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À minuit ses amis descendaient du train. À minuit et demi, l’automobile franchissait les portes de Thibermesnil. À une heure, après un léger souper servi dans le salon, chacun se retira. Peu à peu toutes les lumières s’éteignirent. Le grand silence de la nuit enveloppa le château.

Mais la lune écarta les nuages qui la voilaient, et, par deux des fenêtres, emplit le salon de clarté blanche. Cela ne dura qu’un moment. Très vite la lune se cacha derrière le rideau des collines. Et ce fut l’obscurité. Le silence s’augmenta de l’ombre plus épaisse. À peine, de temps à autre, des craquements de meubles le troublaient-ils, ou bien le bruissement des roseaux sur l’étang qui baigne les vieux murs de ses eaux vertes.

La pendule égrenait le chapelet infini des secondes. Elle sonna deux heures. Puis, de nouveau, les secondes tombèrent hâtives et monotones dans la paix lourde de la nuit. Puis trois heures sonnèrent.

Et tout à coup quelque chose claqua, comme fait, au passage d’un train, le disque d’un signal qui s’ouvre et se rabat. Et un jet fin de lumière traversa le salon de part en part, ainsi qu’une flèche qui laisserait derrière elle une traînée étincelante. Il jaillissait de la cannelure centrale d’un pilastre où s’appuie, à droite, le fronton de la bibliothèque. Il s’immobilisa d’abord sur le panneau opposé en un cercle éclatant, puis il se promena de tous côtés comme un regard inquiet qui scrute l’ombre, puis il s’évanouit pour jaillir encore, pendant que toute une partie de la bibliothèque tournait sur elle-même et démasquait une large ouverture, en forme de voûte.

Un homme entra qui tenait à la main une lanterne électrique. Un autre homme et un troisième surgirent qui portaient un rouleau de cordes et différents instruments. Le premier inspecta la pièce, écouta et dit :

— Appelez les camarades.

De ces camarades, il en vint huit par le souterrain, gaillards solides, au visage énergique. Et le déménagement commença.

Ce fut rapide. Arsène Lupin passait d’un meuble à un autre, l’examinait, et, suivant ses dimensions ou sa valeur artistique, lui faisait grâce ou ordonnait :

— Enlevez !

Et l’objet était enlevé, avalé par la gueule béante du tunnel, expédié dans les entrailles de la terre.

Et ainsi furent escamotés six fauteuils et six chaises Louis XV, et des tapisseries d’Aubusson, et des girandoles signées Gouthière, et deux Fragonard, et un Nattier, et un buste de Houdon, et des statuettes. Quelquefois Lupin s’attardait devant un magnifique bahut ou un superbe tableau et soupirait :

— Trop lourd, celui-là… trop grand… quel dommage !

Et il continuait son expertise.

En quarante minutes, le salon fut « désencombré » selon l’expression d’Arsène. Et tout cela s’était accompli dans un ordre admirable, sans aucun bruit, comme si tous les objets que maniaient ces hommes eussent été garnis d’épaisse ouate.

Il dit alors au dernier d’entre eux qui s’en allait, porteur d’un cartel signé Boulle :

— Inutile de revenir. Il est entendu, n’est-ce pas, qu’aussitôt l’auto-camion chargé, vous filez jusqu’à la grange de Roquefort.

— Mais vous, patron ?

— Qu’on me laisse la motocyclette.

L’homme parti, il repoussa, tout contre, le pan mobile de la bibliothèque, puis, après avoir fait disparaître les traces du déménagement, effacé les marques de pas, il souleva une portière, et pénétra dans une galerie qui servait de communication entre la tour et le château. Au milieu il y avait une vitrine, et c’était à cause de cette vitrine qu’Arsène Lupin avait poursuivi ses investigations.

Elle contenait des merveilles, une collection unique de montres, de tabatières, de bagues, de châtelaines, de miniatures du plus joli travail. Avec une pince il força la serrure, et ce lui fut un plaisir inexprimable que de saisir ces joyaux d’or et d’argent, ces petites œuvres d’un art si précieux et si délicat.

Il avait, passé en bandoulière autour de son cou, un large sac de toile spécialement aménagé pour ces aubaines. Il le remplit. Et il remplit aussi les poches de sa veste, de son pantalon et de son gilet. Et il refermait son bras gauche sur une pile de ces réticules en perles si goûtés de nos ancêtres, et que la mode actuelle recherche si passionnément… lorsqu’un léger bruit frappa son oreille.

Il écouta : il ne se trompait pas, le bruit se précisait.

Et soudain il se rappela : à l’extrémité de la galerie, un escalier intérieur conduisait à un appartement, inoccupé jusqu’ici, mais qui était, depuis ce soir, réservé à cette jeune fille que Devanne avait été chercher à Dieppe, avec ses amis d’Androl.

D’un geste rapide, il pressa du doigt le ressort de sa lanterne : elle s’éteignit. Il avait à peine gagné l’embrasure d’une fenêtre qu’au haut de l’escalier la porte fut ouverte et qu’une faible lueur éclaira la galerie.

Il eut la sensation — car, à demi-caché par un rideau, il ne voyait point — qu’une personne descendait les premières marches avec précaution. Il espéra qu’elle n’irait pas plus loin. Elle descendit cependant et avança de plusieurs pas dans la pièce. Mais elle poussa un cri. Sans doute avait-elle aperçu la vitrine brisée, aux trois quarts vide.

Au parfum, il reconnut la présence d’une femme. Ses vêtements frôlaient presque le rideau qui le dissimulait, et il lui sembla qu’il entendait battre le cœur de cette femme, et qu’elle aussi devinait la présence d’un autre être, derrière elle, dans l’ombre, à portée de sa main… Il se dit : « Elle a peur… elle va partir… il est impossible qu’elle ne parte pas. » Elle ne partit point. La bougie qui tremblait dans sa main, s’affermit. Elle se retourna, hésita un instant, parut écouter le silence effrayant, puis, d’un coup, écarta le rideau.

Ils se virent.

Arsène murmura, bouleversé :

— Vous… vous… Mademoiselle.

C’était miss Nelly.

Miss Nelly ! la passagère du Transatlantique, celle qui avait mêlé ses rêves aux rêves du jeune homme durant cette inoubliable traversée, celle qui avait assisté à son arrestation, et qui, plutôt que de le trahir, avait eu ce joli geste de jeter à la mer le kodak où il avait caché les bijoux et les billets de banque… Miss Nelly ! la chère et souriante créature dont l’image avait si souvent attristé ou réjoui ses longues heures de prison !

Le hasard était si prodigieux qui les mettait en présence l’un de l’autre dans ce château et à cette heure de la nuit, qu’ils ne bougeaient point et ne prononçaient pas une parole, stupéfaits, comme hypnotisés par l’apparition fantastique qu’ils étaient l’un pour l’autre.

Chancelante, brisée d’émotion, miss Nelly dut s’asseoir.

Il resta debout en face d’elle. Et peu à peu, au cours des secondes interminables qui s’écoulèrent, il eut conscience de l’impression qu’il devait donner en cet instant, les bras chargés de bibelots, les poches gonflées, et son sac rempli à en crever. Une grande confusion l’envahit, et il rougit de se trouver là, dans cette vilaine posture du voleur qu’on prend en flagrant délit. Pour elle, désormais, quoi qu’il advînt, il était le voleur, celui qui met la main dans la poche des autres, celui qui crochète les portes et s’introduit furtivement.

Une des montres roula sur le tapis, une autre également. Et d’autres choses encore allaient glisser de ses bras, qu’il ne savait comment retenir. Alors, se décidant brusquement, il laissa tomber sur le fauteuil une partie des objets, vida ses poches et se défit de son sac.

Il se sentit plus à l’aise devant Nelly, et fit un pas vers elle avec l’intention de lui parler. Mais elle eut un geste de recul, puis se leva vivement, comme prise d’effroi, et se précipita vers le salon. La portière se referma sur elle, il la rejoignit. Elle était là, interdite, tremblante, et ses yeux contemplaient avec terreur l’immense pièce dévastée.

Aussitôt il lui dit :