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— Ah ! ça, c’est une vraie surprise. Ce cher Ganimard, ici !

— Lui-même.

— Je désirais bien des choses dans la retraite que j’ai choisie… mais aucune plus passionnément que de vous y recevoir.

— Trop aimable.

— Mais non, mais non, je professe pour vous la plus vive estime.

— J’en suis fier.

— Je l’ai toujours prétendu : Ganimard est notre meilleur détective. Il vaut presque, — vous voyez comme je suis franc ! — il vaut presque Sherlock Holmès. Mais, en vérité, je suis désolé de n’avoir à vous offrir que cet escabeau. Et pas un rafraîchissement ! pas un verre de bière ! Excusez-moi, je suis là de passage.

Ganimard s’assit en souriant, et le prisonnier reprit, heureux de parler :

— Mon Dieu, que je suis content de reposer mes yeux sur la figure d’un honnête homme ! J’en ai assez de toutes ces faces d’espions et de mouchards qui passent dix fois par jour la revue de mes poches et de ma modeste cellule, pour s’assurer que je ne prépare pas une évasion. Fichtre, ce que le gouvernement tient à moi !…

— Il a raison.

— Mais non ! je serais si heureux qu’on me laissât vivre dans mon petit coin !

— Avec les rentes des autres.

— N’est-ce pas ? Ce serait si simple ! Mais je bavarde, je dis des bêtises, et vous êtes peut-être pressé. Allons au fait, Ganimard ! Qu’est-ce qui me vaut l’honneur d’une visite ?

— L’affaire Cahorn, déclara Ganimard, sans détour.

— Halte-là ! une seconde… C’est que j’en ai tant d’affaires ! Que je trouve d’abord dans mon cerveau le dossier de l’affaire Cahorn… Ah ! voilà, j’y suis. Affaire Cahorn, château du Malaquis, Seine-Inférieure… Deux Rubens, un Watteau, et quelques menus objets.

— Menus !

— Oh ! ma foi, tout cela est de médiocre importance. Il y a mieux ! Mais il suffit que l’affaire vous intéresse… Parlez donc, Ganimard.

— Dois-je vous expliquer où nous en sommes de l’instruction ?

— Inutile. J’ai lu les journaux de ce matin. Je me permettrai même de vous dire que vous n’avancez pas vite.

— C’est précisément la raison pour laquelle je m’adresse à votre obligeance.

— Entièrement à vos ordres.

— Tout d’abord ceci : l’affaire a bien été conduite par vous ?

— Depuis A jusqu’à Z.

— La lettre d’avis ? le télégramme ?

— Sont de votre serviteur. Je dois même en avoir quelque part les récépissés.

Arsène ouvrit le tiroir d’une petite table en bois blanc qui composait avec le lit et l’escabeau tout le mobilier de sa cellule, y prit deux chiffons de papier et les tendit à Ganimard.

— Ah ! ça mais, s’écria celui-ci, je vous croyais gardé à vue et fouillé pour un oui ou pour un non. Or vous lisez les journaux, vous collectionnez les reçus de la poste…

— Bah ! ces gens-là sont si bêtes ! Ils décousent la doublure de ma veste, ils explorent les semelles de mes bottines, ils auscultent les murs de cette pièce, mais pas un n’aurait l’idée qu’Arsène Lupin soit assez niais pour choisir une cachette aussi facile. C’est bien là-dessus que j’ai compté.

Ganimard, amusé, s’exclama :

— Quel drôle de garçon vous faites ! Vous me déconcertez. Allons, racontez-moi l’aventure.

— Oh ! oh ! comme vous y allez ! Vous initier à tous mes secrets… vous dévoiler mes petits trucs… C’est bien grave.

— Ai-je eu tort de compter sur votre complaisance ?

— Non, Ganimard, et puisque vous insistez…

Arsène Lupin arpenta deux ou trois fois sa chambre, puis s’arrêtant :

— Que pensez-vous de ma lettre au baron ?

— Je pense que vous avez voulu vous divertir, épater un peu la galerie.

— Ah ! voilà, épater la galerie ! Eh bien, je vous assure, Ganimard, que je vous croyais plus fort. Est-ce que je m’attarde à ces puérilités, moi, Arsène Lupin ! Est-ce que j’aurais écrit cette lettre si j’avais pu dévaliser le baron sans lui écrire ? Mais comprenez donc, vous et les autres, que cette lettre est le point de départ indispensable, le ressort qui a mis toute la machine en branle. Voyons, procédons par ordre, et préparons ensemble, si vous voulez, le cambriolage du Malaquis.

— Je vous écoute.

— Donc, supposons un château rigoureusement fermé, barricadé, comme l’était celui du baron Cahorn. Vais-je abandonner la partie et renoncer à des trésors que je convoite, sous prétexte que le château qui les contient est inaccessible ?

— Évidemment non.

— Vais-je tenter l’assaut comme autrefois, à la tête d’une troupe d’aventuriers ?

— Enfantin !

— Vais-je m’y introduire sournoisement ?

— Impossible.

— Reste un moyen, l’unique à mon avis, c’est de me faire inviter par le propriétaire du dit château.

— Le moyen est original.

— Et combien facile ! Supposons qu’un jour, ledit propriétaire reçoive une lettre, l’avertissant de ce que trame contre lui un nommé Arsène Lupin, cambrioleur réputé. Que fera-t-il ?

— Il enverra la lettre au procureur.

— Qui se moquera de lui, puisque le dit Lupin est actuellement sous les verrous. Donc, affolement du bonhomme, lequel est tout prêt à demander secours au premier venu, n’est-il pas vrai ?

— Cela est hors de doute.

— Et s’il lui arrive de lire dans une feuille de chou qu’un policier célèbre est en villégiature dans la localité voisine…

— Il ira s’adresser à ce policier.

— Vous l’avez dit. Mais, d’autre part, admettons qu’en prévision de cette démarche inévitable, Arsène Lupin ait prié l’un de ses amis les plus habiles de s’installer à Caudebec, d’entrer en relations avec un rédacteur du Réveil, journal auquel est abonné le baron, de laisser entendre qu’il est un tel, le policier célèbre, qu’adviendra-t-il ?

— Que le rédacteur annoncera dans le Réveil la présence à Caudebec du dit policier.

— Parfait, et de deux choses l’une : ou bien le poisson — je veux dire Cahorn — ne mord pas à l’hameçon, et alors rien ne se passe. Ou bien, et c’est l’hypothèse la plus vraisemblable, il accourt, tout frétillant. Et voilà donc mon Cahorn implorant contre moi l’assistance de l’un de mes amis !

— De plus en plus original.

— Bien entendu, le pseudo-policier refuse d’abord son concours. Là-dessus, dépêche d’Arsène Lupin. Épouvante du baron qui supplie de nouveau mon ami, et lui offre tant pour veiller à son salut. Ledit ami accepte, amène deux gaillards de notre bande, qui, la nuit, pendant que Cahorn est gardé à vue par son protecteur, déménagent par la fenêtre un certain nombre d’objets et les laissent glisser, à l’aide de cordes, dans une bonne petite chaloupe affrétée ad hoc. C’est simple comme Lupin.

— Et c’est tout bêtement merveilleux, s’écria Ganimard, et je ne saurais trop louer la hardiesse de la conception et l’ingéniosité des détails. Mais je ne vois guère de policier assez illustre pour que son nom ait pu attirer, suggestionner le baron à ce point.

— Il y en a un, et il n’y en a qu’un.

— Lequel ?

— Celui du plus illustre, de l’ennemi personnel d’Arsène Lupin, bref, de l’inspecteur Ganimard.

— Moi !

— Vous-même, Ganimard. Et voilà ce qu’il y a de délicieux : si vous allez là-bas et que le baron se décide à causer, vous finirez par découvrir que votre devoir est de vous arrêter vous-même, comme vous m’avez arrêté en Amérique. Hein ! la revanche est comique : je fais arrêter Ganimard par Ganimard !

Arsène Lupin riait de bon cœur. L’inspecteur, assez vexé, se mordait les lèvres. La plaisanterie ne lui semblait pas mériter de tels accès de joie.

L’arrivée d’un gardien lui donna le loisir de se remettre. L’homme apportait le repas qu’Arsène Lupin, par faveur spéciale, faisait venir du restaurant voisin. Ayant déposé le plateau sur la table, il se retira. Arsène s’installa, rompit son pain, en mangea deux ou trois bouchées et reprit :