Le monsieur pénétra dans le vestibule, monta un étage, deux étages, et, sans même s’arrêter sur le palier du docteur Harel, continua jusqu’au cinquième. Là, il essaya deux clefs. L’une fit fonctionner la serrure, l’autre le verrou de sûreté.
— À merveille, murmura-t-il, la besogne est considérablement simplifiée. Mais avant d’agir, il faut assurer notre retraite. Voyons… ai-je eu logiquement le temps de sonner chez le docteur, et d’être congédié par lui ? Pas encore… un peu de patience…
Au bout d’une dizaine de minutes, il redescendit et heurta le carreau de la loge en maugréant contre le docteur. On lui ouvrit, et il claqua la porte derrière lui. Or, cette porte ne se ferma point, l’homme ayant vivement appliqué un morceau de fer sur la gâche afin que le pène ne pût s’y introduire.
Il rentra donc, sans bruit, à l’insu des concierges. En cas d’alarme, sa retraite était assurée.
Paisiblement il remonta les cinq étages. Dans l’antichambre, à la lueur d’une lanterne électrique, il déposa son pardessus et son chapeau sur une des chaises, s’assit sur une autre, et enveloppa ses bottines d’épais chaussons de feutre.
— Ouf ! ça y est… Et combien facilement ! Je me demande un peu pourquoi tout le monde ne choisit pas le confortable métier de cambrioleur ? Avec un peu d’adresse et de réflexion, il n’en est pas de plus charmant. Un métier de tout repos… un métier de père de famille… Trop commode même… cela devient fastidieux.
Il déplia un plan détaillé de l’appartement.
— Commençons par nous orienter. Ici, j’aperçois le rectangle du vestibule où je suis. Du côté de la rue, le salon, le boudoir et la salle à manger. Inutile de perdre son temps par là, il paraît que la comtesse a un goût déplorable… pas un bibelot de valeur !… Donc, droit au but… Ah ! voici le tracé d’un couloir, du couloir qui mène aux chambres. À trois mètres, je dois rencontrer la porte du placard aux robes qui communique avec la chambre de la comtesse.
Il replia son plan, éteignit sa lanterne, et s’engagea dans le couloir en comptant :
— Un mètre… Deux mètres… trois mètres… Voici la porte… Comme tout s’arrange, mon Dieu ! Un simple verrou, un petit verrou, me sépare de la chambre, et, qui plus est, je sais que ce verrou se trouve à un mètre quarante-trois du plancher… De sorte que, grâce à une légère incision que je vais pratiquer autour, nous en serons débarrassé…
Il sortit de sa poche les instruments nécessaires, mais une idée l’arrêta.
— Et si, par hasard, ce verrou n’était pas poussé. Essayons toujours… Pour ce qu’il en coûte !
Il tourna le bouton de la serrure. La porte s’ouvrit.
— Mon brave Lupin, décidément la chance te favorise. Que te faut-il maintenant ? Tu connais la topographie des lieux où tu vas opérer ; tu connais l’endroit où la comtesse cache la perle noire… Par conséquent, pour que la perle noire t’appartienne, il s’agit tout bêtement d’être plus silencieux que le silence, plus invisible que la nuit.
Arsène Lupin employa bien une demi-heure pour ouvrir la seconde porte, une porte vitrée qui donnait sur la chambre. Mais il le fit avec tant de précaution, qu’alors même que la comtesse n’eût pas dormi, aucun grincement équivoque n’aurait pu l’inquiéter.
D’après les indications de son plan, il n’avait qu’à suivre le contour d’une chaise-longue. Cela le conduisait à un fauteuil, puis à une petite table située près du lit. Sur la table, il y avait une boîte de papier à lettres, et, enfermée tout simplement dans cette boîte, la perle noire.
Il s’allongea sur le tapis et suivit les contours de la chaise-longue. Mais à l’extrémité il s’arrêta pour réprimer les battements de son cœur. Bien qu’aucune crainte ne l’agitât, il lui était impossible de vaincre cette sorte d’angoisse nerveuse que l’on éprouve dans le trop grand silence. Et il s’en étonnait, car, enfin, il avait vécu sans émotion des minutes plus solennelles. Nul danger ne le menaçait. Alors pourquoi son cœur battait-il comme une cloche affolée ? Était-ce cette femme endormie qui l’impressionnait, cette vie si voisine de la sienne ?
Il écouta et crut discerner le rythme d’une respiration. Il fut rassuré comme par une présence amie.
Il chercha le fauteuil, puis, par petits gestes insensibles, rampa vers la table, tâtant l’ombre de son bras étendu. Sa main droite rencontra un des pieds de la table.
Enfin ! il n’avait plus qu’à se lever, à prendre la perle et à s’en aller. Heureusement ! car son cœur recommençait à sauter dans sa poitrine comme une bête terrifiée, et avec un tel bruit qu’il lui semblait impossible que la comtesse ne s’éveillât point.
Il l’apaisa dans un élan de volonté prodigieux, mais, au moment où il essayait de se relever, sa main gauche heurta sur le tapis un objet qu’il reconnut tout de suite pour un flambeau, un flambeau renversé ; et aussitôt, un autre objet se présenta, une pendule, une de ces petites pendules de voyage qui sont recouvertes d’une gaine de cuir.
Quoi ? Que se passait-il ? Il ne comprenait pas. Ce flambeau,… cette pendule… pourquoi ces objets n’étaient-ils pas à leur place habituelle ? Ah ! que se passait-il dans l’ombre effarante ?
Et soudain, un cri lui échappa. Il avait touché… oh ! à quelle chose étrange, innommable ! Mais non, non, la peur lui troublait le cerveau. Vingt secondes, trente secondes, il demeura immobile, épouvanté, de la sueur aux tempes. Et ses doigts gardaient la sensation de ce contact.
Par un effort implacable, il tendit le bras de nouveau. Sa main, de nouveau, effleura la chose, la chose étrange, innommable. Il la palpa. Il exigea que sa main la palpât et se rendît compte. C’était une chevelure, un visage… et ce visage était froid, presque glacé.
Si terrifiante que soit la réalité, un homme comme Arsène Lupin la domine dès qu’il en a pris connaissance. Rapidement, il fit jouer le ressort de sa lanterne. Une femme gisait devant lui, couverte de sang. D’affreuses blessures dévastaient son cou et ses épaules. Il se pencha et l’examina. Elle était morte.
— Morte, morte, répéta-t-il avec stupeur.
Et il regardait ces yeux fixes, le rictus de cette bouche, cette chair livide, et ce sang, tout ce sang qui avait coulé sur le tapis et se figeait maintenant, épais et noir.
S’étant relevé, il tourna le bouton de l’électricité, la pièce s’emplit de lumière, et il put voir tous les signes d’une lutte acharnée. Le lit était entièrement défait, les couvertures et les draps arrachés. Par terre, le flambeau, puis la pendule — les aiguilles marquaient onze heures vingt — puis, plus loin, une chaise renversée, et partout du sang, des flaques de sang.
— Et la perle noire ? murmura-t-il.
La boîte de papier à lettres était à sa place. Il l’ouvrit vivement. Elle contenait l’écrin. Mais l’écrin était vide.
— Fichtre, se dit-il, tu t’es vanté un peu tôt de ta chance, mon ami Arsène Lupin… La comtesse assassinée, la perle noire disparue… la situation n’est pas brillante ! Filons, sans quoi tu risques fort d’encourir de lourdes responsabilités.
Il ne bougea pas cependant.
— Filer ? Oui, un autre filerait. Mais, Arsène Lupin ? N’y a-t-il pas mieux à faire ? Voyons, procédons par ordre. Après tout, ta conscience est tranquille… Suppose que tu es commissaire de police et que tu dois procéder à une enquête… Oui, mais pour cela, il faudrait avoir un cerveau plus clair. Et le mien est dans un état !
Il tomba sur un fauteuil, ses poings crispés contre son front brûlant.
⁂
L’affaire de l’avenue Hoche est une de celles qui nous ont le plus vivement intrigués en ces derniers temps, et je ne l’eusse certes pas racontée si la participation d’Arsène Lupin ne l’éclairait d’un jour tout spécial. Cette participation, il en est peu qui la soupçonnent. Nul ne sait en tout cas l’exacte et curieuse vérité.
Qui ne connaissait, pour l’avoir rencontrée au Bois, Léontine Zalti, l’ancienne cantatrice, épouse et veuve du comte d’Andillot, la Zalti dont le luxe éblouissait Paris, il y a quelque vingt ans, la Zalti, comtesse d’Andillot, à qui ses parures de diamants et de perles valaient une réputation européenne ? On disait d’elle qu’elle portait sur ses épaules le coffre-fort de plusieurs maisons de banque et les mines d’or de plusieurs compagnies australiennes. Les grands joailliers travaillaient pour la Zalti comme on travaillait jadis pour les rois et pour les reines.