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— À trois heures, demain, tout sera remis en place… Les meubles seront rapportés…

Elle ne répondit point, et il répéta :

— Demain, à trois heures, je m’y engage… Rien au monde ne pourra m’empêcher de tenir ma promesse… Demain, à trois heures…

Un long silence pesa sur eux. Il n’osait le rompre, et l’émotion de la jeune fille lui causait une véritable souffrance. Doucement, sans un mot, il s’éloigna d’elle.

Et il pensait :

— Qu’elle s’en aille !… Qu’elle se sente libre de s’en aller !… Qu’elle n’ait pas peur de moi !…

Mais soudain elle tressaillit et balbutia :

— Écoutez… des pas… j’entends marcher…

Il la regarda avec étonnement. Elle semblait bouleversée, ainsi qu’à l’approche d’un péril.

— Je n’entends rien, dit-il, et quand même…

— Comment ! mais il faut fuir… vite, fuyez…

— Fuir… pourquoi ?

— Il le faut… il le faut… Ah ! ne restez pas…

D’un trait elle courut jusqu’à l’entrée de la galerie et prêta l’oreille. Non, il n’y avait personne. Peut-être le bruit venait-il du dehors ?… Elle attendit une seconde, puis, rassurée, se retourna.

Arsène Lupin avait disparu.

À l’instant même où Devanne constata le pillage de son château, il se dit : c’est Velmont qui a fait le coup, et Velmont n’est autre qu’Arsène Lupin. Tout s’expliquait ainsi, et rien ne s’expliquait autrement. Cette idée ne fit d’ailleurs que l’effleurer, tellement il était invraisemblable que Velmont ne fût point Velmont, c’est-à-dire le peintre connu, le camarade de cercle de son cousin d’Estevan. Et lorsque le brigadier de gendarmerie, aussitôt averti, se présenta, Devanne ne songea même pas à lui communiquer cette supposition absurde.

Toute la matinée ce fut, à Thibermesnil, un va-et-vient indescriptible. Les gendarmes, le garde champêtre, le commissaire de police de Dieppe, les habitants du village, tout ce monde s’agitait dans les couloirs, ou dans le parc, ou autour du château. L’approche des troupes en manœuvre, le crépitement des fusils, ajoutaient au pittoresque de la scène.

Les premières recherches ne fournirent point d’indice. Les fenêtres n’ayant pas été brisées ni les portes fracturées, sans nul doute le déménagement s’était effectué par l’issue secrète. Pourtant, sur le tapis, aucune trace de pas, sur les murs, aucune marque insolite.

Une seule chose, inattendue, et qui dénotait bien la fantaisie d’Arsène Lupin : la fameuse Chronique du xvie siècle avait repris son ancienne place, et, à côté, se trouvait un livre semblable, qui n’était autre que l’exemplaire volé de la Bibliothèque nationale.

À onze heures, les officiers arrivèrent. Devanne les accueillit gaiement — quelque ennui que lui causât la perte de telles richesses artistiques, sa fortune lui permettait de la supporter sans mauvaise humeur. — Ses amis d’Androl et Nelly descendirent.

Les présentations faites, on s’aperçut qu’il manquait un convive, Horace Velmont. Ne viendrait-il point ?

Son absence eût réveillé les soupçons de Georges Devanne. Mais à midi précis, il entrait. Devanne s’écria :

— À la bonne heure ! Vous voilà !

— Ne suis-je pas exact ?

— Si, mais vous auriez pu ne pas l’être… après une nuit si agitée ! car vous savez la nouvelle ?

— Quelle nouvelle ?

— Vous avez cambriolé le château.

— Allons donc !

— Comme je vous le dis. Mais offrez tout d’abord votre bras à Miss Underdown, et passons à table… Mademoiselle, permettez-moi…

Il s’interrompit, frappé par le trouble de la jeune fille. Puis, soudain, se rappelant :

— C’est vrai, à propos, vous avez voyagé avec Arsène Lupin, jadis… avant son arrestation… La ressemblance vous étonne, n’est-ce pas ?

Elle ne répondit point. Devant elle, Velmont souriait. Il s’inclina, elle prit son bras. Il la conduisit à sa place et s’assit en face d’elle.

Durant le déjeuner on ne parla que d’Arsène Lupin, des meubles enlevés, du souterrain, de Herlock Sholmès. À la fin du repas seulement, comme on abordait d’autres sujets, Velmont se mêla à la conversation. Il fut tour à tour amusant et grave, éloquent et spirituel. Et tout ce qu’il disait, il semblait ne le dire que pour intéresser la jeune fille. Très absorbée, elle ne paraissait point l’entendre.

On servit le café sur la terrasse qui domine la cour d’honneur et le jardin français du côté de la façade principale. Au milieu de la pelouse, la musique du régiment se mit à jouer, et la foule des paysans et des soldats se répandit dans les allées du parc.

Cependant Nelly se souvenait de la promesse d’Arsène Lupin : « À trois heures tout sera là, je m’y engage. »

À trois heures ! et les aiguilles de la grande horloge qui ornait l’aile droite marquaient deux heures quarante. Elle les regardait malgré elle à tout instant. Et elle regardait aussi Velmont qui se balançait paisiblement dans un confortable rocking-chair.

Deux heures cinquante… deux heures cinquante-cinq… une sorte d’impatience, mêlée d’angoisse, étreignait la jeune fille. Était-il admissible que le miracle s’accomplît, et qu’il s’accomplît à la minute fixée, alors que le château, la cour, la campagne étaient remplis de monde, et qu’en ce moment même le procureur de la République et le juge d’instruction poursuivaient leur enquête ?

Et pourtant… pourtant, Arsène Lupin avait promis avec une telle solennité ! Cela sera comme il l’a dit, pensa-t-elle, impressionnée par tout ce qu’il y avait, en cet homme, d’énergie, d’autorité et de certitude. Et cela ne lui semblait plus un miracle, mais un événement naturel qui devait se produire par la force des choses.

Une seconde, leurs regards se croisèrent. Elle rougit et détourna la tête.

Trois heures… Le premier coup sonna, le deuxième coup, le troisième… Horace Velmont tira sa montre, leva les yeux vers l’horloge, puis remit sa montre dans sa poche. Quelques secondes s’écoulèrent. Et voici que la foule s’écarta, autour de la pelouse, livrant passage à deux voitures qui venaient de franchir la grille du parc, attelées l’une et l’autre de deux chevaux. C’étaient de ces fourgons qui vont à la suite des régiments et qui portent les cantines des officiers et les sacs des soldats. Ils s’arrêtèrent devant le perron. Un sergent-fourrier sauta de l’un des sièges et demanda M. Devanne.

Devanne accourut et descendit les marches. Sous les bâches, il vit, soigneusement rangés, bien enveloppés, ses meubles, ses tableaux, ses objets d’art.

Aux questions qu’on lui posa, le fourrier répondit en exhibant l’ordre qu’il avait reçu de l’adjudant de service, et que cet adjudant avait pris, le matin, au rapport. Par cet ordre, la deuxième compagnie du quatrième bataillon devait pourvoir à ce que les objets mobiliers déposés au carrefour des Halleux, en forêt d’Arques, fussent portés à trois heures à M. Georges Devanne, propriétaire du château de Thibermesnil. Signé : le colonel Beauvel.

— Au carrefour, ajouta le sergent, tout se trouvait prêt, aligné sur le gazon, et sous la garde… des passants. Ça m’a semblé drôle, mais quoi ! l’ordre était catégorique.

Un des officiers examina la signature : elle était parfaitement imitée, mais fausse.

La musique avait cessé de jouer, on vida les fourgons, on réintégra les meubles.

Au milieu de cette agitation, Nelly resta seule à l’extrémité de la terrasse. Elle était grave et soucieuse, agitée de pensées confuses qu’elle ne cherchait pas à formuler. Soudain, elle aperçut Velmont qui s’approchait. Elle souhaita de l’éviter, mais l’angle de la balustrade qui borde la terrasse l’entourait de deux côtés, et une ligne de grandes caisses d’arbustes, orangers, lauriers-roses et bambous, ne lui laissait d’autre retraite que le chemin par où s’avançait le jeune homme. Elle ne bougea pas. Un rayon de soleil tremblait sur ses cheveux d’or, agité par les feuilles frêles d’un bambou. Quelqu’un prononça très bas :