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Aujourd’hui encore, la conserve reste le moyen le plus économique et le plus sain pour s’alimenter. On a beau évoquer la diversité, les tendances culinaires, la cuisine moléculaire, les Français sont toujours ultra-classiques, puisque depuis des générations les plats préparés les plus consommés sont le cassoulet, les saucisses lentilles, la blanquette, les raviolis… en boîte.

Après ces lignes d’histoire et de louanges, passons à l’actualité et à nos préoccupations : quels sont les ingrédients utilisés pour remplir les boîtes ou les bocaux de conserve ? Le cœur des professionnels est unanime : « Les mêmes que les autres, mêmes origines. » Voilà bien de quoi s’inquiéter ! « Les saucisses du cassoulet sont de même qualité que celles vendues chez le charcutier ou au rayon traiteur », surenchérissent-ils. Rien de rassurant non plus ! C’est quand on aborde le sujet de la viande utilisée, dans les raviolis par exemple, que nos interlocuteurs sont moins loquaces et convaincants. Ils n’ont pas tort car il n’y a aucune origine attestée. La viande peut venir de France, de Navarre, de Pologne, d’Allemagne, d’ici ou d’ailleurs, au meilleur prix, sous forme de « minerai ». Elle peut même venir de Roumanie et faire croire qu’elle est de bœuf alors qu’elle est de cheval. Comme ces importations qui défraient la chronique depuis le mois de février 2013. Pour mémoire, il est quand même bon de rappeler que le minerai est un amalgame qui peut contenir du « maigre », du « gras », du « collagène », et des « os broyés ». On nous l’a avoué, mais à mots très couverts. C’est mieux de rester discret, car ces derniers sont interdits dans le code des usages pour les viandes hachées, ainsi que les muscles du cœur et les abats. Nous avons même entendu certains professionnels jurer que si, par extraordinaire, le ravioli en contenait, « il s’agissait d’un défaut de la machine ou d’une escroquerie ». Et pour nous convaincre, de rajouter, « sur les anciennes VSM (viandes séparées mécaniquement), il y avait de la poussière d’os quand on travaillait mal, mais quand c’est bien fait il n’y a aucun problème ». Vous y croyez, vous ?

Le dimanche soir, à l’heure du dîner, si on regarde le journal télévisé et qu’un abattoir a autorisé la venue des caméras (rarissime), on peut voir en gros plan la texture évoquée ci-dessous : un bac d’aponévroses. Ce n’est pas un gros mot, rassurez-vous. Le Petit Larousse précise qu’il s’agit de membranes qui servent à envelopper les muscles et à les fixer aux os. Essayons d’être plus précis. Imaginez que vous soyez dans un atelier de découpe : les beaux quartiers défilent sur des tapis pour être transformés en entrecôtes, en filets ou en tournedos. Cette découpe entraîne inévitablement des chutes. Hors de question de les appeler ainsi, sinon les esprits malveillants penseraient qu’on les a ramassées sur le sol de l’usine. Ce sont des restes de découpe, gras, nerfs. Bravo la pudeur ! Ces « chutes » ne sont donc pas jetées mais conservées, mises de côté, et prennent le nom d’aponévrose. C’est la matière principale du minerai de viande. À regarder, même à la télévision, on peut trouver plus glamour, et imaginer que cet amas de nerfs et de gras constitue la farce des raviolis ou des lasagnes peut éventuellement déconcerter. Soyez sérieux, vous ne pensez tout de même pas qu’à 2 euros la boîte de raviolis on allait les farcir avec de l’entrecôte et de la bavette d’aloyau ? En fait, ces raviolis contiennent de 3 à 5 % de maigre de viande. En soit, le produit n’est pas mauvais, mais plus le prix est bas, moins il y a d’ingrédients nobles. S’il est possible de rogner sur la matière première, pourquoi se priver ?

Il n’y a pas que le minerai, d’autres ingrédients sont utilisés. Du trompe-l’œil, de l’eau et de l’air, faciles à se procurer, à des coûts imbattables, et sans aucune contrainte des marchés. Honnêtement, il faudrait être fou pour s’en passer. L’eau et l’air sont les mamelles pérennes des procédés industriels qui permettent de faire baisser les prix de revient.

Injecter de l’eau ou de l’air, si c’est pour faire baisser les prix de revient et que le consommateur en profite, et si ça ne nuit pas à sa santé, pourquoi pas. Mais exagérer, comme ce fut le cas avec le jambon, a été suicidaire pour certaines entreprises : on injectait dans 100 kg de jambon de l’eau et de la saumure, puis, après barattage, on obtenait 150 kg de vacherie qui était revendue au prix du jambon. Vendre de l’eau au prix du jambon, voilà qu’elle était bonne l’idée. Dans le monde de la conserve, plutôt que d’ajouter des additifs ou du sucre, comme on le dit bien souvent à tort, on a une fâcheuse tendance à ajouter de l’eau. C’est moins cher et moins nocif.

La sauce tomate, qu’elle soit directement en boîte ou en garniture de raviolis ou de lasagnes, est souvent aqueuse, vous l’avez constaté, elle manque de texture, de corps, forcément, elle est coupée à l’eau. L’inconvénient de ces rajouts d’eau, c’est la perte du goût. Alors on ajoute, on bombarde même d’arômes, de sel, des cache-misère. Les conserves ne sont pas réservées aux raviolis, tant s’en faut ! On trouve dans cette catégorie les fruits et les légumes. Ils sont pour ainsi dire sans défauts, sinon leur teneur en sel et en sucre. Le processus de conservation implique la mise en saumure, qui augmente automatiquement la teneur en sodium ; voilà la raison pour laquelle il est recommandé de les rincer avant de les consommer.

Autre inconvénient, le traitement thermique appliqué aux fruits et aux légumes, qui détruit de 30 à 50 % des vitamines, selon la nature de l’aliment. Les minéraux résistent mieux à la chaleur mais se perdent dans l’eau de dissolution, aussi, il est vivement recommandé d’utiliser cette eau pour faire des soupes ou le sirop des compotes. Les légumineuses seules échappent à ces inconvénients, les lentilles, haricots rouges et pois chiches supportent fort bien la mise en conserve et leur valeur nutritive, qu’ils soient en boîte ou non, est identique. C’est cette raison qui a sans doute assuré le succès du cassoulet, des saucisses lentilles et du chili con carne ! Il faudrait probablement peu de chose pour que la conserve redevienne « tendance », comme ils disent : valoriser la qualité diététique, organoleptique et nutritionnelle des conserves, ainsi que celle des matières premières, repenser certaines recettes pour profiter au mieux de cette immense invention, et surtout mettre au travail quelques chercheurs pour tenter de trouver un produit de substitution au vernis d’étanchéité qui recouvre l’intérieur des boîtes, et qui est directement en contact avec les aliments. Ce vernis contient du bisphénol A (BPA, composé chimique). Ce BPA est accusé d’être un perturbateur endocrinien qui sournoisement modifierait le métabolisme et serait responsable de la baisse de la fertilité masculine, de la puberté précoce chez les jeunes filles et aussi de l’augmentation des kystes des ovaires chez les femmes. Ces effets néfastes interviendraient sur le cerveau, le métabolisme des glucides et des lipides, et sur les systèmes cardio-vasculaires et immunitaires. Enfin, il favoriserait les cancers du sein et de la prostate. L’exposition au BPA serait, dit-on, très préoccupante chez les femmes enceintes et les nourrissons. Si le bisphénol A est responsable de tous ces maux, on peut se demander pourquoi les instances intéressées par ces enquêtes n’interdisent pas son utilisation. Les lobbies de la conserve sont encore puissants, quand on évoque avec les industriels français le BPA, ils répondent qu’il s’agit d’élucubrations purement françaises. Pourtant, le rapport de l’ANSES est assez précis : « Les effets identifiés portent sur une modification de la structure de la glande mammaire chez l’enfant à naître, qui pourrait favoriser un développement tumoral ultérieur. » Les recherches ne datent pourtant pas d’hier, les études ont déjà dû être entreprises, on devrait avoir le recul nécessaire pour prendre une décision. Les travaux sur la conserve vont bon train, ceux qui sont menés par Katia Gédéon, au centre de recherche des cordeliers (INSERM, université Paris V, Paris VI, et Paris VII), en 2012, révèlent que le BPA affecterait l’émail des dents des enfants.