces pellicules peuvent pénétrer à l’intérieur de ces légumes. S’ils sont pelés ou coupés en morceaux, l’accès aux tissus en est facilité, d’autant que les microbes ont besoin d’eau pour proliférer.

La salade représente 87 % de ce segment, soit une salade sur cinq consommée en France, ce qui est deux à trois fois plus cher qu’une salade vendue entière. « Le prix de la fainéantise », s’exclame un producteur de salade entière, « ces salades c’est de l’arnaque pour le consommateur et pour le producteur, elles poussent comme des champignons à grand coup de traitements, et sont ramassées par des machines. Sous contrats avec les industriels, les agriculteurs sont tenus à des rendements démesurés ! » Souvent, ces salades sont désinfectées à l’eau chlorée. La consommation autorisée est insuffisante pour attaquer l’organisme, de 2 à 5 gouttes par litre d’eau seulement. Ainsi désinfectées, les salades perdent toute trace d’odeurs désagréables si elles séjournent quelques heures dans une chambre froide. Pour les salades, ou les asperges, on utilise aussi la technique de l’hydrocooling : les légumes sont trempés dans de l’eau glacée. Quant aux choux-fleurs, ils sont rentrés dans des chambres réfrigérées et subissent des jets d’air froid pulsé. Souvent les légumes laissent apparaître des brunissements après la coupe. Ils peuvent alors être soumis à des traitements antioxydants comme le soufre, l’acide ascorbique ou citrique, des traitements ionisants, ou même, rarement, des radiations. Nous avons de la chance, en France, car les Américains utilisent du monoxyde de carbone, interdit chez nous. Certains de ces produits sont commercialisés dans des barquettes recouvertes d’une feuille de cellophane étirable et perméable. C’est bien : la vapeur d’eau s’évacue et le légume respire, il ne s’en plaint pas, et nous non plus, puisqu’il peut se conserver plus longtemps !

Face à la baisse de la consommation, l’enjeu maintenant est de redonner une place aux fruits et aux légumes dans le panier de la ménagère. Les messages lancinants du PNNS (Programme national nutrition santé) rappellent qu’il faut manger au moins cinq fruits et légumes par jour. Les Français ne sont pas tous bêtes, ils ont bien compris. Encore faudrait-il que les prix et la qualité soient au rendez-vous. Tout est fait pour vous encourager, même l’AFSSAPS (devenue l’ANSES, agence nationale de sécurité sanitaire de l’alimentation), répondant à la revue Que choisir ?, qui a révélé que les fruits étaient contaminés par des résidus d’éthéphon (acide chloro-éthylphosphonique, descendant de l’ethrel), a prétendu que la limite autorisée n’était pas dépassée. Pas de panique ! Nous sommes protégés, dorlotés, choyés, empoisonnons-nous tranquillement, petit à petit.

Savez-vous que, pendant quatre ans, douze scientifiques se sont creusé les méninges au pôle Végépolys d’Angers pour colorer les carottes ? Jacques Chirac avait accordé 1,5 milliard d’euros d’aide, qui a été reconduite par Nicolas Sarkozy. Qu’est-il ressorti de ces cogitations et de ces aides inconsidérées ? Une carotte jaune ? Il en existe déjà une dizaine de variétés, dont l’exquise jaune obtuse du Doubs. Une violette ? Nous en avons une. Une blanche ? Ça ne manque pas : la blanche transparente, la blanche de Breteuil, ou la célèbre blanche des Vosges. Quant aux carottes rouges, en feuilletant Les Plantes potagères, de Vilmorin-Andrieu, il y a le choix ! Voilà des scientifiques qui n’ont pas dû se fatiguer. Ils cherchent peut-être la carotte arc-en-ciel…

En réaction à ce productivisme ambiant, il y a des producteurs qui ont encore la passion de leur métier. Avec un peu d’audace et de témérité, on peut trouver quelques fruits et légumes dignes de ce nom. C’est difficile, il faut que la ménagère sache entreprendre son parcours du combattant. Prenons le cas de la famille Seuru. Thierry et son frère ont l’amour du métier dans le sang, ils produisent salades, carottes, navets, céleris, radis et poireaux dans la Sarthe. Les grossistes font des kilomètres pour leurs salades ; épanouies, elles affichent une mine superbe, de belles feuilles larges et brillantes et ne s’avachissent pas au bout de 48 heures. Leur secret : une méthode de culture peu conventionnelle. Thierry Seuru désinfecte les sols à la vapeur d’eau, une technique ancienne utilisée par son grand-père il y a déjà vingt-cinq ans, modernisée grâce à un outillage spécifique, coûteux. Le sol est chauffé à 70 °C, plus de mauvaises herbes ni de champignons. Les plants de salades — bio — sont ensuite enfouis dans un sol sain. Cette méthode divise par deux, voire trois, les traitements chimiques. À Rungis, ils sont les seuls à utiliser cette technique. Si vous y allez, vous ferez rapidement la différence, simplement en regardant celles des voisins. Pas de machine pour le ramassage. La main, et seulement à la taille requise.

La mirabelle de Lorraine nous offre un bel exemple de ce qu’on peut faire pour modifier le cours des éléments. Ce fruit était en perdition, au bord de la disparition, condamné, concurrencé par la prune des vergers industriels du sud de la France. « Pas rentable », nous disait-on. Au début des années 1980, une poignée de jeunes Lorrains audacieux décida de replanter des mirabelliers, selon la tradition culturale, dans le terroir, et en respectant les saisons. La mirabelle de Lorraine ne se commet pas à Noël et à Pâques, elle entre en scène à la mi-août pour quatre ou cinq semaines, pas davantage. Elle débarque sans prévenir, petite tunique jaune, joues roses, elle respire le bonheur. Elle ne triche pas avec la nature, selon les aléas climatiques, il y a de bonnes et de mauvaises années, avec leurs lots de joies et de déceptions.

Vous me croyez pessimiste, alors vous me collez le bio sous le nez. Sachez qu’« il y a, selon Claude Imbert, deux bio, le bio à deux vitesses : traditionnel et industriel. Ce dernier se développe plus vite que le premier, il se limite au cahier des charges techniques mais ne tient pas compte de l’impact global et sociétal ». Toujours en promenade du côté de Huelva, vous pourrez voir à côté des usines à fraises standard pousser des fraises bio ; elles sont cultivées comme leurs cousines, hors sol, avec les mêmes immigrées exploitées, et les mêmes techniques agricoles, mais elles bénéficient du rassurant label AB.