— Que voulez-vous ?
— Tout ce que tu as apporté.
— Je n’ai rien apporté.
— Si, sans quoi, tu ne serais pas venu. Tu as reçu ce matin un mot te convoquant ici pour neuf heures, et t’enjoignant d’apporter tous les papiers que tu avais. Or, te voici. Où sont les papiers ?
Il y avait dans la voix de Daspry, il y avait dans son attitude, une autorité qui me déconcertait, une façon d’agir toute nouvelle chez cet homme plutôt nonchalant d’ordinaire et doux. Absolument dompté, Varin désigna l’une de ses poches
— Les papiers sont là.
— Ils y sont tous ?
— Oui.
— Tous ceux que tu as trouvés dans la serviette de Louis Lacombe et que tu as vendus au major von Lieben ?
— Oui.
— Est-ce la copie ou l’original ?
— L’original.
— Combien en veux-tu ?
— Cent mille.
Daspry s’esclaffa.
— Tu es fou. Le major ne t’en a donné que vingt mille. Vingt mille jetés à l’eau, puisque les essais ont manqué.
— On n’a pas su se servir des plans.
— Les plans sont incomplets.
— Alors, pourquoi me les demandez-vous ?
— J’en ai besoin. Je t’en offre cinq mille francs. Pas un sou de plus.
— Dix mille. Pas un sou de moins.
— Accordé.
Daspry revint à M. Andermatt.
— Veuillez signer un chèque, Monsieur.
— Mais… c’est que je n’ai pas…
— Votre carnet ? Le voici.
Ahuri, M. Andermatt palpa le carnet que lui tendait Daspry.
— C’est bien à moi… Comment se fait-il ?
— Pas de vaines paroles, je vous en prie, cher Monsieur, vous n’avez qu’à signer.
Le banquier tira son stylographe et signa. Varin avança la main.
— Bas les pattes, fit Daspry, tout n’est pas fini.
Et s’adressant au banquier :
— Il était question aussi de lettres, que vous réclamez ?
— Oui, un paquet de lettres.
— Où sont-elles, Varin ?
— Je ne les ai pas.
— Où sont-elles, Varin ?
— Je l’ignore. C’est mon frère qui s’en était chargé.
— Elles sont cachées ici, dans cette pièce.
— En ce cas, vous savez où elles sont.
— Comment le saurais-je ?
— Dame, n’est-ce pas vous qui avez visité la cachette ? Vous paraissez aussi bien renseigné… que Salvator.
— Les lettres ne sont pas dans la cachette.
— Elles y sont.
— Ouvre-la.
Varin eut un regard de défiance. Daspry et Salvator ne faisaient-ils qu’un réellement, comme tout le laissait présumer ? Si oui, il ne risquait rien en montrant une cachette déjà connue. Si non c’était inutile…
— Ouvre-la, répéta Daspry.
— Je n’ai pas de sept de cœur.
— Si, celui-là, dit Daspry, en tendant la plaque de fer.
Varin recula, terrifié :
— Non… non… je ne veux pas…
— Qu’à cela ne tienne…
Daspry se dirigea vers le vieux monarque à la barbe fleurie, monta sur une chaise, et appliqua le sept de cœur au bas du glaive, contre la garde, et de façon que les bords de la plaque recouvrissent exactement les deux bords de l’épée. Puis, avec l’aide d’un poinçon, qu’il introduisit alternativement dans chacun des sept trous pratiqués à l’extrémité des sept points de cœur, il pesa sur sept des petites pierres de la mosaïque. À la septième petite pierre enfoncée, un déclenchement se produisit, et tout le buste du roi pivota, démasquant une large ouverture aménagée comme un coffre, avec des revêtements de fer et deux rayons d’acier luisant.
— Tu vois bien, Varin, le coffre est vide.
— En effet… Alors c’est que mon frère aura retiré les lettres.
Daspry revint vers l’homme et lui dit :
— Ne joue pas au plus fin avec moi. Il y a une autre cachette. Où est-elle ?
— Il n’y en a pas.
— Est-ce de l’argent que tu veux ? Combien ?
— Dix mille.
— Monsieur Andermatt, ces lettres valent-elles dix mille francs pour vous ?
— Oui, fit le banquier d’une voix forte.
Varin ferma le coffre, prit le sept de cœur, non sans une répugnance visible, et l’appliqua sur le glaive, contre la garde, et juste au même endroit. Successivement il enfonça le poinçon à l’extrémité des sept points de cœur. Il se produisit un second déclenchement, mais cette fois, chose inattendue, ce ne fut qu’une partie du coffre qui pivota démasquant un petit coffre pratiqué dans l’épaisseur même de la porte qui fermait le plus grand.
Le paquet de lettres était là, noué d’une ficelle et cacheté. Varin le remit à Daspry. Celui-ci demanda :
— Le chèque est prêt, Monsieur Andermatt ?
— Oui.
— Et vous avez aussi le dernier document que vous tenez de Louis Lacombe, et qui complète les plans du sous-marin ?
— Oui.
L’échange se fit. Daspry empocha le document et le chèque, et offrit le paquet à M. Andermatt.
— Voici ce que vous désiriez, Monsieur.
Le banquier hésita un moment, comme s’il avait peur de toucher à ces pages maudites qu’il avait cherchées avec tant d’âpreté. Puis, d’un geste nerveux, il s’en empara.
Auprès de moi j’entendis un gémissement. Je saisis la main de Mme Andermatt : elle était glacée.
Et Daspry dit au banquier :
— Je crois, Monsieur, que notre conversation est terminée. Oh ! pas de remerciements, je vous en supplie. Le hasard seul a voulu que je pusse vous être utile.
M. Andermatt se retira. Il emportait les lettres de sa femme à Louis Lacombe.
— À merveille, s’écria Daspry d’un air enchanté, tout s’arrange pour le mieux. Nous n’avons plus qu’à boucler notre affaire, camarade. Tu as les papiers ?
— Les voilà tous.
Daspry les compulsa, les examina attentivement et les enfouit dans sa poche.
— Parfait, tu as tenu parole.
— Mais…
— Mais quoi ?
— Les deux chèques ?… l’argent ?…
— Eh bien, tu as de l’aplomb, mon bonhomme. Comment, tu oses réclamer !
— Je réclame ce qui m’est dû.
— On te doit donc quelque chose pour des papiers que tu as volés ?
Mais l’homme paraissait hors de lui. Il tremblait de colère, les yeux injectés de sang.
— L’argent… les vingt mille… bégaya-t-il.
— Impossible… j’en ai l’emploi.
— L’argent !…
— Allons, sois raisonnable, et laisse donc ton poignard tranquille.
Il lui saisit le bras si brutalement que l’autre hurla de douleur, et il ajouta :
— Va-t’en, camarade, l’air te fera du bien. Veux-tu que je te reconduise ? Nous nous en irons par le terrain vague, et je te montrerai un tas de cailloux sous lequel…
— Ce n’est pas vrai ! Ce n’est pas vrai !
— Mais oui, c’est vrai. Cette petite plaque de fer aux sept points rouges vient de là-bas. Elle ne quittait jamais Louis Lacombe, tu te rappelles ? Ton frère et toi vous l’avez enterrée avec le cadavre… et avec d’autres choses qui intéresseront énormément la justice.
Varin se couvrit le visage de ses poings rageurs. Puis il prononça :
— Soit. Je suis roulé. N’en parlons plus. Un mot cependant… un seul mot… je voudrais savoir…
— J’écoute.
— Il y avait dans ce coffre, dans le plus grand des deux, une cassette ?
— Oui.
— Quand vous êtes venu ici, la nuit du 22 au 23 juin, elle y était ?
— Oui.
— Elle contenait ?…
— Tout ce que les frères Varin y avaient enfermé, une assez jolie collection de bijoux, diamants et perles, raccrochés de droite et de gauche par lesdits frères.