ALFRED
Je n’ai entendu personne, j’étais dans l’office.
GERMAINE
C’est curieux. (À Alfred qui va pour sortir.) Ah ! Alfred on n’a pas encore téléphoné de Paris ?
ALFRED
Pas encore, Mademoiselle.
(Il sort.)
Sonia sert le thé aux jeunes filles.
GERMAINE
On n’a pas encore téléphoné. C’est très embêtant. Ça prouve qu’on ne m’a pas envoyé de cadeaux aujourd’hui.
SONIA
C’est dimanche, les magasins ne font pas de livraisons ce jour-là.
JEANNE
Le beau duc ne vient pas goûter ?
GERMAINE
Mais si, je l’attends à quatre heures et demie. Il a dû sortir à cheval avec les deux frères du Buit. Les du Buit viennent goûter ici.
MARIE
Il est sorti à cheval avec les du Buit ? Quand ça ?
GERMAINE
Mais cet après-midi.
MARIE
Ah ! non… Mon frère est allé après déjeuner chez les du Buit pour voir André et Georges. Ils étaient sortis depuis ce matin en voiture, et ils ne devaient rentrer que tard dans la soirée.
GERMAINE
Tiens, mais… qu’est-ce qu’il m’a raconté ?
IRMA, entrant.
On est là de Paris, Mademoiselle.
GERMAINE, vivement.
Chic, c’est le concierge ?
IRMA
C’est Victoire, la femme de charge.
GERMAINE, au téléphone.
Allô, c’est vous Victoire… Ah ! on a envoyé quelque chose… Eh bien, qu’est-ce que c’est ? Un coupe-papier… encore ! Et l’autre ? Un encrier Louis XVI, encore… Oh ! là ! là ! De qui ? (avec fierté) Comtesse de Rudolphe et baron de Valéry… oui et c’est tout ? Non, c’est vrai ? (à Sonia) Sonia, un collier de perles ! (au téléphone) Il est gros ? les perles sont grosses ? Oh ! mais c’est épatant ! Qui a envoyé ça… (désappointée) Oh ! oui, un ami de papa. Enfin, c’est un collier de perles… Fermez les portes, n’est-ce pas ? et serrez-le dans l’armoire secrète… Oui, merci ma bonne Victoire, à demain (à Jeanne et Marie). C’est inouï, les relations de papa me font des cadeaux merveilleux et tous les gens chics m’envoient des coupe-papier. Il est vrai que Jacques est au-dessous de tout. C’est à peine si dans le faubourg on sait que nous sommes fiancés.
JEANNE
Il ne fait aucune réclame ?
GERMAINE
Vous plaisantez, mais c’est que c’est vrai. Sa cousine, Mme de Relzières me le disait encore l’autre jour au thé qu’elle a donné en mon honneur, n’est-ce pas Sonia ?
JEANNE, bas à Marie.
Elle en a plein la bouche de son thé.
MARIE
À propos de Mme de Relzières, vous savez qu’elle est aux cent coups. Son fils se bat aujourd’hui.
SONIA
Avec qui ?
MARIE
On ne sait pas, elle a surpris une lettre des témoins…
GERMAINE
Je suis tranquille pour Relzières. Il est de première force à l’épée, il est imbattable.
JEANNE
Il était intime avec votre fiancé, autrefois ?
GERMAINE
Intime. C’est même par Relzières que nous avons connu Jacques.
MARIE
Où ça ?
GERMAINE
Dans ce château.
MARIE
Chez lui, alors ?
GERMAINE
Oui. Est-ce drôle, la vie ! Si quelques mois après la mort de son père, Jacques ne s’était pas trouvé dans la dèche et obligé, pour les frais de son expédition au pôle Sud, de bazarder ce château ; si papa et moi, nous n’avions pas eu envie d’avoir un château historique, et enfin, si papa n’avait pas souffert de rhumatismes, je ne m’appellerais pas dans un mois la duchesse de Charmerace.
JEANNE
Quels rapports ont les rhumatismes de votre père ?
GERMAINE
Un rapport direct. Papa craignait que ce château ne fût humide. Pour prouver à papa qu’il n’avait rien à craindre, Jacques, en grand seigneur, lui a offert l’hospitalité, ici, à Charmerace pendant trois semaines ; par miracle papa s’y est guéri de ses rhumatismes. Jacques est tombé amoureux de moi ; papa s’est décidé à acheter le château, et moi, j’ai demandé la main de Jacques.
MARIE
Mais vous aviez seize ans ?
GERMAINE
Oui, seize ans, et Jacques partait pour le pôle Sud.
JEANNE
Alors ?
GERMAINE
Alors, comme papa trouvait que j’étais beaucoup trop jeune pour me marier, j’ai promis à Jacques d’attendre son retour. Seulement, entre nous, si j’avais su qu’il devait rester si longtemps au pôle Sud…
MARIE
C’est vrai. Partir pour trois ans, et rester sept ans là-bas.
JEANNE
Toute votre belle jeunesse…
GERMAINE, piquée.
Merci…
JEANNE
Dame ! Vous avez vingt-trois ans, c’est d’ailleurs la fleur de l’âge.
GERMAINE
Vingt-trois ans à peu près… Enfin, j’ai eu tous les malheurs, le duc est tombé malade, on l’a soigné à Montevideo. Une fois bien portant, comme personne n’est plus entêté que lui, il a voulu reprendre son expédition, il est parti pour deux ans, et brusquement plus de nouvelles, plus aucune nouvelle. Vous savez que pendant six mois nous l’avons cru mort ?
SONIA
Mort ! Mais vous avez dû être très malheureuse ?
GERMAINE
Ah ! ne m’en parlez pas. Je n’osais plus mettre une robe claire.
JEANNE, à Marie.
C’est un rien.
GERMAINE
Heureusement, un beau jour, les lettres ont réapparu, il y a trois mois un télégramme a annoncé son retour et, enfin, depuis deux mois, le duc est revenu.
JEANNE, à part, imitant le ton affecté de Germaine.
Le duc !
MARIE
C’est égal. Attendre un fiancé pendant près de sept ans, quelle fidélité !
JEANNE
L’influence du château.
GERMAINE
Comment ?
JEANNE
Dame ! Posséder le château de Charmerace et s’appeler mademoiselle Gournay-Martin, ça n’est pas la peine.
MARIE, sur un ton de plaisanterie.
N’empêche, que d’impatience, mademoiselle Germaine, pendant ces sept ans, a failli se fiancer avec un autre.
(Sonia se retourne.)
JEANNE, sur le même ton.
Qui n’était que baron.
SONIA
Comment ! c’est vrai, Mademoiselle ?
JEANNE
Vous ne saviez pas, mademoiselle Sonia ? Mais oui, avec le cousin du duc, précisément, Monsieur de Relzières. Baronne de Relzières, c’était moins bien.
SONIA
Ah !
GERMAINE, sur le même ton.
Mais étant le cousin et le seul héritier du duc, Relzières aurait relevé le titre et les armes, et j’aurais été tout de même duchesse, mes petites.
JEANNE
Évidemment, c’était l’important. Sur ce, je me sauve, ma chérie.
GERMAINE
Déjà ?
JEANNE, avec emphase.
Oui, nous avons promis à la vicomtesse de Grosjean de lui faire un bout de visite. (Négligemment.) Vous connaissez la vicomtesse de Grosjean ?
GERMAINE
De nom. Papa a connu son mari à la Bourse quand il s’appelait encore simplement monsieur Grosjean. Papa, lui, a préféré garder son nom intact.
JEANNE, sortant, à Marie.
Intact. C’est une façon de parler. Alors, à Paris ? Vous partez toujours demain ?
GERMAINE
Oui, demain.
MARIE, l’embrassant.
À Paris, n’est-ce pas ?
GERMAINE
Oui, à Paris.
(Sortent les deux jeunes filles.)
ALFRED, entrant.
Mademoiselle, il y a là deux messieurs ; ils ont insisté pour voir Mademoiselle.
GERMAINE
Ah oui, messieurs du Buit.
ALFRED
Je ne sais pas, Mademoiselle.
GERMAINE
Un monsieur d’un certain âge et un plus jeune ?
ALFRED
C’est cela même, Mademoiselle.
GERMAINE
Faites entrer.
ALFRED
Mademoiselle n’a pas d’ordres pour Victoire ou pour les concierges de Paris ?
GERMAINE
Non. Vous partez tout à l’heure ?
ALFRED
Oui, Mademoiselle, tous les domestiques… par le train de sept heures. Et il est bien de ce pays-ci : on n’est rendu à Paris qu’à neuf heures du matin.
GERMAINE
Tout est emballé ?
ALFRED