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Il se leva et s’approcha de la comtesse pour prendre congé. Elle réprima un mouvement de recul. Il sourit.

— Oh ! Madame, vous avez peur ! aurais-je donc poussé trop loin ma petite comédie de sorcier de salon !

Elle se domina et répondit avec la même désinvolture un peu railleuse :

— Nullement, Monsieur. La légende de ce bon fils m’a au contraire fort intéressée, et je suis heureuse que mon collier ait été l’occasion d’une destinée aussi brillante. Mais ne croyez-vous pas que le fils de cette… femme, de cette Henriette, obéissait surtout à sa vocation ?

Il tressaillit, sentant la pointe, et répliqua :

— J’en suis persuadé, et il fallait même que cette vocation fût sérieuse pour que l’enfant ne se rebutât point.

— Et comment cela ?

— Mais oui, vous le savez, la plupart des pierres étaient fausses. Il n’y avait de vrais que les quelques diamants rachetés au bijoutier anglais, les autres ayant été vendus un à un selon les dures nécessités de la vie.

— C’était toujours le Collier de la Reine, Monsieur, dit la comtesse avec hauteur, et voilà, me semble-t-il, ce que le fils d’Henriette ne pouvait comprendre.

— Il a dû comprendre, Madame, que, faux ou vrai, le collier était avant tout un objet de parade, une enseigne.

M. de Dreux fit un geste. Sa femme aussitôt le prévint.

— Monsieur, dit-elle, si l’homme auquel vous faites allusion a la moindre pudeur…

Elle s’interrompit, intimidée par le calme regard de Floriani.

Il répéta :

— Si cet homme a la moindre pudeur…

Elle sentit qu’elle ne gagnerait rien à lui parler de la sorte, et malgré elle, malgré sa colère et son indignation, toute frémissante d’orgueil humilié, elle lui dit presque poliment :

— Monsieur, la légende veut que Rétaux de Villette, quand il eut le Collier de la Reine entre les mains et qu’il en eut fait sauter tous les diamants avec Jeanne de Valois, n’ait point osé toucher à la monture. Il comprit que les diamants n’étaient que l’ornement, que l’accessoire, mais que la monture était l’œuvre essentielle, la création même de l’artiste, et il la respecta. Pensez-vous que cet homme ait compris également ?

— Je ne doute pas que la monture existe. L’enfant l’a respectée.

— Eh bien, Monsieur, s’il vous arrive de le rencontrer, vous lui direz qu’il garde injustement une de ces reliques qui sont la propriété et la gloire de certaines familles, et qu’il a pu en arracher les pierres sans que le Collier de la Reine cessât d’appartenir à la maison de Dreux-Soubise. Il nous appartient comme notre nom, comme notre honneur.

Le chevalier répondit simplement :

— Je le lui dirai, Madame.

Il s’inclina devant elle, salua le comte, salua les uns après les autres tous les assistants et sortit.

Quatre jours après, Mme de Dreux trouvait sur la table de sa chambre un écrin de cuir rouge aux armes du Cardinal. Elle ouvrit. C’était le Collier en esclavage de la Reine.

Mais comme toutes choses doivent, dans la vie d’un homme soucieux d’unité et de logique, concourir au même but — et qu’un peu de réclame n’est jamais nuisible — le lendemain l’Écho de France publiait ces lignes sensationnelles :

« Le Collier de la Reine, le célèbre bijou historique dérobé autrefois à la famille de Dreux-Soubise, a été retrouvé par Arsène Lupin. Arsène Lupin s’est empressé de le rendre à ses légitimes propriétaires. On ne peut qu’applaudir à cette attention délicate et chevaleresque. »

LE SEPT

DE CŒUR

Une question se pose, et elle me fut souvent posée :

— Comment ai-je connu Arsène Lupin ?

Personne ne doute que je le connaisse. Les détails que j’accumule sur cet homme déconcertant, les faits irréfutables que j’expose, les preuves nouvelles que j’apporte, l’interprétation que je donne de certains actes dont on n’avait vu que les manifestations extérieures sans en pénétrer les raisons secrètes ni le mécanisme invisible, tout cela prouve bien, sinon une intimité, que l’existence même de Lupin rendrait impossible, du moins des relations amicales et des confidences suivies.

Mais comment l’ai-je connu ? D’où me vient la faveur d’être son historiographe ? Pourquoi moi et pas un autre ?

La réponse est facile : le hasard seul a présidé à un choix où mon mérite n’entre pour rien. C’est le hasard qui m’a mis sur sa route. C’est par hasard que j’ai été mêlé à l’une de ses plus étranges et de ses plus mystérieuses aventures, par hasard enfin que je fus acteur dans un drame dont il fut le merveilleux metteur en scène, drame obscur et complexe, hérissé de telles péripéties que j’éprouve un certain embarras au moment d’en entreprendre le récit.

Le premier acte se passe au cours de cette fameuse nuit du 22 au 23 juin dont on a tant parlé. Et, pour ma part, disons-le tout de suite, j’attribue la conduite assez anormale que je tins en l’occasion, à l’état d’esprit très spécial où je me trouvais en rentrant chez moi. Nous avions dîné entre amis au restaurant de la Cascade, et, toute la soirée, tandis que nous fumions et que l’orchestre de tziganes jouait des valses mélancoliques, nous n’avions parlé que de crimes et de vols, d’intrigues effrayantes et ténébreuses. C’est toujours là une mauvaise préparation au sommeil.

Les Saint-Martin s’en allèrent en automobile. Jean Daspry, — ce charmant et insouciant Daspry qui devait, six mois après, se faire tuer de façon si tragique sur la frontière du Maroc, — Jean Daspry et moi nous revînmes à pied par la nuit obscure et chaude. Quand nous fûmes arrivés devant le petit hôtel que j’habitais depuis un an à Neuilly, sur le boulevard Maillot, il me dit :

— Vous n’avez jamais peur ?

— Quelle idée !

— Dame, ce pavillon est tellement isolé ! pas de voisins… des terrains vagues… Vrai, je ne suis pas poltron, et cependant…

— Eh bien, vous êtes gai, vous !

— Oh ! je dis cela comme je dirais autre chose. Les Saint-Martin m’ont impressionné avec leurs histoires de brigands.

M’ayant serré la main il s’éloigna. Je pris ma clef et j’ouvris.

— Allons ! bon, murmurai-je, Antoine a oublié de m’allumer une bougie.

Et soudain je me rappelai : Antoine était absent, je lui avais donné congé.

Tout de suite l’ombre et le silence me furent désagréables. Je montai jusqu’à ma chambre à tâtons, le plus vite possible, et, aussitôt, contrairement à mon habitude, je tournai la clef et poussai le verrou.

La flamme de la bougie me rendit mon sang-froid. Pourtant j’eus soin de tirer mon revolver de sa gaine, un gros revolver à longue portée, et je le posai à côté de mon lit. Cette précaution acheva de me rassurer. Je me couchai et, comme à l’ordinaire, pour m’endormir, je pris sur la table de nuit le livre qui m’y attendait chaque soir.

Je fus très étonné. À la place du coupe-papier dont je l’avais marqué la veille, se trouvait une enveloppe, cachetée de cinq cachets de cire rouge. Je la saisis vivement. Elle portait comme adresse mon nom et mon prénom, accompagnés de cette mention : « Urgente ».

Une lettre ! une lettre à mon nom ! qui pouvait l’avoir mise à cet endroit ? Un peu nerveux, je déchirai l’enveloppe, et je lus :

« À partir du moment où vous aurez ouvert cette lettre, quoi qu’il arrive, quoi que vous entendiez, ne bougez plus, ne faites pas un geste, ne jetez pas un cri. Sinon, vous êtes perdu. »

Moi non plus je ne suis pas un poltron, et, tout aussi bien qu’un autre, je sais me tenir en face du danger réel, ou sourire des périls chimériques dont s’effare notre imagination. Mais, je le répète, j’étais dans une situation d’esprit anormale, plus facilement impressionnable, les nerfs à fleur de peau. Et d’ailleurs, n’y avait-il pas dans tout cela quelque chose de troublant et d’inexplicable qui eût ébranlé l’âme du plus intrépide ?