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— Mon Dieu, Madame, je n’en connais pas plus que ce qu’en ont dit les journaux. Veuillez préciser en quoi je puis vous être utile.

— Je ne sais pas… Je ne sais pas…

Seulement alors j’eus l’intuition que son calme était factice, et que, sous cet air de sécurité parfaite, se cachait un grand trouble. Et nous nous tûmes, aussi gênés l’un que l’autre.

Mais Daspry, qui n’avait pas cessé de l’observer, s’approcha et lui dit :

— Voulez-vous me permettre, Madame, de vous poser quelques questions ?

— Oh ! oui, s’écria-t-elle, comme cela je parlerai.

— Vous parlerez… quelles que soient ces questions ?

— Quelles qu’elles soient.

Il réfléchit et prononça :

— Vous connaissiez Louis Lacombe ?

— Oui, par mon mari.

— Quand l’avez-vous vu pour la dernière fois ?

— Le soir où il a dîné chez nous.

— Ce soir-là, rien n’a pu vous donner à penser que vous ne le verriez plus ?

— Non. Il avait bien fait allusion à un voyage en Russie, mais si vaguement !

— Vous comptiez donc le revoir ?

— Le surlendemain, à dîner.

— Et comment expliquez-vous cette disparition ?

— Je ne l’explique pas.

— Et M. Andermatt ?

— Je l’ignore.

— Cependant…

— Ne m’interrogez pas là-dessus.

— L’article de l’Écho de France semble dire…

— Ce qu’il semble dire, c’est que les frères Varin ne sont pas étrangers à cette disparition.

— Est-ce votre avis ?

— Oui.

— Sur quoi repose votre conviction ?

— En nous quittant, Louis Lacombe portait une serviette qui contenait tous les papiers relatifs à son projet. Deux jours après, il y a eu entre mon mari et l’un des frères Varin, celui qui vit, une entrevue au cours de laquelle mon mari acquérait la preuve que ces papiers étaient aux mains des deux frères.

— Et il ne les a pas dénoncés ?

— Non.

— Pourquoi ?

— Parce que, dans la serviette, se trouvait autre chose que les papiers de Louis Lacombe.

— Quoi ?

Elle hésita, fut sur le point de répondre, puis, finalement, garda le silence. Daspry continua :

— Voilà donc la cause pour laquelle votre mari, sans avertir la police, faisait surveiller les deux frères. Il espérait à la fois reprendre les papiers et cette chose… compromettante grâce à laquelle les deux frères exerçaient sur lui une sorte de chantage.

— Sur lui… et sur moi.

— Ah ! sur vous aussi ?

— Sur moi principalement.

Elle articula ces trois mots d’une voix sourde. Daspry l’observa, fit quelques pas, et revenant à elle :

— Vous avez écrit à Louis Lacombe ?

— Certes… mon mari était en relations…

— En dehors de ces lettres officielles, n’avez-vous pas écrit à Louis Lacombe… d’autre lettres. Excusez mon insistance, mais il est indispensable que je sache toute la vérité. Avez-vous écrit d’autres lettres ?

Toute rougissante, elle murmura :

— Oui.

— Et ce sont ces lettres que possédaient les frères Varin ?

— Oui.

— M. Andermatt le sait donc ?

— Il ne les a pas vues, mais Alfred Varin lui en a révélé l’existence, le menaçant de les publier si mon mari agissait contre eux. Mon mari a eu peur… il a reculé devant le scandale.

— Seulement, il a tout mis en œuvre pour leur arracher ces lettres.

— Il a tout mis en œuvre… du moins, je le suppose, car, à partir de cette dernière entrevue avec Alfred Varin, et après les quelques mots très violents par lesquels il m’en rendit compte, il n’y a plus eu entre mon mari et moi aucune intimité, aucune confiance. Nous vivons comme deux étrangers.

— En ce cas, si vous n’avez rien à perdre, que craignez-vous ?

— Si indifférente que je lui sois devenue, je suis celle qu’il a aimée, celle qu’il aurait encore pu aimer ; — oh ! cela, j’en suis certaine, murmura-t-elle d’une voix ardente, il m’aurait encore aimée, s’il ne s’était pas emparé de ces maudites lettres…

— Comment ! il aurait réussi… Mais les deux frères se défiaient cependant ?

— Oui, et ils se vantaient même, paraît-il, d’avoir une cachette sûre.

— Alors ?…

— J’ai tout lieu de croire que mon mari a découvert cette cachette !

— Allons donc ! où se trouvait-elle ?

— Ici.

Je tressautai.

— Ici !

— Oui, et je l’avais toujours soupçonné. Louis Lacombe, très ingénieux, passionné de mécanique, s’amusait, à ses heures perdues, à confectionner des coffres et des serrures. Les frères Varin ont dû surprendre et, par la suite, utiliser une de ces cachettes pour dissimuler les lettres… et d’autres choses aussi sans doute.

— Mais ils n’habitaient pas ici, m’écriai-je.

— Jusqu’à votre arrivée, il y a quatre mois, ce pavillon est resté inoccupé. Il est donc probable qu’ils y revenaient, et ils ont pensé en outre que votre présence ne les gênerait pas le jour où ils auraient besoin de retirer tous leurs papiers. Mais ils comptaient sans mon mari qui, dans la nuit du 22 au 23 juin, a forcé le coffre, a pris… ce qu’il cherchait, et a laissé sa carte pour bien montrer aux deux frères qu’il n’avait plus à les redouter et que les rôles changeaient. Deux jours plus tard, averti par l’article du Gil Blas, Étienne Varin se présentait chez vous en toute hâte, restait seul dans ce salon, trouvait le coffre vide… et se tuait.

Après un instant, Daspry demanda :

— C’est une simple supposition, n’est-ce pas ? M. Andermatt ne vous a rien dit ?

— Non.

— Son attitude vis-à-vis de vous ne s’est pas modifiée ? Il ne vous a pas paru plus sombre, plus soucieux ?

— Non.

— Et vous croyez qu’il en serait ainsi s’il avait trouvé les lettres ! Pour moi il ne les a pas. Pour moi, ce n’est pas lui qui est entré ici.

— Mais qui alors ?

— Le personnage mystérieux qui conduit cette affaire, qui en tient tous les fils, et qui la dirige vers un but que nous ne faisons qu’entrevoir à travers tant de complications, le personnage mystérieux dont on sent l’action visible et toute-puissante depuis la première heure. C’est lui et ses amis qui sont entrés dans cet hôtel le 22 juin, c’est lui qui a découvert la cachette, c’est lui qui a laissé la carte de M. Andermatt, c’est lui qui détient la correspondance et les preuves de la trahison des frères Varin.

— Qui, lui ? interrompis-je, non sans impatience.

— Le correspondant de l’Écho de France, parbleu, ce Salvator ! N’est-ce pas d’une évidence aveuglante ? Ne donne-t-il pas dans son article des détails que, seul, peut connaître l’homme qui a pénétré les secrets des deux frères ?

— En ce cas, balbutia Mme Andermatt, avec effroi, il a mes lettres également, et c’est lui à son tour qui menace mon mari ! Que faire, mon Dieu !

— Lui écrire, déclara nettement Daspry, se confier à lui sans détours ; lui raconter tout ce que vous savez et tout ce que vous pouvez apprendre.

— Que dites-vous !

— Votre intérêt est le même que le sien. Il est hors de doute qu’il agit contre le survivant des deux frères. Ce n’est pas contre M. Andermatt qu’il cherche des armes, mais contre Alfred Varin. Aidez-le.

— Comment ?

— Votre mari a-t-il ce document qui complète et qui permet d’utiliser les plans de Louis Lacombe ?

— Oui.

— Prévenez-en Salvator. Au besoin, tâchez de lui procurer ce document. Bref, entrez en correspondance avec lui. Que risquez-vous ?

Le conseil était hardi, dangereux même à première vue, mais Mme Andermatt n’avait guère le choix. Aussi bien, comme disait Daspry, que risquait-elle ? Si l’inconnu était un ennemi, cette démarche n’aggravait pas la situation. Si c’était un étranger qui poursuivait un but particulier, il devait n’attacher à ces lettres qu’une importance secondaire.