- Tu es plus intelligente que je ne le pensais. Pour ne pas prendre le risque de succomber à mon charme, tu as offert ton cœur au premier venu.
- En l'occurrence, c'est plutôt le dernier venu, réplique-t-elle, avec un peu d'humour.
Maltazard lui tourne le dos et s'approche lentement du chariot de fruits.
- Tu as donné à ce jeune enfant un cadeau inestimable, dont il ignore lui-même la valeur, et dont il ne fera rien. Tu avais le pouvoir de me sauver la vie et tu ne l'as pas fait. Ne compte pas sur moi pour épargner la tienne, dit-il en saisissant une énorme groseille. Et pour te faire comprendre ce que fut mon calvaire, tu vas souffrir un peu, avant de mourir. Une souffrance absolument pas physique, rassure-toi. Elle ne sera que morale, ajoute-t-il, avec une pointe de sadisme.
Sélénia s'attend au pire.
- Avant de mourir, tu verras de tes yeux ton peuple se faire exterminer dans la douleur la plus horrible, lâche Maltazard, d'une voix rauque et sans ambiguïté.
Il y a les mots pour faire peur et les mots qui font peur. Ceux-là ont pétrifié d'horreur Sélénia.
Maltazard regarde sa groseille, comme s'il était déjà passé à autre chose.
Ou peut-être observe-t-il le fruit comme il observe ses victimes, avant de les dévorer.
Une larme coule le long de la joue de Sélénia. Son sang commence à bouillir, sans que cela ne se voie. Une bouffée de chaleur, de haine, monte en elle et rien ne peut plus l'arrêter.
Elle saisit son épée brusquement, lève un bras vengeur et lance la dague de toutes ses forces. L'épée fend l'espace comme un éclair et vient se planter dans Maltazard. Malheureusement, dans une partie où le prince maudit n'a plus de corps. Par contre, elle a cloué la groseille au chariot. Maltazard regarde cette épée qui lui traverse le corps, sans même le toucher.
Pour une fois que son corps mutilé lui sert à quelque chose ! pense-t-il, émerveillé de voir comment le destin joue avec sa vie.
Lui qui maudissait, il y a encore quelques secondes, ce corps meurtri à jamais, le voilà maintenant qui s'en félicite.
Il regarde un instant le jus, rouge sang, qui s'écoule du fruit transpercé par la lame, et met son doigt en dessous pour en recueillir quelques gouttes.
- Je boirai le sang de ton peuple, comme je bois celui de ce fruit ! dit-il, plus diabolique que jamais.
À ces mots, Sélénia n'écoute plus sa peur, mais son cœur qui s'emballe.
Elle se rue sur Maltazard, malheureusement trop tard. Des séides arrivent maintenant de toutes parts et entourent Darkos qui s'est jeté devant son père pour le protéger.
Les gardes empoignent Sélénia sans ménagement et l'immobilisent totalement.
Impossible d'échapper aux mains de ces montagnes d'acier et de muscles.
La princesse est perdue, désarmée, humiliée.
Maltazard arrache l'épée plantée dans le bois, et se tourne vers Sélénia.
Il l'observe un instant, comme si le désarroi de cette petite femme lui procurait du plaisir.
- Ne regrette rien, Sélénia, lui dit-il, d'une voix qui se veut rassurante. Même si tu m'avais épousé, je te rassure... j'aurais exterminé ton peuple quand même !
Sélénia sent la détresse la submerger. Elle fond en larmes.
- Tu es un monstre, Maltazard !
Le prince des ténèbres ne peut s'empêcher de sourire. Il a entendu cette insulte tellement de fois.
- Je sais, je tiens ça de ma femme, répond-il, avec un humour aussi noir que son regard.
- Emmenez-la ! ordonne Maltazard, avant de jeter la groseille dans le chariot, sans même y avoir goûté.
Chapitre 9
Arthur est à genoux, devant les barreaux de sa prison. À force de les avoir secoués, il n'a plus de force.
- Je suis à peine marié et j'ai déjà l'impression d'être veuf. Veuf et prisonnier ! constate-t-il, écœuré.
Cette pensée suffit à lui redonner un peu de courage. Il se lève à nouveau et secoue les barreaux pour la millionième fois. Rien n'y fait. Les barreaux de prisons sont prévus pour résister à tous les assauts.
- Il faut qu'on sorte d'ici, Bétamèche, il faut trouver une idée ! ! hurle-t-il, autant pour convaincre son ami que lui-même.
- Mais je cherche, Arthur, je cherche ! assure Bétamèche, confortablement calé dans un minuscule lit d'herbe, et qui semble chercher le sommeil plutôt qu'une idée.
- Comment peux-tu penser à dormir dans un moment pareil ! s'indigne Arthur.
- Mais je ne dors pas ! rétorque le petit prince avec beaucoup de mauvaise foi. Je réunis toutes les énergies que j'utilise d'habitude pour marcher, parler, manger et je les regroupe... en une seule et même... énergie... afin de... mieux pouvoir...
- T'endormir ! conclut Arthur qui voit son ami sombrer lentement dans le sommeil.
- ... C'est cela... répond Bétamèche qui s'endort définitivement. Arthur lui met un grand coup de pied dans les fesses aussi efficace qu'une douche glacée. Bétamèche est sur pied en moins de temps qu'il n'en faut pour le dire.
Arthur colle son visage contre le sien.
- Les pouvoirs ? Les pouvoirs qu'elle m'a donnés en m'embrassant ? demande Arthur.
- Oui, un très beau baiser, très prometteur, commente Bétamèche.
- Quels sont-ils exactement ces pouvoirs ? insiste le jeune marié.
- Ah ça !.. je ne sais pas ! répond le petit frère avec certitude.
- Comment ça tu ne sais pas ?
- Ben, ce sont les siens de pouvoirs ! Il n'y a qu'elle qui sait ce qu'elle t'a légué ! répond Bétamèche, comme si c'était une évidence. Arthur est atterré.
- C'est la meilleure de l'année celle-là ! Elle me laisse des pouvoirs, mais elle me dit surtout pas lesquels, au cas où je m'en servirais, au cas où j'en aurais besoin ! Vous avez un sens du partage assez particulier dans votre tribu ! ? peste Arthur, que cette situation incohérente commence à fatiguer.
- Ce n'est pas tout à fait comme ça que ça marche chez nous, lui répond Bétamèche avec un peu de malice. Normalement quand tu te maries avec une personne, c'est que tu la connais et l'apprécies. Quand le mariage est prononcé, elle ne doit pas avoir besoin de te dire ce qu'elle t'offre. Tu dois le savoir.
- Mais je la connais que depuis deux jours ! hurle Arthur, totalement excédé.
- Oui, mais tu t'es quand même marié avec elle ? rétorque le jeune frère, soulignant ainsi la légèreté de son camarade.
- J'avais une épée sur la gorge ! se défend Arthur, en toute bonne foi.
- Ah ? ! Tu veux dire que tu n'aurais pas eu une épée sous la gorge, tu ne l'aurais pas épousée ?
- Bien sûr que si ! répond Arthur en s'énervant.
- Et tu aurais bien fait ! C'était un très beau mariage ! conclut Bétamèche, dont la logique nous échappe.
Arthur le regarde comme une poule regarderait une télécommande.
Il a l'impression d'être un vieux chevalier qui se bat sans répit contre des moulins à vent. Ses nerfs ne vont pas tarder à lâcher.
- C'était un beau mariage et je te promets aussi un bel enterrement si tu ne m'aides pas à sortir d'ici ! !! hurle-t-il en lui sautant à la gorge.
- Arrête ! Tu m'étrangles ! gémit Bétamèche.
- Oui, je sais que je t'étrangle ! Je suis content de constater qu'il y a quand même quelque chose que l'on voit de la même façon ! lui crie Arthur dans les oreilles.
- Arrêtez de vous chamailler ! lance une voix du fond du cachot.
C'est une voix douce mais usée. Probablement par le malheur et les années.
- C'est inutile de maltraiter ce pauvre garçon ni même ces fidèles barreaux. Rien ni personne ne sort jamais d'une prison de Nécropolis, ajoute l'inconnu, allongé sur le côté, au fond de la cellule.