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Ça ne m’étonne pas de vous.

GOURNAY

L’auto date d’il y a quatre ans. Il me l’achète 19 000 francs et ça ne vaut plus une pipe de tabac. 19 000 francs c’est le prix d’un petit Watteau que je guigne depuis longtemps. Il n’y a pas de sottes économies. (S’asseyant.) Eh bien, on ne me demande pas de nouvelles du déjeuner officiel, on ne me demande pas ce qu’a dit le ministre !

LE DUC, indifférent.

Au fait, vous avez du nouveau ?

(Pendant la scène le jour commence à tomber. Firmin est entré et a allumé.)

GOURNAY

Oui, votre décret sera signé demain. Vous pouvez vous considérer comme décoré. Eh bien, vous êtes un homme heureux, j’espère ?

LE DUC

Certainement.

GOURNAY

Moi, je suis ravi. Je tenais à ce que vous fussiez décoré. Et après ça… après un ou deux volumes de voyages, après que vous aurez publié les lettres de votre grand-père avec une bonne préface, il faudra songer à l’Académie.

LE DUC, souriant.

L’Académie ! mais je n’y ai aucun titre.

GOURNAY

Comment, aucun titre, mais vous êtes duc !

LE DUC

Oui, évidemment.

GOURNAY

Je veux donner ma fille à un travailleur, mon cher. Je n’ai pas de préjugés, moi ! Je veux pour gendre un duc qui soit décoré et de l’Académie française… parce que ça c’est le mérite personnel ! Moi, je ne suis pas snob. Pourquoi riez-vous ?

LE DUC

Pour rien, je vous écoute, vous êtes plein de surprises.

GOURNAY

Je vous déroute, hein ? Avouez que je vous déroute ? Et c’est vrai, je comprends tout, je comprends les affaires et j’aime l’art, les tableaux, les belles occasions, les bibelots, les belles tapisseries, c’est le meilleur des placements. Enfin, quoi, j’aime ce qui est beau… et sans me vanter je m’y connais… j’ai du goût, et j’ai quelque chose de supérieur encore au goût : j’ai du flair.

LE DUC

Vos collections de Paris le prouvent.

GOURNAY

Et encore vous n’avez pas vu ma plus belle pièce, ma meilleure affaire, le diadème de la princesse de Lamballe, il vaut cinq cent mille francs.

LE DUC

Fichtre ! Je comprends que le sieur Lupin vous l’ait envié.

GOURNAY, sursautant.

Ah ! ne me parlez pas de cet animal-là, le gredin !

LE DUC

Germaine m’a montré sa lettre. Elle est drôle.

GOURNAY

Sa lettre ! Ah ! le misérable ! J’ai failli en avoir une apoplexie. J’étais dans ce salon où nous sommes, à bavarder tranquillement quand tout à coup Firmin entre et m’apporte une lettre.

FIRMIN, entrant.

Une lettre pour Monsieur.

GOURNAY

Merci… et m’apporte une lettre (il met son lorgnon) dont l’écriture… (regarde l’enveloppe) Ah ! nom de Dieu !

(Il tombe assis.)

LE DUC

Hein ?

GOURNAY, la voix étranglée.

Cette écriture… c’est la même écriture.

LE DUC

Vous êtes fou, voyons !

GOURNAY, décachète l’enveloppe et lit haletant, effaré.

« Monsieur. Ma collection de tableaux que j’ai eu le plaisir, il y a trois ans, de commencer avec la vôtre, ne compte en fait d’œuvres anciennes qu’un Vélasquez, un Rembrandt et trois petits Rubens. Vous en avez bien davantage. Comme il est pitoyable que de pareils chefs-d’œuvre soient (il tourne la page) entre vos mains, j’ai l’intention de me les approprier et me livrerai demain dans votre hôtel de Paris à une respectueuse perquisition. » Nom de Dieu !

LE DUC

C’est une blague, voyons !

GOURNAY, continuant.

« Post-scriptum. (Il s’éponge.) Bien entendu, comme depuis trois ans vous détenez le diadème de la princesse de Lamballe, je me restituerai ce joyau par la même occasion. » Le misérable ! le bandit ! J’étouffe ! Ah !

(Il arrache son col. À partir de cet instant, toute la fin de l’acte doit être jouée dans un mouvement très rapide, une sorte d’affolement.)

LE DUC

Firmin ! Firmin ! (À Sonia qui entre à droite) Vite un verre d’eau, des sels. M. Gournay-Martin se trouve mal.

SONIA

Ah ! mon Dieu !

(Elle sort précipitamment.)

GOURNAY, étouffant.

Lupin… Préfecture de Police… téléphonez !

GERMAINE, entrant à droite.

Papa, si vous voulez arriver à l’heure pour dîner chez nos voisins (Voyant son père). Eh bien, qu’est-ce qu’il y a !

LE DUC

C’est cette lettre, une lettre de Lupin.

SONIA, entre par le fond avec un verre d’eau et un flacon de sels.

Voilà ! un verre d’eau.

GOURNAY

Firmin d’abord, où est Firmin ?

FIRMIN, entrant.

Est-ce qu’il faut encore un verre d’eau ?

GOURNAY, se précipitant sur lui.

Cette lettre d’où vient-elle ? Qui l’a apportée ?

FIRMIN

Elle était dans la boîte de la grille du parc. C’est ma femme qui l’a trouvée.

GOURNAY, affolé.

Comme il y a trois ans. C’est le même coup qu’il y a trois ans ! Ah ! mes enfants quelle catastrophe !

LE DUC

Voyons, ne vous affolez pas. Si cette lettre n’est pas une fumisterie…

GOURNAY, indigné.

Une fumisterie ! Est-ce que c’était une fumisterie, il y a trois ans ?

LE DUC

Soit ! Mais alors si ce vol dont on vous menace est réel, il est enfantin et nous pouvons le prévenir.

GOURNAY

Comment ça ?

LE DUC

Voyons : Dimanche 3 septembre… Cette lettre est donc écrite d’aujourd’hui ?

GOURNAY

Oui. Eh bien ?

LE DUC

Eh bien ! Lisez ceci : je me livrerai demain matin dans votre hôtel de Paris à une respectueuse perquisition… Demain matin !…

GOURNAY

C’est vrai ? Demain matin.

LE DUC

De deux choses l’une, ou bien c’est une fumisterie, et il n’y a pas à s’en occuper, ou bien la menace est réelle et nous avons le temps.

GOURNAY, tout joyeux.

Oui, mais oui, c’est évident.

LE DUC

Pour cette fois le bluff du sieur Lupin et sa manie de prévenir les gens auront joué au bonhomme un tour pendable.

GOURNAY, vivement.

Alors ?

LE DUC, vivement.

Alors, téléphonons.

TOUS, vivement.

Bravo !

GERMAINE, vivement.

Ah ! mais non, c’est impossible…

TOUS, vivement.

Comment ?

GERMAINE, vivement.

Il est six heures. Le téléphone avec Paris ne fonctionne plus. C’est dimanche.

GOURNAY, s’effondrant.

C’est vrai. C’est épouvantable !

GERMAINE

Mais pas du tout, il n’y a qu’à télégraphier.

GOURNAY, tout joyeux.

Nous sommes sauvés !

SONIA, vivement.

Ah ! mais non, impossible.

TOUS, vivement.

Pourquoi ?

SONIA, vivement.

La dépêche ne partira pas. C’est dimanche. À partir de midi le télégraphe est fermé.

GOURNAY, effondré.

Ah ! quel gouvernement !

LE DUC

Voyons il faut en sortir… Eh bien, voilà ! il y a une solution.

GOURNAY, vivement.

Laquelle ?

LE DUC

Quelle heure est-il ?

GERMAINE

Sept heures.

SONIA

Sept heures moins dix.

GOURNAY

Sept heures douze.

LE DUC

Oui, enfin, dans les sept heures… Eh bien, je vais partir. Je prendrai l’auto. S’il n’y a pas d’accroc, je peux être à Paris vers deux ou trois heures du matin.

(Il sort.)

GOURNAY, même jeu.

Mais nous aussi nous allons partir. Pourquoi attendre à demain ? Nos bagages sont expédiés, partons ce soir. J’ai vendu la cent-chevaux, mais il reste le landaulet et la limousine, nous prendrons la limousine. Où est Firmin ?

FIRMIN, apparaissant.

Monsieur ?

GOURNAY, vivement.

Jean le mécanicien, appelez-moi Jean.

GERMAINE, même jeu.

Nous arriverons avant les domestiques. Arriver dans une maison pas installée…

GOURNAY, même jeu.

J’aime mieux ça que d’arriver dans une maison cambriolée. Ah ! Et les clefs de la maison ? Il faut pouvoir rentrer chez nous.

JEAN, qui est entré.

Monsieur m’a demandé ?

GERMAINE

Tu les as enfermées dans le secrétaire.

GOURNAY

Oui, c’est vrai. Allez vous apprêter maintenant. Allez vite, (Elles sortent). Jean, nous partons, nous partons tout de suite pour Paris.

JEAN

Bien monsieur. Dans la limousine ou le landaulet ?

GOURNAY

Dans la limousine. Dépêchez-vous. Ah ! ma valise !

(Il sort à droite. Jean resté seul siffle. Apparaît Charolais suivi du troisième fils. Scène très rapide jouée sourdement.)

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