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Il choisit. Par quel excellent hasard se trouva-t-elle au-dessus du bureau de Ludovic ?

Arsène ne tarda pas à s’apercevoir que son poste de secrétaire ressemblait furieusement à une sinécure. En deux mois, il n’eut que quatre lettres insignifiantes à recopier et ne fut appelé qu’une fois dans le bureau de son patron, ce qui ne lui permit qu’une fois de contempler officiellement le coffre-fort. En outre, il nota que le titulaire de cette sinécure ne devait pas être jugé digne de figurer auprès du député Anquety, ou du bâtonnier Grouvel, car on omit de le convier aux fameuses réceptions mondaines.

Il ne s’en plaignit point, préférant de beaucoup garder sa modeste petite place à l’ombre, et se tint à l’écart, heureux et libre. D’ailleurs il ne perdait pas son temps. Il rendit tout d’abord un certain nombre de visites clandestines au bureau de Ludovic, et présenta ses devoirs au coffre-fort, lequel n’en resta pas moins hermétiquement fermé. C’était un énorme bloc de fonte et d’acier, à l’aspect rébarbatif, et contre quoi ne pouvaient prévaloir ni les limes, ni les vrilles, ni les pinces monseigneur.

Arsène Lupin n’était pas entêté.

— Où la force échoue, la ruse réussit, se dit-il. L’essentiel est d’avoir un œil et une oreille dans la place.

Il prit donc les mesures nécessaires, et après de minutieux et pénibles sondages à travers le parquet de sa chambre, il introduisit un tuyau de plomb qui aboutissait au plafond du bureau entre deux moulures de la corniche. Par ce tuyau, tube acoustique et lunette d’approche, il espérait voir et entendre.

Dès lors il vécut à plat ventre sur son parquet. Et de fait il vit souvent les Imbert en conférence devant le coffre, compulsant des registres et maniant des dossiers. Quand ils tournaient successivement les quatre boutons qui commandaient la serrure, il tâchait, pour savoir le chiffre, de saisir le nombre des crans qui passaient. Il surveillait leurs gestes, il épiait leurs paroles. Que faisaient-ils de la clef ? La cachaient-ils ?

Un jour, il descendit en hâte, les ayant vus qui sortaient de la pièce sans refermer le coffre. Et il entra résolument. Ils étaient revenus.

— Oh ! excusez-moi, dit-il, je me suis trompé de porte.

Mais Gervaise se précipita, et l’attirant :

— Entrez donc, Monsieur Lupin, entrez donc, n’êtes-vous pas chez vous ici ? Vous allez nous donner un conseil. Quels titres devons-nous vendre ? De l’Extérieure ou de la Rente ?

— Mais, l’opposition ? objecta Lupin, très étonné.

— Oh ! elle ne frappe pas tous les titres.

Elle écarta le battant. Sur les rayons s’entassaient des portefeuilles ceinturés de sangles. Elle en saisit un. Mais son mari protesta.

— Non, non, Gervaise, ce serait de la folie de vendre de l’Extérieure. Elle va monter… Tandis que la Rente est au plus haut. Qu’en pensez-vous, mon cher ami ?

Le cher ami n’avait aucune opinion, cependant il conseilla le sacrifice de la Rente. Alors elle prit une autre liasse, et, dans cette liasse, au hasard, un papier. C’était un titre 3% de 1.374 francs. Ludovic le mit dans sa poche. L’après-midi, accompagné de son secrétaire, il fit vendre ce titre par un agent de change et toucha quarante-six mille francs.

Quoi qu’en eût dit Gervaise, Arsène Lupin ne se sentait pas chez lui. Bien au contraire, sa situation dans l’hôtel Imbert le remplissait de surprise. À diverses occasions, il put constater que les domestiques ignoraient son nom. Ils l’appelaient monsieur. Ludovic le désignait toujours ainsi : « Vous préviendrez monsieur… Est-ce que monsieur est arrivé ? » Pourquoi cette appellation énigmatique ?

D’ailleurs, après l’enthousiasme du début, les Imbert lui parlaient à peine, et, tout en le traitant avec les égards dûs à un bienfaiteur, ne s’occupaient jamais de lui ! On avait l’air de le considérer comme un original qui n’aime pas qu’on l’importune, et on respectait son isolement, comme si cet isolement était une règle édictée par lui, un caprice de sa part. Une fois qu’il passait dans le vestibule, il entendit Gervaise qui disait à deux messieurs :

— C’est un tel sauvage !

Soit, pensa-t-il, nous sommes un sauvage. Et renonçant à s’expliquer les bizarreries de ces gens, il poursuivait l’exécution de son plan. Il avait acquis la certitude qu’il ne fallait point compter sur le hasard ni sur une étourderie de Gervaise que la clef du coffre ne quittait pas, et qui, au surplus, n’eût jamais emporté cette clef sans avoir préalablement brouillé les lettres de la serrure. Ainsi donc il devait agir.

Un événement précipita les choses, la violente campagne menée contre les Imbert par certains journaux. On les accusait d’escroquerie. Arsène Lupin assista aux péripéties du drame, aux agitations du ménage, et il comprit qu’en tardant davantage, il allait tout perdre.

Cinq jours de suite, au lieu de partir vers six heures comme il en avait l’habitude, il s’enferma dans sa chambre. On le supposait sorti. Lui, s’étendait sur le parquet et surveillait le bureau de Ludovic.

Les cinq soirs, la circonstance favorable qu’il attendait ne s’étant pas produite, il s’en alla au milieu de la nuit, par la petite porte qui desservait la cour. Il en possédait une clef.

Mais le sixième jour il apprit que les Imbert, en réponse aux insinuations malveillantes de leurs ennemis, avaient proposé qu’on ouvrît le coffre et qu’on en fît l’inventaire.

— C’est pour ce soir, pensa Lupin.

Et en effet, après le dîner, Ludovic s’installa dans son bureau. Gervaise le rejoignit. Ils se mirent à feuilleter les registres du coffre.

Une heure s’écoula, puis une autre heure. Il entendit les domestiques qui se couchaient. Maintenant il n’y avait plus personne au premier étage. Minuit. Les Imbert continuaient leur besogne.

— Allons-y, murmura Lupin.

Il ouvrit sa fenêtre. Elle donnait sur la cour, et l’espace, par la nuit sans lune et sans étoile, était obscur. Il tira de son armoire une corde à nœuds qu’il assujettit à la rampe du balcon, enjamba et se laissa glisser doucement, en s’aidant d’une gouttière, jusqu’à la fenêtre située au-dessous de la sienne. C’était celle du bureau, et le voile épais des rideaux molletonnés masquait la pièce. Debout sur le balcon, il resta un moment immobile, l’oreille tendue et l’œil aux aguets.

Tranquillisé par le silence, il poussa légèrement les deux croisées. Si personne n’avait eu soin de les vérifier, elles devaient céder à l’effort, car lui, au cours de l’après-midi, en avait tourné l’espagnolette de façon qu’elle n’entrât plus dans les gâches.

Les croisées cédèrent. Alors, avec des précautions infinies, il les entrebâilla davantage. Dès qu’il put glisser la tête, il s’arrêta. Un peu de lumière filtrait entre les deux rideaux mal joints : il aperçut Gervaise et Ludovic assis à côté du coffre.

Ils n’échangeaient que de rares paroles et à voix basse, absorbés par leur travail. Arsène calcula la distance qui le séparait d’eux, établit les mouvements exacts qu’il lui faudrait faire pour les réduire l’un après l’autre à l’impuissance, avant qu’ils n’eussent le temps d’appeler au secours, et il allait se précipiter, lorsque Gervaise dit :

— Comme la pièce s’est refroidie depuis un instant ! Je vais me mettre au lit. Et toi ?

— Je voudrais finir.

— Finir ! Mais tu en as pour la nuit.

— Mais non, une heure au plus.

Elle se retira. Vingt minutes, trente minutes passèrent. Arsène poussa la fenêtre un peu plus. Les rideaux frémirent. Il poussa encore. Ludovic se retourna, et, voyant les rideaux gonflés par le vent, se leva pour fermer la fenêtre…

Il n’y eut pas un cri, pas même une apparence de lutte. En quelques gestes précis, et sans lui faire le moindre mal, Arsène l’étourdit, lui enveloppa la tête avec le rideau, le ficela, et de telle manière que Ludovic ne distingua même pas le visage de son agresseur.