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Le Boulaguiri tend l'une de ses pattes au vendeur qui le sert sans grande envie. Mais la politesse, ici comme ailleurs, est toujours au centre du commerce.

Après quelques mots échangés, que ni Arthur ni Bétamèche ne semblent comprendre, le Boulaguiri commence à se contorsionner, comme s'il était pris de violents maux de ventre.

Arthur en a mal pour lui et grimace comme s'il l'accompagnait dans son épreuve.

Le visage du Boulaguiri change plusieurs fois de couleur avant d'adopter un vert pale des plus écœurants. Puis il rote un bon coup et une magnifique perle sort de sa bouche. Elle tombe dans un écrin de coton noir que lui tend le Cachflot. Le négociant attrape la perle avec une pince maison, tandis que l'animal reprend des couleurs qui lui vont mieux au teint. Le Cachflot observe la perle. Elle est sublime et brille de mille éclats. L'acheteur accepte la marchandise, d'un petit signe de tête. Le Boulaguiri lui fait un beau sourire, l'occasion pour nous de constater que l'animal n'a pas de dents. Il se remet à se contorsionner dans tous les sens pour une nouvelle livraison.

Arthur est stupéfait d'avoir assisté à une telle transaction, pourtant courante dans les allées qui mènent à Nécropolis. Mais un cri de joie le tire de sa rêverie. Bétamèche vient d'apercevoir un marchand de bellicornes. Le gamin trépigne de joie et entame une petite danse pour remercier le ciel.

-   Qu'est-ce qui t'arrive ? s'inquiète Arthur, en découvrant cette danse étrange qui ressemble aux mouvements désordonnés qu'on fait quand on a marché sur un clou. Bétamèche, salivant déjà de plaisir, attrape son camarade par les épaules.

-  Ce sont des bellicornes au sirop ! Y a rien de meilleur, sur les Sept Terres, que des bellicornes au sirop ! lui explique Bétamèche, en se léchant déjà les babines.

-   Et c'est quoi au juste des bellicornes ? demande Arthur, qui se méfie des goûts culinaires de son ami.

-  Une pâte de sélinelle, brassée dans du lait de gamoul, le tout lié avec des œufs, saupoudré de noisettes concassées et nappé d'un délicieux sirop à la fleur de rose, se délecte à l'avance Bétamèche qui connaît la recette par cœur.

Arthur est séduit. Le biscuit paraît inoffensif. Il ressemble un peu aux cornes de gazelle que sa grand-mère fait de temps en temps, en suivant une recette qu'elle a ramenée d'Afrique.

Bétamèche sort une pièce de sa poche et la jette au Cachflot qui l'attrape au vol.

-  Servez-vous, monseigneur, dit-il, en parfait négociant. Bétamèche prend un bellicorne et n'en fait qu'une bouchée. Il laisse échapper un petit gloussement de satisfaction, puis se met à mâcher plus lentement, pour faire durer le plaisir. Devant tant de bonheur, Arthur ne résiste pas davantage. Il attrape un bellicorne et croque le bout, brillant de sirop.

Il attend quelques secondes, au cas où il y aurait des effets secondaires, comme avec le Jack-fire, mais rien ne se passe.

Le sirop fond dans sa bouche, quant à la pâte légèrement sucrée, elle rappelle la pâte d'amande.

Arthur se laisse aller et continue à mâcher.

-   Alors, c'est pas la meilleure chose que tu aies mangé de ta vie ? lui demande Bétamèche en enfournant son quatrième bellicorne.

Arthur doit admettre que c'est plutôt bon et c'est avec plaisir qu'il croque à nouveau dans son gâteau.

-   Ils sont pas frais mes bellicornes ? demande le marchand, avec le sourire de celui qui connaît déjà la réponse.

Les deux compères secouent la tête énergiquement, la bouche pleine de sirop.

-   Les roses sont de la rosée de ce matin et j'ai cueilli les œufs, il y a à peine une heure ! précise-t-il, en bon pâtissier fier de son produit.

Arthur s'est arrêté net, la mâchoire en suspens. Un détail le contrarie. Dans son monde à lui, les œufs se pondent, se ramassent, se trouvent, se volent, à la limite, mais jamais ne se cueillent.

-   Ce sont des œufs de quoi ? demande poliment Arthur, en affichant déjà une grimace, comme s'il s'attendait au pire. Le vendeur rigole de la naïveté de son client.

-   Il n'y a qu'une sorte d'œufs qui soit appropriée pour faire de véritables bellicornes, dignes de ce nom. Des œufs de chenille pris sous la mère, affirme le marchand, presque vexé qu'on l'ait pris pour un vulgaire trafiquant.

D'ailleurs, il est très fier de pointer de l'index sa plaque officielle, qui le désigne comme l'un des meilleurs bellicorneurs de l'année.

En guise de réponse, Arthur lui crache sa bouchée en pleine figure.

Le vendeur reste un instant sans bouger, choqué de l'affront que vient de lui faire, involontairement, le jeune Arthur.

-  Excusez-moi, je ne supporte pas bien les œufs de chenille, ni de libellule ! explique Arthur, gêné par la situation.

Ça va mal tourner, Bétamèche le sent et il profite des dernières secondes de surprise pour engloutir une dizaine de gâteaux à une vitesse proche du record du monde.

Le Cachflot a repris ses esprits. Il respire profondément et se met à hurler :

-  À moi, la garde ! !

À ces simples mots, c'est la panique dans la rue. Tout le monde s'agite en hurlant dans toutes les langues. On dirait des cris d'enfants bloqués dans un train fantôme.

Chapitre 7

Soudain, une main attrape l'épaule d'Arthur et le tire violemment en arrière.

-   Par ici ! chuchote Sélénia en entraînant Arthur. Bétamèche attrape encore quelques bellicornes et rejoint ses camarades, semant des gâteaux à tout-va.

Les trois héros se frayent un passage dans la panique générale et plongent dans une boutique pour éviter la patrouille de séides qui remonte la rue au pas de course.

Arthur reprend son souffle.

-   On avait dit qu'on restait groupés, non ? les sermonne Sélénia, excédée d'avoir à surveiller les deux irresponsables.

- Excuse-moi, mais il y avait tellement de monde tout à coup ! explique Arthur.

- Plus il y aura de monde et plus on aura de chances de se faire repérer. Il faut être discrets ! insiste Sélénia.

Un autre Cachflot, plus souriant que les autres, vient se pencher au-dessus d'eux.

-  On peut être discret et néanmoins élégant ? dit-il, mielleux à souhait. Venez jeter un œil à ma nouvelle collection. Pour le plaisir des yeux !

Le vendeur a vu juste, aucune princesse au monde ne refuserait ce genre d'invitation.

Pendant ce temps, un peu plus loin, le marchand de bellicornes décrit, à grands gestes peu flatteurs, les deux voleurs professionnels qui l'ont assailli.

Le chef des séides l'écoute avec attention. Il ne met pas longtemps à comprendre qu'il s'agit bien des mêmes fuyards qui ont échappé à Darkos, au Jaïmabar-club.

Ce genre de nouvelle se répand rapidement dans Nécropolis, car il est rare que des habitants de la Première Terre viennent s'aventurer dans les zones interdites, et encore plus rare que Darkos se fasse ridiculiser de la sorte.

Le chef des séides se retourne vers ses hommes.

-  Fouillez toutes les boutiques, ils ne doivent pas être loin ! ordonne-t-il.

Heureusement pour nos trois héros les troupes partent dans le mauvais sens.

Le chef attrape le dernier soldat par le col.

-  Toi, va prévenir le palais.

Le soldat se fige dans un parfait garde-à-vous, avant de détaler comme un lapin.

Sélénia le voit passer, devant sa boutique, plus rapide qu'une fusée.

-  Ça nous donne au moins la direction du palais ! commente la princesse, qui ne perd jamais le nord. Elle jette une pièce au marchand et enfonce son visage sous la capuche de son nouveau manteau en fourrure de Balong-Boto.